Après la phase aiguë d’une dissection aortique, la crainte d’une complication secondaire persiste. Cela transforme la vie des personnes concernées et de leur entourage. Le contrôle impératif de la pression artérielle et l’interdiction des efforts intenses ne favorisent pas l’oubli : un travail d’acceptation est nécessaire.
Témoignage de lisa, 52 ans
C’est arrivé en décembre 2017, sur mon lieu de travail. Dès le début de la matinée, je ressentais des nausées, des douleurs au ventre, comme une indigestion. À la fin de ma pause déjeuner je me suis levée et ai enfilé mon manteau. Soudain une douleur, tel un coup de poignard dans le dos, m’a coupé le souffle. Prise de dyspnée et de vertiges, je me suis rassise. Malgré ce malaise, je suis rentrée à mon domicile, dans un état que je qualifierais de second. Arrivée à destination, je ressentais toujours une douleur très intense dans le dos et sur un côté. Après m’être allongée, j’ai été prise de vomissements. Et toujours cette sensation d’essoufflement, comme si je venais de courir un marathon.
Après réflexion, je contacte une première fois le Samu. Le régulateur pense à une indigestion et m’envoie un médecin de garde. Ce médecin, au cours de l’examen, n’a pas pris ma tension, malgré ma dyspnée. Il diagnostique une lombalgie aiguë et m’injecte un anti-inflammatoire. Après la prise des médicaments prescrits, mon état s’aggrave, les vomissements s’intensifient, je ne peux plus tenir debout. Au cours de la nuit qui suit, le Samu m’oriente vers les urgences. Après divers examens médicaux, prise de sang, échographies, mais toujours pas de mesure de tension artérielle, un problème biliaire est évoqué. Bien que mon état ne s’améliore pas, l’équipe décide de mon retour à domicile.
Après 48 heures sans pouvoir fermer l’œil et manger, je fais se déplacer mon médecin traitant, qui me prescrit de l’Acupan pour les douleurs et soupçonne un virus, sans vérifier ma tension artérielle. La nuit suivante, mon état de santé s’aggravant, mon mari me conduit aux urgences. Après lui avoir difficilement détaillé mon état, le médecin urgentiste comprend très vite que je souffre d’une dissection aortique de type B. Cette annonce tombe comme une sentence : je pense qu’il ne me reste plus que quelques heures à vivre.
S’ensuivent deux semaines d’examens, scanners, gaz du sang…, et de soins intensifs pour stabiliser ma tension artérielle, contrôler et surveiller attentivement l’évolution de cette dissection. Mon état m’interdit tout effort et mon corps aussi, épuisé par tous les traitements. Je décide alors de me rapprocher de l’Hôpital européen Georges-Pompidou, à Paris, spécialisé dans les maladies vasculaires rares. Je compose le numéro de « SOS Aorte », trouvé sur Internet* ; j’explique ma situation à un médecin de garde. Quelques semaines plus tard, j’ai rendez-vous avec ce même médecin, qui répond à toutes mes interrogations.
En février 2019, je subis une intervention pour la pose d’une endoprothèse dans l’aorte thoracique, et une transposition de l’artère sous-clavière droite. En effet, les examens avaient révélé une anomalie aortique congénitale ainsi qu’une malformation vasculaire rare, une arteria lusoria (ou artère sous-clavière droite aberrante). Il s’agissait donc d’une intervention lourde, mais qui s’est heureusement très bien déroulée. Depuis, mon état de santé s’est nettement amélioré. Je suis moins fatiguée mais les douleurs persistent. J’ai dû apprendre à vivre avec cette maladie au quotidien, ce qui n’est pas toujours facile. Par exemple, je ne peux pas porter de charges trop lourdes.
Après les repas, je ressens régulièrement des tiraillements au niveau de l’œsophage, des pointes au cœur et je suis toujours épuisée en fin de journée.
Ma vie, tant professionnelle que personnelle, a été transformée : ne pouvant plus assumer un emploi à plein temps, j’ai dû faire une demande d’invalidité, qui m’a été accordée. J’ai conscience de l’angoisse que mon conjoint ressent au quotidien, dans la peur d’une mort subite, et de l’aménagement de notre vie.Toutefois, cela ne m’empêche pas d’avoir des activités bénévoles afin de représenter l’Association dissection aortique (ADA) au sein de La Marguerite, qui regroupe d’autres associations de maladies chroniques en région Nouvelle-Aquitaine.
Commentaire de Célia Lambert-Alcantara, Présidente de l’ADA
La dissection aortique (DA) est un accident vasculaire qualifié de rare (moins de 10 cas par an pour 100 000 personnes). Pourtant, son incidence croît de plus en plus, face à la multiplication des personnes atteintes d’hypertension artérielle (HTA), facteur de risque majeur. Notre association accueille des personnes de plus en plus jeunes ; nous sommes loin des statistiques qui présentaient la DA comme une affection essentiellement masculine et concernant des personnes de plus de 60 ans. On distingue communément deux types de dissection, selon que la déchirure de la paroi interne porte sur l’aorte « descendante » uniquement (dissection de type B ou abdominale) ou sur l’aorte « ascendante » (de type A, qui s’étend jusqu’à la crosse aortique, où naissent les artères qui irriguent le cerveau).
