Connaître les différents types de violence, l’épidémiologie et la législation.
Connaître les particularités des violences sexuelles au sein du couple (violence conjugale).
Identifier les situations médicales à risque de violences sexuelles.
Entendre et examiner une victime d’agression sexuelle ne s’improvise pas. Tout médecin doit se préparer à cette situation pour ne pas être pris au dépourvu lorsqu’il y sera confronté. Même s’il ne réalise pas lui-même l’examen gynécologique et/ou anal, il doit pouvoir informer la victime et l’orienter vers une prise en charge adaptée et des soins appropriés.
Les différents types de violence sexuelle et la législation
Dans son article 222-22, le code pénal définit l’agression sexuelle comme « toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise », quel que soit le sexe des protagonistes et quelle que soit la nature des relations existant entre l’agresseur et la victime, y compris s’ils sont unis par les liens du mariage. La contrainte peut être physique ou morale.
Le viol est un crime
Le viol est, depuis la loi du 3 août 2018, défini par « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise » (code pénal, art. 222-23), élargissant son champ d’application à la pénétration volontairement imposée de l’auteur sur lui-même par la victime.
Il s’applique donc à des actes comme une fellation imposée réceptive ou insertive, une pénétration digitale, pénienne ou d’un objet dans un orifice sexuel sans consentement. Il s’agit d’un crime, jugé par la cour d’assises et passible de quinze ans de réclusion criminelle.
Agressions sexuelles autres que le viol : des délits
L’agression sexuelle autre que le viol comporte les actes impliquant des contacts physiques directs sans pénétration (attouchements à caractère sexuel notamment) et ceux qui se déroulent par le biais d’une interaction visuelle, verbale ou psychologique (exhibition, réalisation ou diffusion d’une image pédopornographique, message téléphonique obscène, demande de masturbation…). Il s’agit d’un délit, jugé par le tribunal correctionnel.
Circonstances aggravantes
Il existe de nombreuses circonstances aggravantes de ces infractions, tenant :
- à l’âge (mineur de moins de 15 ans, personne âgée) ou à un autre facteur de vulnérabilité de la victime (maladie, déficience physique, psychique ou liée à un état de grossesse) ; la vulnérabilité devant être apparente ou connue de l’auteur des faits ;
- à l’auteur : en état d’ivresse ou sous l’emprise de produits stupéfiants ;
- aux liens entre l’auteur et la victime : conjoint, concubin, partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, ascendant, personne ayant autorité sur la victime, personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions (éducateur, professionnel de santé, enseignant…) ;
- aux caractéristiques de l’agression : commise en réunion, avec menace ou usage d’une arme, accompagnée ou suivie de tortures ou d’actes de barbarie ;
- aux conséquences de l’agression : mort de la victime, mutilation ou infirmité permanente.
Des évolutions pour la répression de l’inceste
Si l’inceste, relation sexuelle entre membres apparentés, n’a pas été érigé en crime spécifique, sa répression a subi des évolutions, notamment à la suite de débats publics et de la parution de plusieurs livres. La loi du 14 mars 2016 avait arrêté une liste des agresseurs potentiels qualifiés d'incestueux. La loi du 21 avril 2021 visant à renforcer la protection des mineurs contre les crimes et délits sexuels et l’inceste l’a étendue. Elle a également fixé un seuil de « non-consentement » à 18 ans en cas d’inceste ou de prostitution et à 15 ans pour les autres situations. Une clause dite « Roméo et Juliette » stipule néanmoins qu’il n’y a pas de seuil de consentement lorsque la différence d’âge entre les deux mineur(e)s, ou entre le(a) mineur(e) et le(a) majeur(e) est inférieure à cinq ans. En revanche, aucun écart d’âge n’est toléré en cas d’inceste.
Dérogation au secret professionnel
Pour protéger les victimes, notamment dans les situations intrafamiliales, le législateur a pris des dispositions relatives au secret professionnel.
