Le syndrome d’Ehlers-Danlos. L’atteinte du tissu conjonctif de presque tous les organes explique une symptomatologie si variée qu’elle en retarde le diagnostic, provoquant l’errance des malades et aggravationde leur handicap.
Témoignage d’Élodie
« Lorsqu’on a mal, c’est qu’on est en vie. Voilà ce que m’ont souvent dit des médecins et mon entourage. Chez moi, la maladie a toujours été mon ombre, insidieuse et perverse, une maladie invisible avec laquelle je suis née.
J’ai tenté de l’ignorer le plus possible, aidée par l’aveuglement des médecins et spécialistes à cause de mon obésité, responsable, elle, de tous les problèmes. Mais quelle erreur… Enfant, j’étais couverte de bleus, d’hématomes spontanés, j’avais des entorses, des luxations, des saignements multiples et divers, des doigts en col de cygne...
Dite en échec scolaire, j’ai pourtant eu tous mes examens sans ouvrir vraiment un livre. L’obésité m’a servi de bouclier, me faisant passer de la “ fausse victime de maltraitance parentale à cause de mes bleus ” à la joviale personne obèse. J’ai eu beau me plaindre et tenter d’alerter sur ce que je ressentais, tout est passé comme une feuille virevoltant dans le vent, mais je souffrais.
J’ai grandi péniblement, je suis devenue préparatrice en pharmacie. Dans mon malheur, mes parents étant pharmaciens, j’ai pu faire ma carrière auprès d’eux, niant mes problèmes de santé (“ c’est le cordonnier le plus mal chaussé ”).
Mais un jour le cancer a frappé ma mère. Faisant fi de ma vie, j’ai à nouveau courbé l’échine, supportant au mieux le travail important, les angoisses du cancer et mon corps. Lorsque, à cette période, je me plaignais à mon médecin traitant, la fatigue et la douleur étaient mises sur le compte du stress et de la surcharge de travail.
Mon poids a atteint des sommets, je suis alors passée à la méthode radicale, le bypass. Le staff de l’équipe médicale a pris en compte mon hyperlaxité et m’a orienté vers un professeur en génétique vasculaire, et le couperet est tombé : syndrome d’Ehlers-Danlos, une maladie des tissus conjonctifs et du collagène. Ce jour-là j’ai su que plus jamais ma vie ne serait normale : lorsqu’on est malade, on n’a droit à rien, on est dépendant des autres, physiquement, financièrement. J’ai eu (et j’ai encore) tellement honte d’être malade que j’ai attendu 2 ans pour le déclarer, espérant retravailler...
Mais comment faire lorsque vous saignez brutalement du nez, que vous vomissez à cause d’une gastroparésie, d’un péristaltisme inversé, que vous ne pouvez plus marcher à cause de multiples luxations, de ressauts de hanches ? Vous n’êtes plus rentable pour une entreprise ! J’ai tenté un reclassement, mais que faire lorsque vous êtes branché quotidiennement à des perfusions ou êtes convoqué 3 ou 4 fois par semaine à l’hôpital ?
Je suis mal comprise des médecins : comment une personne peut-elle être aussi malade ? Alors on fait des tests, encore et encore, on m’envoie chez des psychologues, pensant que je m’invente des maladies, mais les examens prouvent que j’ai raison. Pourtant, je lis encore sur les courriers des expressions telles que : “Selon la patiente… ”. Le corps médical ne me croit pas, l’administration m’interdit d’avoir une vie de couple, de me marier ou de me pacser, d’accéder à la procréation médicalement assistée ou d’adopter des enfants. Cette administration m’oblige, malgré 13 ans de bons et loyaux services, à vivre dans la honte sous le seuil de pauvreté, à devoir être totalement dépendante de mes parents.
Grâce à l’acharnement de quelques personnes, un centre de référence à Garches (le centre Généo) peut à nouveau prendre en charge les patients atteints de ce syndrome, parce que pour les autres équipes nous sommes des parias, et c’est une vraie bouffée d’oxygène d’être écoutée.
La maladie m’a tout pris : ma dignité, ma vie d’enfant, de femme, mon travail. L’administration me donne honte d’être pauvre, d’être dépendante de ma famille ou d’associations pour pouvoir manger ou avoir le matériel si précieux à ma vie, elle m’oblige à devoir vivre seule, à ne pas pouvoir faire de crédit, à ne rien pouvoir posséder, ni à pouvoir louer un logement.
Les médecins pensent qu’après avoir failli mourir plusieurs fois, fait une hémorragie massive, ne plus pouvoir boire et manger, avoir des entorses, luxations, subluxations jusqu’à une quinzaine par jour, sans compter le reste, je suis dépressive… La réponse est “ NON ” ! J’insiste sur ce “ NON ” parce qu’un état psychologique ne crée pas une maladie génétique et inversement.
