La mucoviscidose. Si le traitement symptomatique a permis d’améliorer le pronostic des patients atteints de mucoviscidose, la vraie révolution thérapeutique est en cours grâce à l’association de correcteurs et activateurs protéiques. La qualité de vie des patients éligibles à ces nouvelles molécules est transformée, et le nombre de recours à une première greffe pulmonaire a diminué d’un facteur 10.
Témoignage d’Estelle, 34 ans
En 1988, le test de Guthrie ne recherchait pas encore la mucoviscidose. Les enfants étaient donc diagnostiqués plus tard, à un stade symptomatique. Mes parents ont donc appris ma maladie lorsque j’avais 7 mois, en raison d’infections pulmonaires récidivantes.
Pendant mon enfance, j’ai été relativement préservée des conséquences physiques de la mucoviscidose, au prix d’un important investissement, tant familial que personnel, dans les soins pluriquotidiens. Mais j’ai eu conscience très jeune de l’épée de Damoclès qui planait au-dessus de ma tête. J’en veux pour preuve la réponse faite à la question de ma maîtresse lorsque j’avais 4 ans : « Qu’est-ce que tu feras quand tu seras grande ? – Rien, je serai morte. »
Ma boule de cristal devait être défaillante puisque, trente ans plus tard, je suis médecin généraliste (j’exerce comme médecin coordinateur en réseau de santé) et la maman épanouie de deux adorables petites filles avec lesquelles je m’apprête à souffler mes 34 bougies.
Mais la vie ne fut pas un long fleuve tranquille. En troisième année d’études de médecine, j’ai dû me battre contre une mycobactérie atypique nécessitant des perfusions antibiotiques pendant plusieurs mois, compliquées d’une thrombose veineuse profonde sur cathéter central et d’une embolie pulmonaire, m’ayant coûté mon année universitaire. Les choses se sont ensuite maintenues jusqu’à l’internat où j’ai eu la chance de tomber enceinte grâce à l’assistance médicale à la procréation. La grossesse s’est relativement bien passée, quelques cures d’antibiotiques intraveineux m’ont permis de maintenir mon volume expiratoire maximal par seconde (VEMS) autour de 50 %.
Devenue maman, la reprise du travail, la fatigue et les virus ont vite eu raison de moi. Une grippe contractée au cabinet pendant un remplacement, malgré la vaccination, a déclenché ma « descente aux enfers » : j’ai commencé à perdre du poids, un peu plus à chaque exacerbation ; cette dégradation s’est poursuivie pendant environ deux ans.
Début 2020, je me suis réveillée dyspnéique au milieu de la nuit ; je saturais à 75 %. J’ai donc appelé le Centre de ressources et de compétences de la mucoviscidose (CRCM), qui m’a fait hospitaliser.
J’ai pu bénéficier d’une antibiothérapie et d’une oxygénothérapie, mais malheureusement rien n’expliquait cette aggravation. Les bactéries présentes dans mes poumons n’avaient pas changé, j’étais terrassée par la mycobactérie qui était à nouveau active et en traitement depuis plus d’un an (aérosols d’amikacine quotidiens, antibiotiques per os). Je n’arrivais plus à respirer. J’étais fébrile. Mes phrases étaient saccadées. Sans parler des nuits passées à cracher… Mon indice de masse corporelle (IMC) est descendu à 16 kg/m². Je ne pouvais plus marcher, accrochée à mes lunettes d’oxygène, prisonnière de mes poumons. Le moindre pas, la moindre respiration était un effort. Respirer, la base même de la vie, ce que chacun fait sans y penser 20 000 fois par jour, était un effort et m’épuisait.
C’est à ce moment que m’a été annoncé ce que j’avais toujours redouté : « La suite, c’est la greffe pulmonaire ». Le choc ! Car même si on sait depuis toujours que cela arrivera, on ne l’imagine pas si tôt. Les chiffres qui tournent dans la tête : « 80 % de survie à un an », ce qui veut dire 20 % de risque de laisser ma fille de 3 ans sans sa maman…
Mais, dans mon malheur, une bonne étoile veillait sur moi ! Le Kaftrio* venait de sortir aux États-Unis et, devant des résultats spectaculaires, certains patients pouvaient bénéficier d’un accès compassionnel en France. J’ai eu la chance d’en faire partie.
Grâce à ce traitement, j’ai repris 8 kg en six semaines. Mon VEMS est passé de 28 à 40 %, et je me suis mise au vélo. Rapidement, j’ai été sevrée d’oxygène et ai pu à nouveau jouer avec ma fille, lui courir après, la porter. Mais je n’osais toujours pas rêver à un futur sans la greffe. Jusqu’au jour où mon médecin m’a dit qu’elle n’était plus d’actualité pour moi. L’avenir s’ouvrait enfin ! J’ai repris le travail, mais en tant que médecin coordinateur, plus à l’abri des virus qu’en cabinet.
