«  1 244 incidents et violences à l’encontre des médecins (toutes spécialités confondues) ont été recensés par l’Observatoire de la sécurité des médecins en 2022, soit une augmentation de 23 % en un an » : c’est ce qu’annonçait le Conseil national de l’Ordre des médecins dans un rapport paru en mai 2023.1 Choquant, ce constat est une réalité que nous ne devons pas ignorer. 

Historiquement, c’est au XIXe siècle que le -médecin dit « de famille » devient une figure sociale de la pratique thérapeutique. Initia-lement fondée sur les visites à domicile, la -pratique de cette discipline place le médecin au cœur même du contexte de vie du patient, l’intégrant dans le cercle familial.2 Comment expliquer la désaffection actuelle et une telle violence, qu’elle soit verbale ou même physique, envers les médecins ? 

Le rapport de l’Observatoire de la sécurité des médecins indique que 71 % des déclarants sont des médecins généralistes alors qu’ils ne représentent que 43 % du corps médical en exercice – peu étonnant au vu de leur statut de médecin de premier recours, pilier de notre système de santé ! D’autres spécialités sont également concernées par ces agressions : psychiatrie, cardiologie, gynécologie-obstétrique et médecine du travail.

La nette augmentation des violences recensées à l’égard des médecins entre 2021 et 2022 – et sûrement très sous-estimée car seules 61 % des victimes portent plainte – est aujour-d’hui considérée comme un (triste) « record ». Or, en 2018, le même Observatoire recensait 1 126 incidents, soit une hausse de près de 9 % par rapport à l’année précédente,3 bilan déjà qualifié à l’époque de « record ». C’est donc clairement une escalade de la violence dans un moment où les crises nationales (sanitaire, sociale…) et internationales (guerre en Ukraine, résurgence du conflit israélo-palestinien…) s’accumulent. Faut-il pour autant s’abriter derrière cette situation pour contextualiser (sans l’excuser ni la justifier) cette montée des violences ? 

Les motifs à l’origine des agressions à l’encontre des médecins sont le plus souvent un mécontentement relatif à la prise en charge, un refus d’ordonnance ou d’arrêt de travail et un temps d’attente excessif.1 Ce dernier motif, dû à la pénurie de médecins généralistes mais aussi à une prise en charge rigoureuse et bienveillante, n’est-il pas le reflet de notre société devenue consumériste à l’excès ? Mais « vouloir tout, tout de suite » ne contribue-t-il pas justement à la perpétuation des déserts médicaux, en favorisant l’inappétence pour cette belle spécialité qu’est la médecine générale ? 

L’agression mortelle d’une infirmière au CHU de Reims le 23 mai 2023 a provoqué un sursaut de l’État puisque s’en est suivie la publication d’un rapport sur le sujet en juin 2023. Il propose six leviers d’action, parmi lesquels : « acculturer les professionnels » ( !) ; « accompagner et soutenir les victimes » ; « communiquer auprès de tous les acteurs ». Les 44 mesures proposées dans ce rapport, bien que saluées par les médecins, sont en attente de concrétisation : « Il faut maintenant passer de la parole aux actes », concluait Jean-Jacques Avrane, membre du Conseil national de l’Ordre des médecins, en charge de l’Observatoire de la sécurité des médecins, lors d’un entretien paru dans Le Monde en décembre dernier. Une campagne de sensibilisation auprès du grand public avait ainsi été lancée par le ministère de la Santé et de la Prévention fin 2023, avec un slogan volontairement cinglant : « Il faut être malade pour s’en prendre à un professionnel de santé. » A priori bonne, cette initiative n’aura pourtant duré qu’un mois… 

Références 
1. https://bit.ly/3OnLfG6
2. Guillaume Fernandez. La place du médecin de famille dans la pluralité des recours thérapeutiques. Le point de vue des usagers (2000). Éd. Les Presses de l’EHESP. 352 pages. 
3. https://bit.ly/3vZ9uo4