Témoignage d’Estelle, 28 ans
Souffrant d’une douleur au dos depuis quelque temps, je décide de consulter un ostéopathe. Le praticien entreprend d’examiner l’ensemble de mes articulations et détecte la présence d’une petite boule sur l’extérieur du genou droit. Sans manifester d’inquiétude particulière, il me conseille de prendre rendez-vous avec mon médecin généraliste afin de procéder à des examens plus approfondis. Ce que je fais, même si je ne ressens aucune douleur. Mon médecin me prescrit une radio et une imagerie par résonance magnétique (IRM) ; les résultats, qui concluent à un simple kyste, ne révèlent rien d’alarmant.
Une intervention chirurgicale est donc programmée. Le kyste est retiré et je reprends mon travail et même les entraînements de football.
À la fin de 2022, je constate que la boule se met soudainement à grossir et commence à s’étendre. Bien que n’ayant toujours aucune douleur à ce stade, je consulte de nouveau mon médecin généraliste, qui m’oriente rapidement vers un chirurgien de la région. Devant l’allure suspecte de la lésion, le praticien refuse de m’opérer sans en connaître la nature exacte. Il m’adresse au centre Oscar-Lambret à Lille, pour une biopsie, réalisée en février 2023.
Quelques semaines plus tard, les résultats concluent à un « sarcome fibromyxoïde de bas grade », qui est ensuite confirmé par une seconde lecture effectuée par le Réseau de référence en pathologie des sarcomes des tissus mous et des viscères (RRePs-TMV).
Puis mon dossier est rapidement transmis à la réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) sarcomes de la région.
Au printemps 2023, j’entame les premières séances de radiothérapie néo-adjuvante. Il y en aura 28 au total.
Une intervention chirurgicale a lieu début juillet à l’hôpital Roger-Salengro, à Lille. Afin d’optimiser les chances de guérison, le chirurgien retire une partie de la rotule en même temps que la tumeur. Pour consolider l’articulation, un lambeau de gastrocnémien (muscles jumeaux) est positionné à l’intérieur du genou.
Le réveil est douloureux. À la sortie de l’hôpital, les médecins me prescrivent du tramadol, mais je n’en ai pris que les deux premières nuits. Pendant plus de deux mois, j’ai interdiction de plier la jambe, ou de m’appuyer dessus ; les séances de kinésithérapie à domicile débutent après un mois. Petit à petit, je réapprends à plier le genou, à faire fonctionner ma jambe.
Aujourd’hui, je remarche quasiment normalement, sans boiterie et sans douleur. Je porte malgré tout toujours une attèle de maintien, car mon genou peine encore à se verrouiller.
Je sais que la route est encore longue : un suivi régulier est prévu pendant dix ans, avec des scanners thoraciques et des IRM du genou à réaliser tous les quatre mois pendant les cinq premières années, puis tous les ans.
Commentaire du Dr Mehdi Brahmi, centre de référence sarcomes et GIST
En pratique, devant l’apparition d’une masse, la réalisation d’examens radiologiques et notamment d’une imagerie par résonance magnétique (IRM) est indispensable à une bonne prise en charge diagnostique et thérapeutique. Ainsi, il est recommandé de ne pas réaliser de chirurgie sans qu’aucun examen d’imagerie n’ait été réalisé au préalable.
La première intervention chirurgicale chez Estelle aurait pu être critique, pour plusieurs raisons.
Premièrement, cette lésion tumorale du genou aurait nécessité une évaluation experte de l’IRM et des investigations complémentaires, avec en premier lieu une biopsie. La réalisation pratique de la biopsie doit être discutée par un radiologue et un chirurgien experts des tumeurs conjonctives. Cette biopsie est l’étape clé du diagnostic et doit être effectuée selon des recommandations de pratiques standard, par un radiologue ou un chirurgien entraîné à la prise en charge des tumeurs conjonctives.
La patiente a vraisemblablement été opérée d’emblée, sans biopsie préalable, par un chirurgien non expert. Il s’agissait alors d’une chirurgie non adaptée (« whoops surgery » : exérèse sans que le diagnostic soit posé), entraînant ainsi un risque de récidive très important et donc une perte de chance de guérison.
Enfin, un examen microscopique de l’échantillon par un médecin biopathologiste doit systématiquement être réalisé et le médecin en charge du patient doit l’informer des résultats, ce qui ne semble pas avoir été le cas pour Estelle.