Un an exactement après le début du traitement, j’ai reçu un autre merveilleux cadeau : j’ai appris que j’étais enceinte. La grossesse a été menée sous étroite surveillance en raison du manque de recul, mais s’est correctement déroulée. J’ai accouché à terme d’une merveilleuse petite fille en parfaite santé.
Aujourd’hui, je respire sans y penser l’odeur de mes enfants, et quand je pense au chemin parcouru, à cette deuxième vie, je mesure ma chance.
Ce nouveau traitement est le miracle que nous attendions depuis trente ans. Je dois avouer que, fin juin 2021, à l’annonce de l’accord de remboursement pour une partie des « mucos », je n’ai pu retenir mes larmes. De joie pour tous ceux qui, comme moi, allaient pouvoir en bénéficier, mais aussi de tristesse pour tous ceux non éligibles ou « tombés au combat »...
Commentaire de Pierre Foucaud, pédiatre et président de l’association Vaincre la mucoviscidose
Malgré d’indéniables progrès, la mucoviscidose reste une maladie génétique sévère et complexe. Elle affecte de nombreux organes, à la fonction altérée par la production d’un mucus déshydraté et visqueux : poumons, sinus, pancréas, foie, intestins, appareil urogénital. Le dépistage néonatal systématique garantit depuis 2002 un diagnostic précoce. Les patients bénéficient d’une prise en charge pluridisciplinaire dans 47 centres de soins spécialisés labellisés dans le cadre du Plan national maladies rares. En France, l’âge médian des 7 400 patients est actuellement de 22 ans.
Le traitement symptomatique a permis une sensible amélioration du pronostic : l’âge médian au décès, aujourd’hui de 33 ans, a progressé de cinq ans au cours des dix dernières années. Mais ce traitement est particulièrement contraignant ; chaque jour, une à deux heures sont consacrées aux soins : kinésithérapie respiratoire, traitements par aérosols, prise tout au long de la journée d’une vingtaine de médicaments, supports nutritionnels, cures antibiotiques intraveineuses répétées… et jusqu’à la transplantation pulmonaire, l’atteinte respiratoire étant la plus sévère. 955 patients vivent grâce à une greffe bipulmonaire, voire multiorganes (foie, reins).
Limites de la thérapie génique
Le gène impliqué dans la mucoviscidose a été identifié en 1989 ; il code pour la protéine CFTR (cystic fibrosis transmembrane conductance regulator), canal épithélial transportant les ions chlore et bicarbonate et régulant le transport du sodium. Plus de 2 100 mutations ont été décrites, classées en mutations à activité CFTR minimale, gating ou résiduelle, selon le niveau d’altération. La mutation dominante est la F508del, portée en un ou deux exemplaires par 83 % des patients en France.
Durant les quinze années qui ont suivi la découverte du gène, la recherche s’est orientée vers la thérapie génique. Si la transfection du gène des cellules malades par une copie saine s’est vite révélée efficiente, les essais cliniques ont montré les limites de cette technique in vivo, malgré le recours à différents types de vecteurs : transfert d’ADN insuffisant par voie d’aérosol pour corriger la maladie pulmonaire, effets indésirables graves.
Correction et activation protéiques : une vraie révolution !
Cette désillusion a lancé le chantier de la correction protéique, approche relevant de la médecine personnalisée, qui s’est peu à peu imposée comme une alternative crédible. Les molécules candidates à la réparation de la protéine, les « modulateurs CFTR », diffèrent en fonction des classes de mutation. Kalydeco (ivacaftor), traitement par voie orale commercialisé en 2012, est un potentiateur de la fonction CFTR réservé aux mutations gating ; il a été le premier à faire la preuve d’une amélioration spectaculaire des symptômes et d’un très net ralentissement de l’évolutivité de la maladie, avec un bon profil de sécurité. Il est aujourd’hui administré dès l’âge de 4 mois. Une seule ombre au tableau : ce traitement ne concerne que 3 % des patients.
Le laboratoire Vertex à l’origine de ce premier succès a donc pris le parti d’élargir la population cible en visant la mutation F508del. Ont été testées deux combinaisons de potentiateur et correcteur de la protéine chez des patients homozygotes pour la mutation majoritaire (Orkambi, association d’ivacaftor et de lumacaftor) puis homozygotes ou hétérozygotes F508del/mutation résiduelle (Symkevi, association d’ivacaftor et de tézacaftor). Ces bithérapies ont fait la preuve de leur capacité à enrayer l’évolutivité de la maladie, mais dans des proportions sensiblement moindres que Kalydeco. De plus, les études en vie réelle ont montré que Orkambi devait être interrompu près de 1 fois sur 5 pour des problèmes de tolérance.
