Lorsque le caractère d’un jeune se modifie et devient inquiétant, ses proches désemparés, souvent non soutenus par les professionnels, restent longtemps dans l’ignorance des comportements à adopter.
Témoignage : le cas d’Emmanuel, raconté par Dominique, sa mère
En septembre 2012, différents signes, retrait, insomnies, pensées morbides, nous inquiètent chez Emmanuel, qui va un jour jusqu’à frapper son père. À notre demande, il consulte un psychiatre qui lui prescrit d’abord un neuroleptique puis un antidépresseur. Emmanuel continuant de fumer du cannabis et n’allant pas mieux, j’essaie de parler au psychiatre et évoque la schizophrénie. Mais il m’écoute à peine et balaye complètement cette idée.
En août 2013, Emmanuel décompense et fugue. Il est retrouvé en Bretagne délirant, sale et affamé, par la gendarmerie. Interné pendant un mois à Rennes puis à Paris, il est mis sous Risperdal à effet retard. Nous ne recevons ni diagnostic ni conseil de la part du psychiatre sauf de le laisser faire sa rentrée en Angleterre comme prévu. Je demande si ce n’est pas prématuré, mais on me répond que je dois cesser de materner mon fils. Il part donc à Newcastle, avec pour seul soutien une équipe médicale sur le campus qui surveille que les injections sont bien effectuées. En mai 2014, nous devons organiser son rapatriement d’urgence, car il en est arrivé à être totalement confus, à jeter ses vêtements, à marmonner, ne plus se laver, confondant nuit et jour.
Un nouveau psychiatre, chef de service, le prend en charge. Il augmente la dose de Risperdal, puis, Emmanuel se plaignant du traitement, le rediminue. Nouvelle dégradation durant l’été, Emmanuel s’isole totalement ; en août, il ne nous comprend plus, en septembre, il parle tout seul une langue inconnue. Le psychiatre réagit en ajoutant au Risperdal de l’Abilify. Mais cela n’apporte aucune amélioration. Nous sommes livrés à nous-mêmes, sans aide ni conseil, toujours sans diagnostic, avec un fils qui délire, arpente le couloir sans discontinuer. Nous interpellons à nouveau le médecin qui supprime l’Abilify et augmente le Risperdal. La tension à la maison est exacerbée. Emmanuel se terre dans sa chambre et refuse de prendre ses repas si son père est présent.
Quelques mois plus tard, le diagnostic de schizophrénie est posé, mais sans prise en charge plus spécifique. Il faudra attendre 2 ans pour qu’un bilan diagnostique à l’hôpital Henri-Mondor, que j’ai sollicité après avoir suivi la formation Profamille, permette d’amorcer un changement de traitement, une thérapie comportementale et cognitive, de l’éducation thérapeutique.
Petit à petit Emmanuel récupère, lit, communique avec nous. La semaine dernière il a revu un ami. Ce n’était pas arrivé depuis 5 ans.
Ce parcours est typique de ce que traversent les familles. Trois ans entre la première décompensation et le diagnostic. Puis encore 2 ans pour une prise en charge adaptée. Soit 5 ans de souffrance pendant lesquels la maladie s’est aggravée. Durant toute cette période, nous, parents, avons géré le quotidien avec un sentiment d’impuissance et beaucoup d’angoisse. Les tensions familiales se sont exacerbées, nous avons alterné avec Emmanuel des attitudes qui ne l’ont pas aidé : le déni de ses troubles, la colère, la surprotection, et nous nous sommes séparés. De leur côté, les psychiatres, bien que naviguant à vue, n’ont jamais cru utile d’avoir un vrai échange avec nous.
L’éclairage du Collectif Schizophrénies
Lorsqu’un jeune a des troubles psychiques, les parents sont souvent en première ligne. Durant des semaines et des semaines, ils vont affronter la stupeur d’une situation incompréhensible, la douleur indicible de voir leur enfant souffrir et devenir hostile à leur égard, la culpabilité de ne pas savoir l’aider, l’anxiété et le désespoir devant des troubles qui ravagent leur quotidien et transforment l’avenir en trou noir.
Le jour où enfin – souvent d’ailleurs dans les conditions très violentes d’une hospitalisation sous contrainte – ils peuvent accéder à un médecin psychiatre, ils s’imaginent avoir franchi une étape vers des jours meilleurs. Et là, ils réalisent qu’ils vont devoir aussi composer avec un corps médical fuyant, quand il n’est pas hostile.
