Une atrésie de l’œsophage. Sa prise en charge chirurgicale dès les premières heures de vie ne doit pas faire oublier qu’un suivi régulier est impératif à l’âge adulte, radiologique et fonctionnel respiratoire.

Témoignage d’Aurélie, 33 ans

Opérée d’une atrésie de l’œsophage de type III en 1982, tout allait très bien, je n’ai pas eu de souci d’alimentation, et j’étais un bébé qui se portait bien et même en surpoids.
À l’âge adulte, après avoir été suivie par un généraliste, plus personne ne mentionnait mon atrésie de l’œsophage.
En 2008, j’ai commencé à avoir régulièrement des pneumopathies traitées par des antibiotiques. Ayant commencé à fumer vers cette période, je pensais que c’était dû à la cigarette.
Toutefois, en 2010, j’ai décidé de consulter une pneumologue, qui était très alarmée après m’avoir fait passer les tests d’essoufflement. Elle a diagnostiqué une insuffisance respiratoire et m’a dit que j’avais énormément de pus dans les poumons. J’ai donc eu un « nettoyage » des poumons sous anesthésie générale, un traitement contre l’asthme et un suivi pulmonaire régulier.
Je toussais cependant quotidiennement. La toux, particulière, pouvait être prise pour de l’asthme (effort, rires, stress me faisaient tousser), ce qui occasionnait de nombreuses réflexions de mon entourage.
Après une recrudescence de pneumopathies et une perte de poids conséquente, j’ai appelé un soir SOS Médecins, qui m’a à nouveau diag­nostiqué une insuffisance ­respiratoire.
Mon médecin traitant m’a demandé d’aller aux urgences, et j’ai été ­hospitalisée pour effectuer un ­ensemble d’examens. Au bout d’une dizaine de jours d’hospitalisation, le médecin m’a questionnée sur mon ancienne pathologie, l’atrésie de l’œsophage.
Il a alors prescrit un transit œso-­gastro-duodénal, qui a indiqué une suspicion de fistule (communication entre la trachée et les poumons).
J’ai souhaité avoir un deuxième avis. J’ai alors découvert le site de l’Association française de l’atrésie de l’œsophage (AFAO), et j’ai lu que l’atrésie de l’œsophage est une ­maladie rare. J’ai pris contact avec la présidente, qui m’a dirigée vers un médecin référent.
Le 14 mars 2016, j’ai refait une batterie d’examens plus poussés dont une fibroscopie bronchique qui a confirmé la présence d’une fistule. Il a donc été décidé de traiter cette fistule et de faire une lobectomie inférieure gauche, car le lobe inférieur de mon poumon contenait du pus. Le pneumologue, après cette intervention, m’a dit : « Vous êtes guérie. » J’aurais aimé le croire, mais qui me dit qu’il n’y aura pas d’autre suite, que les médicaments que j’ai pris ou les nombreux rayons reçus n’auront aucun effet ?
L’AFAO m’a beaucoup appris. Avant son existence, familles et ­patients étaient sans information. Il y a, au-delà du domaine déjà pluridisciplinaire (gastro-pulmonaire) de cette pathologie, un ensemble de praticiens à informer : médecins généralistes, médecins scolaires, kinésithérapeutes, psychologues afin d’aider les familles et patients.
Le travail de l’AFAO, c’est ça. Je les soutiens en apportant mon témoignage.