L’étape décisive a été franchie avec le développement d’une triple association de deux correcteurs et d’un activateur (Kaftrio, contenant élexacaftor, ivacaftor et tézacaftor) commercialisée en France en juillet 2021, et destinée aux patients porteurs d’au moins une mutation F508del. Son efficacité est remarquable, avec une disparition quasi immédiate de la toux (parfois après une « purge » d’environ 48 h), une amélioration de la fonction respiratoire, une diminution des exacerbations infectieuses. Comme pour Kalydeco, la diminution franche du chlore sudoral témoigne d’une action systémique proche du mécanisme intime de la maladie. L’amélioration de la fertilité féminine est suggérée par le nombre de grossesses spontanées sous traitement. Celui-ci (une prise de comprimés matin et soir) est globalement bien toléré. Les effets indésirables recensés durant les essais cliniques, complétés par les observations en vie réelle, n’entraînent que très rarement un arrêt définitif du traitement.
Cette trithérapie constitue donc un formidable espoir pour, à terme, près de 5 000 patients, lorsqu’elle pourra être administrée dès la prime enfance.
L’impact sur la qualité de vie est d’ores et déjà tangible, avec une remarquable amélioration de l’état général, une énergie retrouvée, un temps quotidien consacré aux soins sensiblement allégé, un recours aux cures antibiotiques intraveineuses spectaculairement réduit. Le traitement a été rendu accessible à titre compassionnel pour des patients insuffisants respiratoires sévères de décembre 2019 à juillet 2021, et le bénéfice est allé bien au-delà : ceux dont la seule issue devenait la greffe pulmonaire n’ont pas eu à y recourir. Le nombre de premières greffes pour mucoviscidose a diminué de 20 à 2 par trimestre entre 2019 et 2021.
Reste maintenant à en démontrer l’efficacité à long terme sur l’espérance de vie, la bonne tolérance après de longues durées d’exposition, le traitement devant être pris à vie. L’initiation du traitement, possible dès 12 ans pour les patients porteurs d’une ou deux mutations F508del, devrait être élargie à des enfants de plus en plus jeunes (un accès précoce vient d’être octroyé pour les 6-11 ans F508/fonction minimale). Tout laisse à penser que le bénéfice à long terme n’en sera que plus probant, mais nous ne disposons pas encore du recul suffisant. Un accès compassionnel au Kaftrio vient d’être accordé, fin mai 2022, par l’Agence nationale de sécurité du médicament pour des patients présentant une atteinte respiratoire sévère, porteurs de mutations rares, considérés jusque-là comme génétiquement non éligibles, sur la base de premières observations démonstratives. L’espoir de voir l’avenir d’une majorité de patients se réenchanter vient soutenir le concept d’une véritable révolution thérapeutique.
Et pour les patients non éligibles ?
Mais près de 2 000 patients ne peuvent y prétendre, contrepartie de cette médecine de précision. Il s’agit, d’une part, des patients greffés pulmonaires (absence de bénéfice respiratoire, antagonisme entre modulateurs CFTR et médicaments anti-rejet) et d’autre part de ceux qui ne sont pas génétiquement éligibles du fait de mutations rares (notamment en cas d’absence totale de production de protéines). La technologie de l’ARN messager, boostée à l’occasion de la pandémie de Covid-19, semble une piste prometteuse.
* Kaftrio : traitement oral en comprimés, association d’élexacaftor (100 mg), d’ivacaftor (75 mg) et de tézacaftor (50 mg).
Des centres spécialisés pour une approche pluridisciplinaire
Depuis près de soixante ans, les progrès de la médecine, des traitements et de la prise en charge ont fait massivement reculer les complications de la mucoviscidose. Pour preuve, le bond de l’espérance de vie qui est passée de 7 ans pour les enfants atteints nés en 1965 à une cinquantaine d’années pour ceux qui voient le jour en 2022.
Depuis 2002, les centres de ressources et de compétences de la mucoviscidose (CRCM), qui sont aujourd’hui au nombre de 47, coordonnent les soins, avec une approche pluridisciplinaire. Le dépistage néonatal a également été mis en place en 2002. Les premiers traitements agissant sur la cause de la maladie sont ensuite développés : Kalydeco en 2012, suivi trois ans plus tard par Orkambi, puis Symkevi en 2018 et enfin Kaftrio en 2021. Mais toutes les personnes atteintes ne peuvent en bénéficier ; les efforts de recherche et d’amélioration de la prise en charge restent donc soutenus, notamment grâce aux associations de patients.
L’Association française de lutte contre la mucoviscidose (AFLM), créée en 1965, a été reconnue d’utilité publique en 1978. Elle est rebaptisée « Vaincre la mucoviscidose » en 2001 afin de mettre en avant sa détermination à agir pour les patients. La 38e édition des « Virades de l’espoir », lancées en 1985, se déroulera le 25 septembre 2022. Ces animations, organisées par les délégations locales dans toute la France, permettent de faire connaître l’association, de récolter des fonds destinés à la recherche et à l’accompagnement des patients.