Parmi les membres de nos associations, on compte par milliers les expériences de type « votre enfant est majeur, c’est lui qui décide » parfois juste après avoir entendu « il est délirant, vous devez signer une hospitalisation sous contrainte » ou « vous dites qu’il va très mal, mais à moi il me dit le contraire » qui le disputent aux « je vous écoute » – d’un air excédé – suivis de silences, ou aux appels et aux mails qui ne reçoivent jamais de réponse ou une réponse lapidaire.
La schizophrénie n’est pas le seul problème de santé grave susceptible d’affecter un proche. Mais quand il s’agit de cancer, de la maladie d’Alzheimer, d’un infarctus ou d’un accident corporel, la communication des soignants avec la famille va généralement de soi. Les équipes médicales apportent le plus souvent aux membres de la famille en souffrance un accueil, une écoute et des conseils, par empathie, mais aussi parce que c’est naturellement l’intérêt d’un patient d’avoir un entourage informé et à même de le soutenir et de l’accompagner au mieux.
Pour la schizophrénie, rien de tel. Alors que les prises en charge sont souvent des échecs dramatiques, que la France affiche des taux de suicide élevés, une espérance de vie des malades drastiquement abrégée, une insertion sociale dérisoire et une explosion des hospitalisations sous contrainte, trop de professionnels persistent à considérer les parents comme non légitimes, inutiles, pénibles voire nuisibles.
Aujourd’hui, de nombreuses personnes témoignent des possibilités de rétablissement des patients atteints de schizophrénie, et les recommandations internationales sont unanimes en faveur de la psychoéducation familiale dont l’efficacité est reconnue avec un haut niveau de preuve tant sur le bien-être de la famille que sur l’évolution des patients.
Il n’est plus acceptable de laisser en France les proches sur le bord de la route alors qu’il existe des outils comme le programme Profamille leur permettant à la fois de mieux faire face à la maladie et d’être plus efficaces pour aider et soutenir le membre de leur famille souffrant de schizophrénie. Il est temps que les professionnels de la psychiatrie écoutent et accompagnent les proches et s’investissent pour éviter une perte de chance pour tant de jeunes.
Le programme Profamille et l’association PromesseS
Profamille est un programme psychoéducatif d’origine québécoise destiné aux proches de personnes souffrant de schizophrénie. Ce programme apporte une formation, un soutien et des outils pratiques aux familles pour les aider à appréhender la maladie et sa prise en charge, à gérer la communication, les émotions, le stress, la culpabilité, à développer leurs capacités relationnelles avec leur proche, et intégrer des stratégies préventives afin de faire face aux potentielles situations de crise ou de rechute.
Ce programme se distingue complètement d’autres interventions familiales (groupes de soutien ou de parole, programmes d’information ou d’éducation brefs, thérapies familiales) par son caractère structuré sur le long terme et par l’acquisition de savoir-faire. Profamille compte ainsi 14 séances de 4 heures chacune avec cours, exemples, jeux de rôle, et travail et exercices à faire à la maison.
Les effets de la psychoéducation familiale sur la prévention de la rechute sont quasi identiques à ceux de la prise du traitement médicamenteux par le patient, avec une réduction très significative du taux de rechute à 2 ans, allant de 25 à 50 % selon les études.
Pourtant, en France, en plus de 20 ans d’existence du programme, seulement 3 % des familles touchées par la schizophrénie ont pu suivre Profamille. C’est la raison de la création de l’association PromesseS en décembre 2014. Cette association promeut en France toutes les solutions thérapeutiques visant à l’insertion et à l’amélioration de la qualité de vie des personnes malades, en particulier le développement du programme Profamille.
PromesseS est membre fondateur du Collectif Schizophrénies, qui fédère l’ensemble des associations nationales dédiées à cette pathologie afin de changer le regard et les prises en charge.
Sur l’association PromesseS : http://www.promesses-sz.fr/
Sur le Collectif Schizophrénies : http://www.collectif-schizophrenies.com
Sur l’association PromesseS : http://www.promesses-sz.fr/
Sur le Collectif Schizophrénies : http://www.collectif-schizophrenies.com