Ainsi, les règles relatives au secret professionnel (code pénal, art. 226-13) ne sont pas applicables, et le médecin peut adresser un signalement au procureur de la République :
- dans les cas de violences physiques, sexuelles ou psychiques avec l’accord de la victime majeure ;
- dans les cas de violences physiques, sexuelles (y compris les mutilations sexuelles) ou psychiques infligées à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger, en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique. Dans ce cas, l’accord de la victime n’est pas nécessaire.
L’article 226-14 stipule en outre que « le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues au présent article ne peut engager la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire de son auteur, sauf s’il est établi qu’il n’a pas agi de bonne foi ».
Épidémiologie
Le phénomène des violences sexuelles est probablement très largement sous-estimé. L’enquête VIRAGE « Violences et rapports de genre », réalisée en 2015 sur un échantillon de 27 268 personnes âgées de 20 à 69 ans, a été publiée en 2020.
Ainsi, 2,90 % des femmes et 1,03 % des hommes déclaraient avoir été victimes de violences sexuelles dans les douze derniers mois (hors harcèlement sexuel et exhibitionnisme). Si l’on extrapole ces chiffres à la population française, cela représente 580 000 femmes et 197 000 hommes victimes de violences sexuelles dans l’année précédant l’enquête.
Parmi les femmes de 20 à 69 ans, 52 000 affirmaient avoir subi un viol et 37 000 une tentative de viol dans les douze derniers mois. Les hommes disaient avoir subi 2 500 viols et 1 000 tentatives sur la même période.
Concernant les violences sexuelles intrafamiliales, 27 % des femmes et 34 % des hommes rapportaient que les viols et tentatives de viol avaient commencé avant l’âge de 10 ans.
Les victimes hésitent, et souvent renoncent, à déposer plainte par honte, crainte des représailles, sentiment de culpabilité et méfiance vis-à-vis des procédures judiciaires notamment : seulement 5 à 10 % des viols feraient l’objet d’un dépôt de plainte, et un pourcentage encore plus faible aboutirait à une condamnation.
Ces chiffres ne témoignent pas de la très grande diversité des faits, des préjudices et des métabolismes personnels des victimes. Il y a en fait une grande palette d’actes, de gravités, de conséquences, d’issues et de devenirs. Les victimes sont aussi marquées par leurs représentations des violences, leur perception socioculturelle et leur seuil de tolérance. Le statut de « victime » ne doit pas, selon nous, conduire à une uniformisation dans la prise en charge, qui doit au contraire être adaptée à chaque situation.
Prise en charge immédiate
Le premier réflexe d’une victime d’agression sexuelle n’est pas toujours de se rendre dans un service de police ou de gendarmerie pour y déposer plainte. Elle peut se présenter dans un service d’urgence médicale ou chez son médecin traitant pour y chercher de l’aide, du réconfort et des conseils, voire solliciter des soins si elle est blessée. Il est donc fréquemment demandé aux médecins, en dehors de toute procédure judiciaire ou policière, de recueillir une histoire d’agression, de réaliser l’examen médical, les examens complémentaires et d’orienter.
Pour ne pas réaliser un traumatisme supplémentaire, l’examen doit se dérouler dans le calme et avec la disponibilité nécessaire. L’examen peut être thérapeutique si le médecin met en confiance la victime, lui en explique le déroulement, tout en restant attentif à son état psychologique.
L’entretien est le premier temps de l’examen
Il est préférable de laisser la victime faire un récit totalement libre de l’agression, sans l’interrompre. Des questions ouvertes peuvent être posées pour préciser certains points. Au terme de l’entretien, le médecin doit être en mesure d’avoir des données précises sur :
- les date, heure, lieu et circonstances de l’agression ;
- la caractérisation de l’agression (unique ou répétée) ;
- la nature de l’agression (attouchements, pénétration sexuelle, éjaculation, port de préservatif) ;
- l’existence de menaces et/ou violences associées ;
- les liens entre la victime et l’auteur (affectifs ou d’autorité).
