Les traitements antirétroviraux peu-vent désormais stopper la progression de l’infection vers le sida et empêcher la transmission du virus à autrui. Néanmoins, le délai entre contamination et diagnostic est long dans la majorité des cas, avec 2 conséquences : les patients ne peuvent pas bénéficier pleinement de l’effet des thérapeutiques ; la chaîne de transmission n’est pas interrompue.

Une épidémie active !

En France, on estime qu’environ 173 000 individus vivent avec le VIH, dont 24 000 l’ignorent.1
Chaque année, on compte 6 000 nouvelles infections. Cela signifie qu’environ 2 personnes sur 10 000 habitants (18- 64 ans) sont contaminées annuellement et que 6 sur 10 000 ne savent pas qu’elles sont séropositives.
Toutes les régions sont touchées, mais certaines plus que d’autres (figure, encadré 1), notamment Île-de-France (IDF), Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) et Rhône-Alpes, où vivraient plus de 55 % des sujets non diagnostiqués. Rapporté au nombre d’habitants, ce sont les départements français d’Amérique (DFA) – à savoir la Guyane, la Guadeloupe et la Martinique – et l’Île-de-France qui sont les plus affectés, avec des taux de 2 à 10 fois plus élevés qu’au niveau national.
Les populations les plus exposées sont les hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes (HSH), nés à l’étranger ou en France (~ 40 % des cas non diagnostiqués), les personnes nées en Afrique subsaharienne (~ 30 %) et les usagers de drogues injectables (UDI). Plus de 70 % des sujets qui ignorent être séropositifs sont de sexe masculin, soit 1 homme sur 1 000 en population générale.

Un retard diagnostique

Au moment de la découverte de l’infection, 20 % des personnes ont plus de 50 ans et 11 % moins de 25 ans.2
Le délai entre contamination et diagnostic est long : plus de 3 ans dans 50 % des cas.1 Il est encore plus important, supérieur à 4 ans, chez les hommes qui se déclarent hétérosexuels, nés en France ou à l’étranger.
Ce retard est une perte de chance pour l’individu, car il empêche l’accès rapide aux traitements capables de réduire la morbidité et la mortalité liées au VIH/sida. Aujourd’hui, les patients pris en charge précocement ont une espérance de vie similaire à celle des séronégatifs.3
Sur le plan collectif, il se traduit par la persistance d’une épidémie non diagnostiquée (~ 24 000 personnes). Les personnes séropositives qui ignorent leur statut peuvent transmettre le VIH car, d’une part, ils sont moins à même d’adopter des comportements de prévention ; d’autre part, ils ne bénéficient pas du traitement. Aujourd’hui, le risque de transmission du virus lorsque le patient est sous antirétroviraux (et que sa charge virale est indétectable) est considéré comme négligeable.4 Cette épidémie non diagnostiquée serait à l’origine de la majorité des nouvelles contaminations.
Notons que les personnes qui ignorent leur statut VIH consultent au moins une fois un médecin pendant la période où elles sont séropositives, sans que ne leur soit proposé un dépistage du VIH.5

Dépistage : à améliorer

Pour qui ?

Selon les nouvelles recommandations de la HAS, il faut augmenter la fréquence des tests dans les populations à risque :
– tous les 3 mois chez les HSH ;
– tous les ans chez les UDI et les sujets originaires de zones de forte prévalence de l’infection, notamment d’Afrique subsaharienne et des Caraïbes.
Dans la population générale, il est recommandé de proposer aux personnes de 15 à 70 ans un dépistage au moins une fois au cours de la vie, en fonction de la prévalence de l’infection dans certaines régions (IDF, PACA, DFA) et surtout chez les hommes, qui ont un moindre recours au système de soins que les femmes.
Par ailleurs, un test est systématiquement proposé en cas de : découverte d’une infection sexuellement transmissible (IST), d’une hépatite B ou C, d’une tuberculose, grossesse ou projet de grossesse, viol, prescription d’une contraception ou IVG, incarcération.

Quelles options ?

Trois modalités de dépistage sont disponibles en France.
Le test Elisa, dit de 4e génération, réalisé en laboratoire, détecte les anticorps anti-VIH et l’antigène P24, qui est un marqueur d’infection récente.
Le test rapide d’orientation diagnostique (TROD), effectué par une tierce personne, professionnel de santé ou non, recherche les anticorps anti-VIH ; résultat en moins de 3 ou 30 minutes selon le type.
L’autotest VIH sanguin, vendu en pharmacie et fait par la personne elle-même à partir d’une goutte de sang prélevée au bout du doigt, détecte les anticorps anti-VIH en moins de 30 minutes. Son prix varie de 10 € à plus de 20 € selon le fabricant.
La performance est jugée globalement équivalente, sauf en cas d’exposition récente (< 3 mois) où il faut privilégier la méthode Elisa.

