Le cadre de nombreux rendez-vous en santé au travail a été révisé ces derniers mois. En particulier, deux nouvelles catégories de visites sont obligatoires dans le suivi des salariés par les médecins des services de prévention et de santé au travail (SPST) : la visite de fin de carrière et la visite de fin d’exposition.
Au fil des lois, les services de médecine du travail sont devenus des services de santé au travail (SST) puis, avec la loi n° 2021-1018 du 2 août 2021, des services de prévention et de santé au travail (SPST). La participation à la traçabilité des expositions professionnelles est une de leurs missions, et ce depuis de nombreuses années.1 Néanmoins, cette traçabilité est en pratique très peu réalisée actuellement, comme le rappelait le Pr Frimat dans son rapport de 2018 sur les agents chimiques dangereux.2 Le législateur a donc mis en place deux nouvelles catégories de visites médicales obligatoires dans le suivi des salariés (affiliés au régime général ou au régime agricole de la Mutualité sociale agricole) par les médecins du travail des SPST : la visite de fin de carrière, depuis le 1er octobre 2021, et la visite de fin d’exposition, depuis le 31 mars 2022.3-6 Plus généralement, le cadre de nombreux rendez-vous en santé au travail a été révisé ces derniers mois.
Visites de fin de carrière et de fin d’exposition : une nouveauté !
L’objectif de ces visites est d’assurer une traçabilité individuelle des expositions par un état des lieux et, le cas échéant, de formuler des préconisations en vue d’une surveillance post-exposition ou post-professionnelle et d’une adaptation du suivi de santé.
Quels sont les salariés concernés ?
L’article R4624-28-1 du code du travail indique que sont concernés par ces visites :7
– les travailleurs bénéficiant ou ayant bénéficié d’un suivi individuel renforcé de leur état de santé prévu à l’article L4624-2 du code du travail (il s’agit des travailleurs affectés à un poste présentant des risques particuliers et qui bénéficient donc d’un examen médical d’aptitude, et non d’une visite d’information et de prévention) ;
– les travailleurs ayant été exposés à un ou plusieurs des risques mentionnés dans l’article R4624-23 du code du travail antérieurement à la mise en œuvre du dispositif de suivi individuel renforcé (cet article renvoie à une autre liste de risques particuliers).
Considérant que ce champ était trop large et couvrait des situations n’ayant aucun lien avec un risque de maladie de survenue différée, ce qui reste l’objectif affiché de la visite de fin de carrière, la Société française de médecine du travail (SFMT) a émis des recommandations sur le rôle des SPST pour la traçabilité des expositions, la surveillance post-exposition et la surveillance post-professionnelle (
Quand peuvent-ils en bénéficier ?
Si le salarié a été exposé activement à l’un de ces risques dans une entreprise, l’employeur se charge de prévenir le SPST de la cessation de l’exposition aux risques professionnels, ouvrant ainsi le droit à ces visites. Le SPST programme ensuite les rendez-vous. Le travailleur dont le SPST n’a pas été informé de la cessation d’exposition à un ou plusieurs risques professionnels peut le faire lui-même dans un délai qui peut aller jusqu’à six mois après la fin de l’exposition.10
Si, en revanche, l’exposition est antérieure, l’employeur ne peut pas avoir connaissance des expositions passées du salarié. Il se doit d’informer le SPST du départ à la retraite de ses salariés, et c’est au SPST de déterminer si le salarié est éligible à cette visite. Le travailleur dont le SPST n’a pas été informé du départ à la retraite peut faire lui-même la demande de visite dans un délai d’un mois avant son départ.
Qui assure ces consultations et quels sont les documents remis ?
Les consultations sont assurées par le médecin du travail. À l’issue est rédigé un état des lieux des expositions du travailleur à certains facteurs de risques professionnels.11 Ce document doit être remis au travailleur et intégré au dossier médical en santé au travail.12 Le cas échéant, ce document est assorti de préconisations sur la surveillance post-exposition ou post-professionnelle à mettre en place.
Surveillances post-exposition et post-professionnelle
La surveillance post-exposition a toujours été et reste de la responsabilité des SPST, sous la coordination et la prescription du médecin du travail.
