Témoignage de Marianne, 32 ans
Je suis née avec la maladie de Rendu-Osler mais j’ai vécu vingt-huit ans d’errance diagnostique. Cette maladie s’est révélée dans un contexte très particulier, au moment où trois grosses malformations artérioveineuses (MAV) pulmonaires ont été responsables de conséquences graves mais exceptionnelles sur d’autres organes.
La symptomatologie aurait pu permettre un diagnostic dès le plus jeune âge : apparition de télangiectasies au bout des doigts, dans le nez et la bouche, et épistaxis plusieurs fois par semaine qui nécessitaient des consultations fréquentes chez l’ORL. Ces épistaxis fréquentes dès le plus jeune âge sont le signe qui devrait inciter les médecins à investiguer davantage. En l’absence de recherches plus poussées durant mon enfance et en présence de ces trois MAV aux poumons, un embole est passé par le cœur et le cerveau, causant un infarctus du myocarde et un petit accident vasculaire cérébral.
Le diagnostic a été complexe à poser avant que je précise aux équipes de l’hôpital une intolérance à l’aspirine, suscitant des saignements de nez (« Comme pour ma mère », avais-je précisé). Ces informations ont permis de penser au diagnostic de maladie de Rendu-Osler et les MAV pulmonaires ont pu être embolisées.
Toutefois, les séquelles cardiaques ont été beaucoup plus complexes à gérer au quotidien. En effet, j’ai subi deux conséquences majeures. Tout d’abord, l’angoisse de mort générée par le traumatisme de l’infarctus est un effet peu expliqué et peu suivi par les équipes médicales ; les crises d’angoisse sont fréquentes et difficiles à gérer dans les premiers temps du diagnostic. Ensuite, les extra–systoles résultant de la cicatrice de l’infarctus sont très douloureuses et peu absorbées par les bêtabloquants. Il apparaît donc important de prévenir les personnes victimes d’un arrêt cardiaque du choc psychologique qui peut s’installer et de leur expliquer comment gérer ce traumatisme en leur proposant un accompagnement psychologique particulier. Les professionnels de santé devraient également encourager les patients à pratiquer une activité physique, non seulement pour renforcer leur corps mais surtout pour soulager leur esprit ; la natation a eu, pour moi, un effet thérapeutique optimal.
Enfin, je précise qu’avec un suivi régulier et un dépistage à la naissance, on vit en principe bien avec cette maladie. La prévention des saignements de nez, la surveillance et l’embolisation des MAV existantes permettent d’aborder sereinement l’avenir et, pour les femmes, d’envisager une grossesse normale.
J’ai souhaité raconter mon histoire médicale particulière en réalisant une bande dessinée intitulée Haut les cœurs ! Dessinée par Ninon Tevanian, elle retrace mon parcours de soins et les conséquences de cette maladie, avec beaucoup d’autodérision et un message d’espoir.
Commentaire du Dr Alexandre Guilhem, Centre de référence pour la maladie de Rendu-Osler
La maladie de Rendu-Osler est une maladie génétique vasculaire rare de transmission autosomique dominante qui concerne environ 1 naissance sur 6 000. Les trois principaux gènes impliqués (ENG, ACVRL1, SMAD4) permettent aux cellules endothéliales de rester dans un état quiescent et mature. La perte de ce « frein » sur l’angiogenèse conduit à l’apparition de télangiectasies cutanéo-muqueuses fragiles (mains, visage, lèvres, langue, fosses nasales, tube digestif) et de malformations artérioveineuses de plus gros calibre (poumon, foie, cerveau principalement). L’expression phénotypique est très variable, y compris dans une même famille.
Chez les enfants et les jeunes adultes, la maladie se limite souvent à des épistaxis spontanées considérées comme un simple « trait familial ». Cependant, elle peut se révéler dès cet âge par des abcès cérébraux (souvent après des soins dentaires) ou des accidents ischémiques cérébraux en rapport avec des malformations artérioveineuses pulmonaires. La perte de l’effet « filtre » du poumon explique le passage d’emboles septiques ou fibrino-cruoriques dans la circulation artérielle systolique. Une cyanose, un hippocratisme digital, une saturation en oxygène basse (inférieure à 96 %) ou une polyglobulie peuvent être des signes d’appel, mais l’examen clinique est le plus souvent normal. Le dépistage systématique de ces malformations pulmonaires est donc capital. Il repose sur un scanner thoracique non injecté et/ou une échographie cardiaque de contraste, en fonction des ressources locales.
Avec l’âge, les épistaxis deviennent plus importantes et entraînent fréquemment une carence martiale, plus rarement liée à une atteinte digestive. L’asthénie et l’imprévisibilité des épistaxis peuvent être à l’origine d’un handicap « invisible ». L’humidification régulière des fosses nasales est assez effi–cace alors que les cautérisations répétées sont à risque de perforation de la cloison nasale. La maladie de Rendu-Osler ne contre-indique pas formellement les antiagrégants et les anticoagulants, mais la balance bénéfice-risque doit être discutée au cas par cas. Les atteintes hépatiques peuvent entraîner une insuffisance cardiaque à haut débit et nécessiter une transplantation hépatique dans de très rares cas. Le traitement par laser est généralement efficace pour les télangiectasies cutanées. Les malformations artérioveineuses cérébrales se compliquent très rarement chez l’adulte, et leur dépistage n’est plus systématique.