Commentaire du Pr Ralph Epaud

L’atrésie de l’œsophage est une pathologie rare dont l’anomalie principale, l’interruption de l’œsophage, nécessite une intervention chirurgicale réalisée dans la majorité des cas dans les premiers jours de vie. Il en existe plusieurs types, le type III étant le plus fréquent. Une fistule trachéo-œsophagienne reliant la trachée et l’œsophage est présente dans la majorité des cas et est fermée au moment de l’intervention initiale. L’atteinte respiratoire est liée à l’existence quasi constante d’une trachéomalacie, parfois aggravée, comme c’est le cas pour Aurélie, par la reperméabilisation de la fistule trachéo-­œsophagienne. La trachéomalacie entraîne d’une part un bruit au deuxième temps de la respiration et d’autre part une difficulté à assurer normalement la clairance des sécrétions pulmonaires avec une symptomatologie bronchique très souvent assimilée à un asthme du nourrisson et traité par l’association de bêta-2- mimétiques et de corticoïdes inhalés. L’efficacité de ces derniers n’a pas été démontrée, et certains auteurs suggèrent qu’ils pourraient favoriser les surinfections bactériennes. Les bêta-2-mimétiques sont quant à eux d’efficacité très variable et parfois même aggravent la trachéomalacie (notamment en nébu­lisations). Des nébulisations de ­bromide d’ipratropium, moins bon bronchodilatateur mais permettant un « assèchement » des sécrétions, sont parfois proposées sans être toutefois validées. Cette symptomatologie respiratoire s’améliore, dans la majorité des cas, progressivement au cours du temps en raison non seulement de l’augmentation du diamètre de la trachée mais également d’une toux devenant plus efficace. Une hyperactivité bron­chique avec un syndrome obstructif partiellement réversible peut ­persister dans l’enfance et à l’âge adulte, expliquant, là encore, l’utilisation chez ces patients des trai­tements de l’asthme (corticoïdes, bronchodilatateurs de longue durée). Cette atteinte respiratoire ­précoce peut également impacter la trajectoire de la fonction respi­ratoire, avec un risque accru de ­développer une bronchopathie ­chronique obstructive. Elle nécessite donc une surveillance régulière à l’âge adulte, radiologique et fonctionnelle respiratoire. Dans le cas d’Aurélie, la reperméabilisation de la fistule, complication rare mais connue des pédiatres, a entraîné des infections bronchiques répétées responsables de bronchectasies. Une prise en charge précoce ainsi qu’une meilleure connaissance de la pathologie et des complications respiratoires classiques auraient pu permettre de mieux appréhender cette évolution. Au total, ce témoignage illustre la nécessité, à l’approche de l’âge adulte, d’élaborer une fiche de transition, afin de permettre une meilleure communication entre pédiatres et médecins d’adultes, et l’intégration de spé­cialistes adultes (pneumologue, gastro­entérologue) dans le centre de référence.

Encadre

AFAO : une association pour informer les familles et mutualiser les connaissances

L’Association française de l’atrésie de l’œsophage (AFAO) est une association loi 1901 agréée par le ministère de la Santé. Cette association a été créée il y a 18 ans afin de briser la solitude des parents confrontés à la malformation et d’en améliorer la prise en charge.

Il y a 18 ans, les opérés d’une atrésie de l’œsophage ne bénéficiaient d’aucun suivi pluridisciplinaire, et les complications à long terme étaient mal identifiées. De ce fait, les errances de diagnostic des troubles respiratoires, comme dans le parcours d’Aurélie, étaient fréquentes.

L’AFAO a très rapidement mis en place un site internet afin de pouvoir informer les familles au mieux et a rencontré les associations étrangères dans l’objectif de mutualiser les connaissances.

En 2006, l’AFAO a encouragé et soutenu la candidature d’une équipe médicale de l’hôpital Jeanne-de-Flandre pour être centre de référence des affections chroniques et malformatives de l’œsophage. La création de ce centre expert a permis une coopération fructueuse entre les équipes médicales et les patients :

– un registre des naissances au niveau national (le plus important connu actuellement) ;

– deux protocoles nationaux de soins (adulte et pédiatrique) ;

– une carte d’urgence ;

– cinq conférences internationales centrées sur une approche pluridisciplinaire du suivi.

Des problèmes persistent néanmoins, la transition et le suivi à l’âge adulte restent très aléatoires, voire inexistants. Les complications sont encore mal connues de nombreux professionnels, et certains patients se trouvent parfois dans des impasses thérapeutiques.

C’est pour cela que l’AFAO soutient activement la recherche sur l’atrésie de l’œsophage ; 170 000 euros ont été attribués depuis 2007 à différents projets dont un programme innovant d’ingénierie tissulaire mené par l’hôpital Saint-Louis.

Le chemin parcouru est impressionnant, mais il reste encore beaucoup à faire !

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