Concernant la surveillance post-professionnelle, il semble que des changements soient amenés à venir. En effet, depuis le 31 mars 2022 (date d’entrée en vigueur de cette disposition de la loi n° 2021-1018 du 2 août 2021), il est mentionné que le « médecin du travail met en place une surveillance post-exposition ou post-professionnelle, en lien avec le médecin traitant et le médecin-conseil des organismes de Sécurité sociale. Cette surveillance tient compte de la nature du risque, de l’état de santé et de l’âge de la personne concernée ».5, 12 Plus récemment, la réglementation encadrant la surveillance médicale post-professionnelle a été mise à jour par un décret du 26 avril 2022.13 C’est finalement toujours à la personne inactive ayant été exposée de faire la demande de prise en charge auprès de son organisme de Sécurité sociale. Le rôle du médecin du travail est maintenant absolument central, car, pour en faire la demande, l’assuré doit faire parvenir à son organisme :
– un état des lieux des expositions comme évoqué préalablement ;
– à défaut, une attestation d’exposition remplie par l’employeur et le médecin du travail ou un document du dossier médical de santé au travail, communiqué par le médecin du travail, comportant les mêmes éléments.
L’exposition à des agents cancérogènes ouvre le droit à cette surveillance post-professionnelle. Ses modalités sont néanmoins définies par le médecin-conseil ou, à défaut, par un expert sollicité par le médecin-conseil. Il n’est pas fait mention pour l’instant des préconisations du médecin du travail, qui n’a donc pas la possibilité de mettre en place cette surveillance stricto sensu. Par ailleurs, bien que mentionné, le rôle du médecin traitant n’est pas non plus défini dans la mise en place de la surveillance post-professionnelle.
Des changements pour les autres visites en santé au travail
Un certain nombre d’autres changements sont entrés en vigueur depuis le 31 mars 2022 concernant les rendez-vous en santé au travail (
Création de la visite de mi-carrière
La visite de mi-carrière a été créée avec trois objectifs :14
– établir un état des lieux de l’adéquation entre le poste de travail et l’état de santé du travailleur, à date, en tenant compte des expositions à des facteurs de risque professionnels auxquelles il a été soumis ;
– évaluer les risques de désinsertion professionnelle, en prenant en compte l’évolution des capacités du travailleur en fonction de son parcours professionnel, de son âge et de son état de santé ;
– sensibiliser le travailleur aux enjeux du vieillissement au travail et à la prévention des risques professionnels.
Elle se déroule soit au décours d’une autre visite, soit, à défaut, durant l’année civile du 45e anniversaire en l’absence d’accord de branche pour les salariés non désinsérés professionnellement. Elle est réalisée soit par le médecin du travail, soit par un infirmier en santé au travail exerçant en pratique avancée.
Infirmier en pratique avancée en SPST : le flou
Aucun texte n’encadre, à ce jour, le statut d’infirmier en santé au travail exerçant en pratique avancée. Pour devenir infirmier en pratique avancée, une formation spécifique de deux ans est nécessaire, reconnue au grade de master et sanctionnée par un diplôme d’État. Le diplôme d’infirmier en pratique avancée concerne actuellement cinq domaines d’intervention :15
– la pathologie chronique stabilisée ;
– l’oncologie et l’hémato-oncologie ;
– la maladie rénale chronique, la dialyse, la transplantation rénale ;
– la psychiatrie, la santé mentale ;
– les urgences.
La mention d’infirmier en santé au travail exerçant en pratique avancée dans le cadre de la visite de mi-carrière semble être une anticipation vers un sixième domaine à venir. Le décret n° 2022-679 du 26 avril 202216 permettait la délégation aux infirmières des visites de reprise et pré-reprise. En pratique, ce n’est pas appliqué à ce jour. Le Conseil national de l’Ordre des médecins a demandé au juge des référés du Conseil d’État, de suspendre l’exécution du décret du 26 avril 2022 dans son entier ou au minimum de suspendre la possibilité de déléguer des visites de préreprise et de reprise à un infirmier en santé au travail. Le Conseil d'État, en procédure de référé, le 18 juillet 2022, a rejeté la requête du Conseil national de l'ordre des médecins. Un jugement sur le fond devrait avoir lieu en fin d'année 2022 donc rien n’est stabilisé.16
Trois autres évolutions
La visite de préreprise peut désormais être organisée en cas d’arrêt de travail dépassant trente jours (contre 3 mois auparavant).4
Le travailleur bénéficie maintenant de la visite de reprise dans quatre situations :4
– après une absence pour cause de maladie professionnelle (sans durée minimale) ;
– après une absence d’au moins trente jours pour cause d’accident du travail ;
– après une absence d’au moins soixante jours pour cause de maladie ou d’accident non professionnel ;
– après un congé maternité (sans durée minimale).
Enfin, le rendez-vous de liaison est mis en place en cas d’arrêt de plus de trente jours.17 Il s’agit d’un rendez-vous à l’initiative de l’employeur ou du salarié, réunissant les deux parties et associant le SPST (médecin, infirmier ou autre personnel chargé de la prévention des risques professionnels).16 Aucune conséquence ne peut être tirée du refus par le salarié de se rendre à ce rendez-vous.