Que peut faire le généraliste ?

Selon une revue récente de la littérature, les généralistes pourraient jouer un rôle crucial en proposant des tests de dépistage au sein de leurs consultations, à condition de lever certains freins :6 manque de savoir-faire dans la communication en santé sexuelle, méconnaissance des recommandations de dépistage et des spécificités de l’épidémie, difficultés à identifier les maladies indicatrices du VIH (encadré 2) et à interpréter les résultats, notamment si le test est positif.
Ainsi, communiquer régulièrement sur le statut de l’épidémie et ses spécificités locales, fournir une formation et des outils pratiques adaptés auraient un impact sur la performance du dépistage du VIH en médecine générale. D’après une étude sur le TROD menée au Royaume-Uni – où l’épidémiologie est similaire à celle de la France – le rapport coût-efficacité serait favorable, notamment dans les zones où la prévalence du VIH est élevée.7
Deux récentes études françaises ont comparé TROD versus sérologie VIH dans le dépistage en médecine générale.8-9 Selon la première, les patients ont une nette préférence pour le test rapide (acceptabilité et faisabilité ≥ 92 % contre 64 % pour la sérologie).8
Dans le second travail,9 plus de 20 % des dépistages ont été effectués par TROD, avec une claire préférence pour le test à réponse immédiate (Nephrotek, INSTI) par rapport à celui à lecture différée (Biomérieux, VIKIA). Le test rapide est l’option privilégiée par les patients, alors que la sérologie est volontiers choisie par les médecins. Toutefois, plus de 90 % des praticiens ont déclaré souhaiter continuer à utiliser les TROD en pratique quotidienne. Dans cette étude, parmi près de 1 000 personnes dépistées, 9 ont découvert leur séropositivité (4 par TROD), soit près de 1 personne pour 100 : 7 hommes, dont 5 étaient des HSH, et 2 femmes (4 personnes étaient née à l’étranger).
Le médecin généraliste n’a pas besoin de faire une demande d’autorisation auprès de l’agence régionale de santé pour utiliser ces tests. Il lui est recommandé de se former à la technique, auprès des industriels les commercialisant : Biomérieux VIKIA TROD (~ 30 minutes) ou Nephrotek INSTI TROD (< 3 min). Ces dispositifs ne peuvent pas être facturés aux patients et ils ne sont pas remboursés par la Sécurité sociale. Ils restent, malheureusement, à la charge du médecin.

Quels enjeux ?

Aujourd’hui, la réduction du délai entre infection et diagnostic est l’un des principaux défis à relever. Il faudrait qu’il soit inférieur à 1 an pour diminuer considérablement la transmission. L’utilisation des TROD en médecine générale pourrait être un outil complémentaire au dépistage classique, à condition qu’ils soient pris en charge par la Sécurité sociale.
L’autre grand enjeu est d’améliorer la prévention, en promouvant non seulement le préservatif (qui protège contre l’ensemble des IST), mais également les nouveaux moyens, tels que la prophylaxie préexposition (PrEP) orale qui s’avère hautement efficace chez les personnes à haut risque d’infection par le VIH.10
La PrEP consiste à prendre un traitement antirétroviral (emtricitabine + ténofovir disoproxil fumarate, Truvada et génériques), tous les jours (en continu) ou bien avant et après un rapport sexuel non protégé (à la demande), afin d’éviter la contamination. Dans 2 essais cliniques européens (IPERGAY et PROUD), ces 2 modalités de prise ont montré une efficacité de 86 % chez les HSH.4 Dans l’étude PREVENIR, qui évalue actuellement en IDF la PrEP en vie réelle, parmi les 3 000 HSH l’ayant initiée, seulement 2 contaminations ont été observées, chez des personnes ayant interrompu la prophylaxie plus de 7 semaines avant. Le suivi inclut des rendez-vous chez un médecin au minimum tous les 3 mois pour un dépistage du VIH, des autres IST et des hépatites.
Si la première ordonnance doit être établie à l’hôpital ou en centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD), le renouvellement en cours d’année est possible par le médecin traitant. En 2020, la primo-prescription par les généralistes devrait être possible.