Examen clinique : mettre en confiance la victime
Il est particulièrement important, à un moment où la victime a le sentiment de ne plus avoir le contrôle d’elle-même et de son environnement, de l’informer précisément sur le déroulement de l’examen et de recueillir son consentement à chaque étape.
L’examen débute toujours par un examen somatique général
Son objectif est de rechercher des traces de violence (ecchymoses, hématomes, morsures…) qui sont précisément décrites (taille, couleur, situation), voire consignées sur un schéma ou, au mieux, photographiées. Le retentissement fonctionnel des lésions doit être précisé pour la détermination d’une éventuelle incapacité totale de travail (ITT).
La présence de taches de sang ou de sperme sur les vêtements de la victime impose de conserver ceux-ci dans un sac en papier (pas dans un sac en plastique, où l’ADN risque de se dégrader) aux fins d’une analyse génétique ultérieure par un laboratoire spécialisé.
Examen périnéal : urgent en cas d’agression récente
Examen spécialisé, il doit être réalisé en urgence en cas d’agression datant de moins de trois jours, non seulement pour tenter de mettre en évidence des éléments probants mais également assurer les gestes de prévention sur la victime. Le médecin ne doit pas hésiter à contacter un confrère s’il n’a pas l’habitude de réaliser ce type d’examen.
Contrairement à une idée reçue, les lésions anogénitales sont rares dans le cadre des agressions sexuelles, et l’absence de lésion identifiable ne doit pas faire remettre en cause la véracité des propos de la victime. En cas de blessure, la prise de clichés photographiques sous colposcope permet de fixer les constatations et de limiter les examens itératifs.
Les lésions, lorsqu’elles existent, siègent très majoritairement dans la moitié inférieure de la région génitale, notamment au niveau de l’hymen, de la fourchette vulvaire et de la fossette naviculaire.
L’inspection des organes génitaux externes recherche des lésions d’allure traumatique (ecchymoses, lacérations, plaies…). Elle est complétée, chez la femme qui n’a jamais eu de rapport sexuel génital, par un examen de l’hymen, à la recherche d’une défloration médico-légale (déchirure hyménéale complète, atteignant la paroi vaginale).
L’examen de la région anale comporte une inspection, en prenant soin de bien déplisser la marge anale. Il est complété par l’étude du réflexe cutané anal.
Examens complémentaires : dans le même temps que l’examen clinique
Ils sont réalisés dans le même temps que l’examen clinique, avec le consentement de la victime. Leurs résultats sont donnés lors de consultations de suivi.
La seule preuve absolue d’un contact sexuel récent est la présence de sperme ; sa recherche est impérative si l’agression est récente et a comporté une pénétration sexuelle. Les prélèvements sont réalisés selon les données de l’anamnèse, dans tous les sites susceptibles de contenir du sperme, même en l’absence de lésion traumatique.
En cas d’agression sexuelle récente ayant comporté une pénétration sexuelle, des prélèvements conservatoires sont réalisés en vue d’une identification ADN de l’auteur : écouvillons congelés à -20 °C et qui seront exploités dans le cadre d’une procédure judiciaire.
Des prélèvements locaux à la recherche de gonocoques sont effectués si la victime présente des signes locaux évocateurs d’infection ou si l’examen est pratiqué à distance des faits allégués.
En raison de la fréquence du portage asymptomatique de Chlamydia trachomatis, il est recommandé de rechercher systématiquement cette infection.
Parallèlement, des tests sérologiques de dépistage sont réalisés pour le VIH, l’hépatite C, l’hépatite B (en l’absence de vaccination) et la syphilis.
Tous ces prélèvements sont le témoin de l’état sérologique de la victime au moment des faits et sont répétés à un mois et à trois mois (ou à 4 mois si un traitement antirétroviral a été prescrit).
Un dosage de bêta-HCG plasmatique est réalisé chez toute femme en âge de procréer.
Enfin, dans le cadre d’une possible soumission chimique, c’est-à-dire l’administration de substances psychoactives à l’insu de la victime, des prélèvements de sang et d’urine sont également effectués.