Un suivi des expositions professionnelles accru
La loi du 2 août 2021 a créé les SPST. Leur mission de participation à la traçabilité des expositions professionnelles et à leur surveillance médicale est soutenue par la création de deux nouvelles catégories de visites médicales obligatoires dans le suivi des salariés par les médecins du travail des SPST : la visite de fin de carrière, depuis le 1er octobre 2021, et la visite de fin d’exposition, depuis le 31 mars 2022.
Quelques définitions
Médecin du travail : médecin dont la mission est d'éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail et qui exerce dans un service de prévention et de santé au travail (SPST). Conseiller des salariés et des employeurs, il agit au sein d’une équipe pluridisciplinaire en matière de prévention, pour suivre l’état de santé des salariés et participer à la traçabilité des expositions.
Médecin-conseil : médecin du service médical de l’Assurance maladie dont les missions sont d’accompagner les assurés dans leur demande de prestations et dans leur parcours de soins, de conduire des actions de contrôle pour lutter contre les abus et d’évaluer les pratiques des professionnels de santé.
Surveillance post-exposition : surveillance médicale des salariés encore actifs ayant été exposés à des risques particuliers, organisée par les SPST.
Surveillance post-professionnelle : surveillance médicale des personnes inactives (classiquement retraitées) ayant été exposées à des risques particuliers, organisée par l'Assurance maladie. Selon les articles du code du travail ou du code de la Sécurité sociale, l’expression consacrée utilisée peut être « surveillance post-professionnelle » ou « suivi post-professionnel ».
1. Article L4622-2. Code du travail. Légifrance [internet]. Disponible sur https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043893828
2. Frimat P. Mission relative à la prévention et à la prise en compte de l’exposition des travailleurs aux agents chimiques dangereux. Ministère du Travail, du Plein Emploi et de l’Insertion. 2018.
3. Loi n° 2021-1018 du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail (1). 2021-1018 août 2, 2021. Disponible sur https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043884445
4. Décret n° 2022-372 du 16 mars 2022 relatif à la surveillance post-exposition, aux visites de préreprise et de reprise des travailleurs ainsi qu’à la convention de rééducation professionnelle en entreprise - Légifrance [internet]. Disponible sur https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000045365883
5. Article L4624-2-1. Code du travail. Légifrance [internet]. Disponible sur https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000036759925/2022-06-08/
6. Décret n° 2021-1065 du 9 août 2021 relatif à la visite médicale des travailleurs avant leur départ à la retraite. 2021-1065 août 9, 2021. Disponible sur https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGIARTI000043927810/2021-10-01/
7. Article R4624-28-1. Code du travail. Légifrance [internet]. Disponible sur https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043927893
8. Fantoni-Quinton S, Dewitte JD, Piron C, Capdeville L, Petit A, Letheux C, et al. Rôle des SPST (services de prévention et de santé au travail) pour la traçabilité des expositions, le SPE (suivi post-exposition) et le SPP (suivi post-professionnel) : cadre juridique, questions à traiter, outils disponibles et recommandations de la Société française de médecine du travail. Arch Mal Prof Environ 2022;83(1):2‑9.
9. Fantoni-Quinton S, Dewitte JD, Piron C, Capdeville L, Petit A, Letheux C, et al. Rôle des SPST (services de prévention et de santé au travail) pour la traçabilité des expositions, le SPE (suivi post-exposition) et le SPP (suivi post-professionnel) : cadre juridique, questions à traiter, outils disponibles et recommandations de la Société française de médecine du travail. Réf En Santé Au Trav 2022;169:79‑88.
10. Article R4624-28-2. Code du travail. Légifrance [internet]. Disponible sur https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043927913
11. Article L4161-1. Code du travail. Légifrance [internet]. Disponible sur https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000035640694/
12. Article R4624-28-3. Code du travail. Légifrance [internet]. Disponible sur https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043927915/2022-06-08/
13. Article D461-23. Code de la Sécurité sociale. Légifrance [internet]. Disponible sur https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000045680765
14. Article L4624-2-2. Code du travail. Légifrance [internet]. Disponible sur https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043894141
15. Article R4301-2 - Code de la santé publique - Légifrance [Internet]. Disponible sur : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000038925586/2022-09-02/
16. Décret n° 2022-679 du 26 avril 2022 relatif aux délégations de missions par les médecins du travail, aux infirmiers en santé au travail et à la télésanté au travail. 2022-679 avr 26, 2022. Disponible sur https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000045668051#:~:text=Il%20pr%C3%A9voit%20enfin%20les%20modalit%C3%A9s,pr%C3%A9vention%20en%20saut%C3%A9%20au%20travail.
17. Article L1226-1-3. Code du travail. Légifrance [internet]. Disponible sur https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043891119/2022-03-31