Toutefois, cette patiente a bénéficié d’une bonne orientation lors de la récidive puisque le centre Oscar-Lambret fait partie du réseau NetSarc (réseau de 26 centres de référence avec des comités multidisciplinaires spécialisés dans la prise en charge des sarcomes). L’orientation des patients vers un centre expert permet d’assurer un diagnostic de certitude ainsi qu’une prise en charge et un suivi spécialisés. En effet, face à une suspicion de sarcome, l’examen microscopique de l’échantillon doit bénéficier d’une relecture par un médecin pathologiste expert, au sein d’un centre du réseau NetSarc. La caractérisation diagnostique précise est indispensable pour guider le traitement.
Les dossiers des patients sont discutés en RCP NetSarc pour décider de la meilleure stratégie thérapeutique. Ces RCP se tiennent en présence d’au moins trois médecins de spécialités différentes intervenant auprès de patients atteints de sarcomes, permettant d’avoir un avis pertinent sur toutes les procédures envisagées. C’est pourquoi le chirurgien a adressé Estelle à un oncologue radiothérapeute pour prévoir une irradiation préopératoire.
On peut supposer ici l’expertise qu’il a fallu pour décider de la complexité du geste chirurgical à effectuer. Pour réaliser une exérèse complète de la tumeur en marges saines, il a fallu en outre enlever une partie de la rotule. Mais ce geste indispensable a pu être anticipé et la patiente a donc bénéficié dans le même temps d’une chirurgie reconstructrice avec le lambeau, permettant de limiter les impacts fonctionnels.
Le diagnostic de sarcome reste difficile du fait de la banalité des symptômes. De plus, chaque patient et chaque situation restent singuliers. Ainsi, la présence de tels symptômes doit amener à consulter le médecin traitant, qui a un rôle clé dans l’orientation diagnostique. Il peut être amené à prescrire des examens radiologiques en complément de l’examen clinique et à orienter le patient vers un centre spécialisé si une hypothèse de sarcome est évoquée. Outre son rôle important pour l’orientation diagnostique, le médecin traitant peut aussi prendre part activement à la prise en charge du patient atteint de sarcome, pendant les traitements et lors de la surveillance après les traitements, en assurant un lien étroit avec le réseau NetSarc.
Informer en partenariat avec les sociétés savantes
Info Sarcomes est une association loi 1901, fondée en mai 2009, par une patiente, Estelle Lecointe-Artzner, chez laquelle une tumeur stromale gastro-intestinale (GIST) a été diagnostiquée en 2004.
Du fait de la rareté des tumeurs qu’elle représente, Info Sarcomes est une association fondée sur la base d’un étroit partenariat entre le Groupe sarcome français-Groupe d’étude des tumeurs osseuses (GSF-GETO) et la Société française de lutte contre les cancers et les leucémies de l’enfant et de l’adolescent (SFCE) avec lesquels elle partage l’ambition de développer la connaissance des sarcomes en France dans le but de contribuer à l’amélioration et à l’harmonisation de leur prise en charge sur l’ensemble du territoire.
Elle a pour principales missions de produire et diffuser une information scientifique de référence, validée par des experts et accessible à tous, et de promouvoir l’expertise médicale et scientifique nationale.
Elle a pour objectifs de :
– proposer aux malades et à leurs proches une information scientifiquement validée sur les sarcomes et leur prise en charge ;
– les rassembler et créer un réseau de soutien ;
– leur faciliter l’accès aux soins adéquats ;
– optimiser la visibilité du réseau d’expertise français GSF-GETO ;
– développer la connaissance des sarcomes et des bonnes pratiques de prise en charge auprès des professionnels de santé ;
– promouvoir la recherche médicale et scientifique sur les sarcomes en France et à l’étranger ;
– sensibiliser l’opinion publique sur l’existence des sarcomes et des cancers rares.
Info Sarcomes est également membre fondateur de la coalition internationale Sarcoma Patient Advocacy Global Network (SPAGN), fondée également en 2009, qui rassemble aujourd’hui une soixantaine d’associations GIST et sarcomes du monde entier. Estelle Lecointe-Artzner, présidente d’Info Sarcomes www.infosarcomes.org
Société française de lutte contre les cancers et les leucémies de l’enfant et de l’adolescent : sf-cancers-enfant.com
Réseau national NetSarc+ : https://expertisesarcome.org/
Réseau de référence en pathologie des sarcomes des tissus mous et des viscères : rreps.sarcomabcb.org