Encadre

1. VIH : à quel pourcentage de tests positifs s’attendre ?

La proportion de tests positifs varie en fonction des régions (figure) : entre moins de 3 pour 10 000 pour la Basse-Normandie, l’Auvergne, la Lorraine et le Nord à plus de 13 pour 10 000 pour l’Île-de-France et les départements français d’Amérique, avec des valeurs intermédiaires pour les autres régions.

Les taux sont plus élevés chez les hommes que les femmes. Ils varient selon les populations : ~ 3 % parmi les HSH, ~ 1 % parmi les personnes originaires d’Afrique subsaharienne et les UDI.

Important : la notification des nouveaux cas est obligatoire. Elle doit désormais être faite par voie électronique. Les données collectées sont indispensables pour disposer d’indicateurs épidémiologiques qui permettent de suivre la dynamique de l’épidémie.

Encadre

2. Proposer toujours un test de dépistage VIH en cas de :

Signes cliniques compatibles avec une primo-infection : syndrome viral aigu persistant (fièvre, arthralgie, pharyngite, myalgie, asthénie) associé ou non à une polyadénopathie, à des manifestations cutanéo-muqueuses (éruption cutanée maculo-papuleuse, ulcérations buccales et/ou génitales) et/ou neurologiques (céphalées, mononévrite…) et/ou troubles digestifs (diarrhées, amaigrissement…).

Anomalies biologiques : hématologiques (thrombopénie, neutropénie, hyperlymphocytose au sein d’un syndrome mononucléosique ou lymphopénie précoce), associées à une cytolyse hépatique.

Découverte de pathologies indicatrices :

• Infections sexuellement transmissibles (IST) ;

• Lymphomes malins quel que soit le type ;

• Dysplasie/cancer anal ou cervical ;

• Zona ;

• Infection par le virus de l’hépatite B ou C, aiguë ou chronique, quelle que soit la date du diagnostic ;

• Syndrome mononucléosique ;

• Leucocytopénie ou thrombopénie de plus de 4 semaines non expliquée ;

• Dermite séborrhéique/exanthème.

Références
1. Marty L, Cazein F, Panjo H, et al; HERMECTIC Study Group. Revealing geographical and population heterogeneity in HIV Incidence, undiagnosed HIV prevalence and time to diagnosis to improve prevention and care: estimates for France. J Int AIDS Soc 2018;21:e25100.
2. Tran TC, Cazein F, Le Strat Y, Barin F, Pillonel J, Lot F. Découvertes de séropositivité VIH chez les seniors en France, 2008-2016. BEH 2018(n° 40-41):792-8.
3. Antiretroviral Therapy Cohort Collaboration. Survival of HIV-positive patients starting antiretroviral therapy between 1996 and 2013: a collaborative analysis of cohort studies. Lancet HIV 2017;4: e349-e356.
4. CNS, ANRS. Prise en charge médicale des personnes vivant avec le VIH. Recommandations du groupe d’experts. Prévention et dépistage. https://bit.ly/32zCcqV
5. Champenois K, Cousien A, Cuzin L, et al. Missed opportunities for HIV testing in newly-HIV-diagnosed patients, a cross sectional study. BMC Infect Dis 2013;13:200.
6. Deblonde J, Van Beckhoven D, Loos J, et al.; HERMETIC Study Group. HIV testing within general practices in Europe: a mixed methods systematic review. BMC Public Health 2018;18:1191.
7. Baggaley RF, Irvine MA, Leber W, et al. Cost-effectiveness of screening for HIV in primary care: a health economics modelling analysis. Lancet HIV 2017;4:e465-e474.
8. Demorat H, Lopes A, Chopin D, et al. Acceptabilité et faisabilité du dépistage de l’infection par le VIH en médecine générale par un test ELISA ou par un test rapide à partir de sang capillaire. Presse Med 2018;47:e15-e23.
9. Papadima D, Gauthier R, Prévoteau du Clary F, et al. DEPIVIH 2: Use of three HIV testing methods in French primary care settings - ELISA laboratory screening versus two rapid point-of-care HIV tests. Med Mal Infect;48:122-9.
10. Siguier M, Molina JM. HIV preexposure prophylaxis: An essential, safe and effective prevention tool for sexual health. Med Mal Infect 2018;48:318-26.

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essentiel

Le diagnostic du VIH est encore trop tardif : c’est une perte de chance pour le patient et pour la collectivité.

Le risque de transmission du virus est négligeable dès lors que la personne infectée est sous traitement antirétroviral efficace.

La déclaration des nouveaux cas, obligatoire, est faite par voie électronique.