Traitement et mesures préventives
La prévention d’une grossesse est effectuée dans les soixante-douze heures suivant l’agression par l’administration de lévonorgestrel. Les effets indésirables peuvent comporter des nausées, voire des vomissements, une asthénie, des douleurs abdominales et des ménorragies.
Les indications du traitement antirétroviral après exposition sexuelle potentiellement contaminante font l’objet de recommandations nationales. En pratique, une trithérapie est administrée le plus tôt possible, et au plus tard quarante-huit heures après l’agression. Les effets indésirables sont fréquents : nausées, vomissements, asthénie, douleurs abdominales, diarrhée, douleurs musculaires ; ils méritent d’être expliqués et prévenus pour ne pas conduire à un abandon du traitement. En cas d’interpellation de l’agresseur présumé, les enquêteurs sont invités à requérir dans les meilleurs délais une évaluation de son statut sérologique vis-à-vis des maladies sexuellement transmissibles. La communication des résultats à la victime est prévue par le code de procédure pénale et peut permettre d’interrompre le traitement antirétroviral chez la victime.
Il n’y a pas de réaction émotionnelle standardisée après une agression sexuelle. L’orientation vers un psychothérapeute doit être adaptée à chaque situation et s’impose en cas de signes de détresse psychique. L’état psychologique est réévalué par le médecin à chaque nouveau contact avec la victime, et notamment lors de l’évaluation de la tolérance des traitements et des contrôles sérologiques. Une plateforme téléphonique est disponible pour toutes les victimes d’infraction, quel que soit la nature de l’agression ou le préjudice subi. Le « 08 Victimes » (tél. : 08 842 846 37) est un numéro non surtaxé disponible 7 jours sur 7. Les interlocuteurs sont des professionnels qui écoutent, rassurent et orientent vers les associations d’aide aux victimes de proximité.
La consultation se termine par la rédaction d’un certificat médical
Hors réquisition policière ou judiciaire, le certificat médical est remis à la personne examinée et à elle seule. Les parents peuvent demander qu’un certificat médical leur soit remis à l’issue de l’examen de leur enfant mineur. Le certificat médical est susceptible d’être produit en justice. Sa rédaction doit être soigneuse.
Le plan suivant est proposé :
- nom, qualité et adresse du praticien ;
- identité du plaignant ;
- conditions dans lesquelles le médecin a été conduit à réaliser l’examen, date et heure ;
- anamnèse en citant entre guillemets les déclarations du plaignant ;
- doléances ;
- examen clinique descriptif et non interprétatif ;
- examens complémentaires réalisés ;
- gestes préventifs effectués ;
- date du rendez-vous de suivi proposé ;
- conclusion reprenant les points les plus importants et précisant éventuellement la durée de l’ITT ;
- date de rédaction du certificat médical et signature du médecin.
Un double de ce certificat doit être conservé par le médecin dans le dossier du patient.
POINTS FORTS À RETENIR
Les violences sexuelles sont un phénomène largement sous-estimé.
La prise en charge médicale et psychologique doit être adaptée à chaque cas.
L’examen génital et anal est une urgence médico-légale en cas d’agression datant de moins de trois jours.
Dans la majorité des cas, il n’est pas retrouvé de lésion périnéale dans les suites d’une agression sexuelle.
Les examens complémentaires peuvent comporter la recherche de sperme, de maladies sexuellement transmissibles, d’un état de grossesse et d’une éventuelle soumission chimique.
La prévention d’une grossesse, d’une séroconversion pour le VIH et l’hépatite B doit être discutée.
Un certificat médical descriptif est toujours rédigé.
Violences sexuelles
Dans le cadre d’un cas clinique proposé aux ECN, il peut être demandé à l’étudiant de préciser le traitement et les mesures préventives à mettre en place immédiatement chez une femme se présentant au cabinet médical à la suite d’une agression sexuelle ou d’un viol récent, et de rédiger le certificat médical.