Le développement de traitements antiangiogéniques au cours des dernières décennies a permis d’ouvrir de nouvelles perspectives thérapeutiques pour les patients. Le bévacizumab est actuellement proposé pour les insuffisances cardiaques à haut débit avec contre-indication à la greffe hépatique, ainsi qu’en cas de dépendance transfusionnelle sur des saignements ORL ou digestifs. De nouveaux antiangiogéniques oraux sont actuellement à l’étude pour des patients moins sévères afin de permettre une amélioration de la qualité de vie du plus grand nombre.
Sensibiliser pour mieux avancer ensemble
En parallèle de ses missions d’information, de soutien, de représentation des personnes atteintes de la maladie de Rendu-Osler et de financement de la recherche médicale, l’AMRO-HHT-France (Association maladie de Rendu-Osler, télangiectasies hémorragiques héréditaires) s’investit davantage dans la communication.
L’association organise tous les ans une journée d’information médicale, au sein d’un centre de compétences de la maladie. Les médecins spécialistes viennent y présenter certains aspects de la maladie ainsi que les avancées de la recherche médicale.
En 2020, l’AMRO a coécrit et diffusé, à 4 000 exemplaires, un livret qui explique l’histoire de la maladie, le diagnostic, les traitements et le suivi, auprès des patients et des professionnels de santé non spécialistes.
L’accent a été mis, depuis 2022, sur la création de groupes de paroles mensuels afin de contribuer à briser l’isolement dont beaucoup de patients souffrent du fait du caractère rare de la maladie. L’AMRO met aussi en avant de nombreux témoignages (patients, bénévoles, médecins) sur ses différents médias.
Partenaire du réseau médical français de la maladie de Rendu-Osler, l’AMRO s’implique également de plus en plus dans des programmes d’éducation thérapeutique du patient.
L’association s’est également ouverte à l’international. Au sein de l’association HHT Europe, elle contribue à de nombreuses campagnes communes de sensibilisation.
Haut les cœurs !
Bande dessinée, roman graphique, manga changent la donne dans le monde du livre, avec une croissance à deux chiffres, contre 1 à 2 % pour le livre classique. Ce mode d’expression séduit un public de plus en plus large - et pas seulement parmi les jeunes générations - en raison de sa créativité, sa facilité de lecture, ses possibilités pédagogiques et ses messages, car textes et images se renforcent mutuellement. Le monde de la maladie n’échappe pas à cet engouement, comme le montre cette très belle bande dessinée Haut les cœurs ! dans laquelle le texte de Marianne Lahana, mis en scène par le dessin de Ninon Tevanian, raconte comment Marianne a découvert qu’elle était atteinte de la maladie de Rendu-Osler, maladie rare et héréditaire. Avec un dessin au trait noir, simplement rehaussé de rouge dans les zones douloureuses, Ninon Tevanian, avec une grande expressivité, un sens de l’émotion et une grande sobriété, sublime les propos, les silences, les questions, les angoisses mais aussi l’humour de Marianne Lahana. Celle-ci découvre sa maladie par une complication cardiaque, comme un coup de tonnerre dans sa vie de thésarde heureuse, qui va la plonger en quelques minutes dans le monde étrange et brutal de l’urgence (pompiers, Samu, soins intensifs…) et celui de l’hôpital. Avec beaucoup de réalisme, d’humour, de petits coups de griffes au monde du soin, on découvre comment Marianne Lahana a vécu la découverte de sa maladie, sa relation avec le langage et les habitudes du monde médical et soignant, qui restent parfois obscurs par ses raccourcis, amenant le malade à chercher sur internet les explications qui lui manquent, en y trouvant certes des données mais surtout de l’angoisse. On y découvre aussi les problèmes intrafamiliaux que pose la découverte du caractère héréditaire de certaines maladies et les dénis et culpabilités que cela peut créer. Cette bande dessinée, portant témoignage d’une tranche de vie, est certes destinée aux malades atteints de cette pathologie, à leurs proches et aux patients atteints d’autres maladies rares mais aussi et surtout au monde de la santé et aux étudiants en santé. Le message qui leur est clairement adressé est qu’ils ne doivent pas oublier qu’il ne faut jamais minimiser ce que disent ceux qui les consultent (dans ce cas précis, les épistaxis à répétition sont un signe d’appel à ne pas négliger) et qu’il faut toujours décoder leur propre langage et s’assurer que le malade a compris, pour ne pas augmenter son stress et l’amener à chercher ailleurs, au risque d’erreurs, les explications manquantes. La filière FAVA-Multi a financé cette bande dessinée. Une part de la vente est allouée à l’AMRO afin de contribuer au financement de la recherche médicale contre la maladie de Rendu Osler. AT
https://favamulti.fr/ : FAVA-Multi, la filière de santé des maladies vasculaires rares à atteintes multisystémiques.
Centre national de référence à Lyon (http://www.rendu-osler.fr/CNR_Rendu-osler.php) et 16 centres de référence régionaux.
Protocole national de diagnostic et de soins (PNDS) Maladie de Rendu-Osler. Janvier 2018. https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2018-01/maladie_de_rendu-osler_-_pnds.pdf