Outre l’HTA, les autres facteurs de risque sont l’hypercholestérolémie, l’athérosclérose voire l’obésité, le tabagisme et la consommation de drogues.
Lorsqu’une personne souffrant de DA n’a pas de facteurs de risque significatifs, il est important de rechercher une cause génétique. Cela permet souvent de révéler des maladies vasculaires ou des tissus (syndromes d’Ehlers-Danlos, de Turner, de Marfan, maladie de Takayasu, etc.). Le traitement et le suivi d’une personne dont la DA est d’origine génétique sont spécifiques.
Un tableau clinique trompeur, un risque élevé de décès
La dissection aortique est une maladie grave dont la mortalité reste élevée : plus de 30 % des cas sévères. Le risque de décès augmente de 1 % par heure si le patient n’est pas traité immédiatement, notamment dans le cadre d’une DA de type A. Le risque de défaillance d’organes est élevé, du fait de l’ischémie.
Le diagnostic est donc vital mais reste difficile. Les symptômes sont communs à beaucoup d’autres maladies : douleurs thoraciques et abdominales, diffuses et continues, difficultés respiratoires, nausées, vomissements. L’imagerie est le seul moyen d’identifier clairement la dissection. Le scanner (avec injection de produit de contraste) reste l’examen de référence, l’échographie pouvant méconnaître la DA. Par ailleurs, devant de tels symptômes, il est essentiel de contrôler la pression artérielle du patient : un pic et notamment une asymétrie tensionnelle sont très évocateurs.
Vivre et éviter l’anévrysme
Les techniques de chirurgie endovasculaires traitent de mieux en mieux la dissection aortique. Dans la majorité des cas, une endoprothèse est déployée dans l’aorte déchirée, afin de rétablir l’irrigation des organes. Les interventions peuvent être lourdes, mais les patients retrouvent par la suite une assez bonne qualité de vie. Le traitement médicamenteux, souvent prescrit à vie, est systématique, afin de prévenir une évolution anévrysmale**. Ces traitements impactent le quotidien des patients. D’une part, les efforts trop intenses ou le port de charges lourdes sont interdits, car l’augmentation de la pression artérielle qu’ils entraînent doit être évitée à tout prix. D’autre part les médicaments, souvent multiples, ne sont pas dénués d’effets indésirables. Pour certains patients, reprendre une activité professionnelle peut être difficile, voire impossible. Leur principal défi est de réussir à accepter cette situation. Le diagnostic de la DA est souvent traumatisant : peur, angoisses et douleurs accompagnent la découverte de la maladie. On ne sait pas si l’on y survivra. Il faut d’abord guérir de ce traumatisme, calmer ses angoisses, puis vivre avec. Une fois l’étape d’acceptation passée, il reste à profiter de cette nouvelle chance que la vie, et la médecine, nous ont donné : vivre plus lentement, plus à l’écoute de soi et de ceux qui nous entourent, plus attentif à sa santé, à son corps et à ses capacités, dans le cadre d’un nouveau mode de vie. L’Association de patients atteints de dissection aortique (ADA) a été créée dans le but d’échanger des témoignages, de donner espoir aux personnes concernées de près ou de loin par cette maladie et de montrer qu’il est possible de continuer à vivre avec une DA.
* SOS Aorte joignable 24h/24, 7j/7 au 01 56 09 25 55.** Voir Dossier « Actualités en chirurgie vasculaire ». Rev Prat 2021;71:851-2.
La dissection aortique, trop peu connue : un problème de diagnostic ?
Dans la liste des accidents vasculaires, la dissection fait malheureusement office de figurante. Beaucoup ignorent son existence, la plupart n’en mesurent pas l’ampleur ou l’incidence.En effet, et les témoignages ne manquent pas, la plupart des personnes souffrant d’une dissection aortique subissent une errance médicale de plusieurs jours avant le diagnostic. Ce retard est encore plus marqué quand il s’agit de jeunes actifs ou de femmes. Pourquoi ? On observe une méconnaissance de cette maladie au sein de la communauté médicale : selon l’âge, les symptômes peuvent par exemple d’abord évoquer un AVC ou une affection biliaire. Il est essentiel de former les médecins, notamment urgentistes ou du Samu, afin qu’ils connaissent mieux les symptômes de la DA et qu’ils puissent orienter leurs diagnostics. L’amélioration des techniques d’imagerie et de chirurgie endovasculaire permettent également de mieux reconnaître et traiter la DA.Enfin, l’ADA œuvre pour informer aussi le grand public, afin de sensibiliser le plus grand nombre sur l’importance d’agir vite en cas de suspicion de DA, et ainsi sauver des vies.