Oui, je vis l’enfer, je n’ai plus de vie professionnelle, je n’aurai jamais de famille, mais je suis en vie et malgré ce que me fait subir ma maladie, l’administration et la société, j’espère que je verrai encore plein de merveilleux paysages, de merveilleuses choses et vivrai encore de belles aventures. Cela ne m’empêche pas de m’engager pour les autres afin de faire évoluer la prise en charge des Ehlers-Danlos, préparer un meilleur avenir pour les petits malades qui arrivent. »
Commentaires de l’UNSED
Élodie a eu la chance après 4 ans d’errance diagnostique d’être prise en charge, ce n’est pas le cas de la plupart des malades SEDh ; le diagnostic prend souvent plus de 10 ans. L’hypermobilité articulaire généralisée, qui caractérise le SEDh, entraîne des entorses, des subluxations, des luxations récidivantes de l’ensemble des articulations. Des atteintes multisystémiques sont également décrites. La méconnaissance de la maladie conduit souvent, à tort, au diagnostic de fibromyalgie (les SED ont mal « partout » et sont fatigués).
L’errance diagnostique est un fléau pour les malades qui deviennent « chronophages » et errent de consultation en consultation. Cela retentit sur leur vie sociale, familiale, scolaire et professionnelle. Certains perdent tout en même temps. Sans nom de maladie, le côté psychologique prend souvent le pas : « C’est dans votre tête » ; « Faites du sport, vous irez mieux ». Lorsque la station debout et la marche deviennent trop compliquées, un fauteuil roulant électrique peut être proposé car il faut maintenir la vie sociale avant tout.
Une phrase revient souvent : « Vous ne pouvez pas avoir mal partout ! ». Cependant, les syndromes d’Ehlers- Danlos font partie des maladies du tissu conjonctif les plus douloureuses et handicapantes.
L’UNSED œuvre depuis plus de 4 ans aux côtés des centres référents, du ministère de la Santé, pour mettre en place des solutions pérennes destinées à tous les malades Ehlers-Danlos.Notre nouvelle filière « OSCAR » agit vite. Un protocole national de diag- nostic et de soins est en cours de rédaction pour tous les types de SED (sauf pour le SED non vasculaire), et une future carte d’urgences sera délivrée par les médecins référents. Des centres de compétences ont été labellisés lors du dernier Plan national maladies rares.
L’UNSED a mis en place des plaquettes explicatives destinées aux enfants*, adolescents et adultes afin de mettre leurs mots sur des maux qui ne sont pas les mêmes en fonction de l’âge...
Le droit de vivre dignement
L’UNSED attire l’attention sur un autre point qu’évoque Élodie : l’allocation adulte handicapé dont bénéficient la plupart des malades est inférieure à 900 € (sous le seuil de pauvreté !). Beaucoup de patients retournent donc vivre chez leurs parents ou dans des logements insalubres et inadaptés. Parfois, ils ont le bonheur de trouver l’amour malgré la maladie, mais s’ils se déclarent en couple, ils perdent ce minimum de revenu… un cercle vicieux, la dépendance à tous les niveaux.
Oui, être malade, handicapé et dépendant sont trois fardeaux lourds à porter. Nous nous sentons coupables d’être malades ! Nous essayons de vivre avec, de nous adapter et, malgré tout, de sourire à la vie. Nous devons fermer les portes du passé et vivre le présent en construisant un avenir acceptable…
* L’UNSED, en collaboration avec la filière de santé Maladies rares TÊTECOU a mis en place un livret d’information dédié aux droits des enfants hospitalisés. Ce livret est disponible gratuitement sur le site unsed.org (onglet Boutique).
Encadré du Dr K. Benistan
Les syndromes d’Ehlers-Danlos (SED) sont un groupe hétérogène de maladies héréditaires du tissu conjonctif dues à des anomalies de la matrice extracellulaire. Une classification avec 13 types de syndromes a été publiée en 2017 et fait désormais référence. Chaque type est diagnostiqué grâce à des critères bien définis.
Le SED hypermobile est le type le plus fréquent. Il se manifeste par une hyperlaxité articulaire généralisée, des entorses et des luxations à répétition et un tableau douloureux chronique. Sa prise en charge est pluridisciplinaire. Ses bases physiopathologiques ne sont pas encore connues. Les 12 autres types de SED ont des bases génétiques bien identifiées, ce qui permet une confirmation diagnostique en biologie moléculaire. Le mode de transmission génétique est le plus souvent autosomique dominant, plus rarement autosomique récessif, dépendant du gène impliqué.
Les diagnostics différentiels sont nombreux : pathologies du spectre de l’hypermobilité, arthropathies dégénératives, pathologies rhumatologiques inflammatoires ou auto-immunes, fibromyalgie, syndrome de Marfan, myopathies, maladies osseuses constitutionnelles. La prise en charge des patients repose pour l’instant sur des traitements symptomatiques. La possibilité d’identifier désormais les gènes responsables et l’apport des nouvelles technologies en génétique laissent espérer l’émergence de thérapies spécifiques. Un centre de référence national des SED non vasculaires a été labellisé en 2017.