Témoignage de Gaëtan, 36 ans
Le retentissement le plus important de la maladie n’est pas lié aux hémorragies extériorisées. Je n’en fais qu’une ou deux par an. En revanche, chez les adultes, les douleurs chroniques articulaires sont notre quotidien. Au cours de l’enfance, de nombreuses hémarthroses (saignements articulaires) dans les chevilles m’ont cloué au lit de longs jours. Bien que j’aie remarché après quelques jours, j’en paie aujourd’hui les conséquences. Du fait des saignements, les articulations se sont déformées. J’ai la chance d’être un des rares patients en France ayant une prothèse de cheville. Elle a transformé ma vie. Néanmoins, mon coude et mon autre cheville sont également atteints. Chaque matin au réveil, je dois effectuer des exercices de gymnastique pour pouvoir me lever. Sans cela, il m’est impossible de poser le pied par terre ou de saisir le moindre objet. Je prends aussi de nombreux médicaments antidouleur au cours de la journée.
J’ai dû changer d’activité professionnelle. J’exerçais un beau métier pour soigner les articulations, j’étais kinésithérapeute. Bien que bienveillants, les patients me disaient souvent : « Je vais être remis sur pied bien avant vous. » Les aménagements de poste et les béquilles, cannes et autres aides à la marche n’ont pas suffi. J’ai dû me reconvertir et choisir un travail de bureau moins de dix ans après avoir débuté.
Au-delà de l’impact de la maladie sur mon corps, le poids pour mon entourage est également très fort. L’hémophilie est une maladie qui se transmet par le chromosome X. Mes parents m’ont constamment soutenu, mais ma mère a toujours un sentiment de culpabilité. Encore aujourd’hui, au moindre événement traumatique, elle ne peut pas dormir. Mon épouse doit aussi faire avec les jours « sans ». Combien de fois avons-nous dû annuler des rendez-vous ou les reporter car je ne pouvais plus me lever ?
Aujourd’hui, j’ai la chance de pouvoir bénéficier de traitements qui sont bien plus efficaces pour éviter les hémorragies. Je peux faire de la natation, encadré par un maître-nageur formé à accueillir des patients hémophiles.
Avec mon épouse, nous attendons notre premier enfant d’ici quelques semaines. Il est tout à fait courant pour des patients hémophiles d’avoir des enfants. J’ai pensé pendant longtemps que ce serait impossible pour moi, car je me demandais comment élever un enfant avec tant de soucis de santé. De nombreuses discussions avec d’autres patients de mon âge m’ont convaincu que c’était tout à fait possible. Vivement la naissance, au printemps !
Commentaire du Dr Annie Borel-Derlon, présidente du conseil scientifique de l’AFH
L’hémophilie (A ou B) fait partie de la famille des maladies hémorragiques rares (MHR), avec la maladie de Willebrand – dont l’expression clinique est un peu différente – et les pathologies plaquettaires constitutionnelles (anomalies quantitatives et qualitatives des plaquettes sanguines).
L’hémophilie A, due à un déficit en facteur VIII (facteur anti-hémophilique A), concerne environ 80 % des patients hémophiles, l’hémophilie B est liée à un déficit en facteur IX (facteur anti-hémophilique B).
L’hémophilie répond à une triple définition : clinique, biologique et génétique. Les hémorragies cliniques les plus caractéristiques sont les hémarthroses et les hématomes musculaires profonds après un traumatisme minime. Dans certains cas des hémorragies muqueuses sont extériorisées telles que des épistaxis récidivantes.
La sévérité dépend du taux de facteur VIII ou IX circulant : inférieur à 1 %, c’est une hémophilie sévère ; de 2 à 5 %, elle est modérée ; de 5 à 40 %, il s’agit d’une forme mineure ou atténuée.
La transmission génétique de l’hémophilie est récessive, liée au chromosome X : les garçons sont atteints et les femmes sont dites conductrices. Environ un tiers d’entre elles présentent aussi des signes et/ou des complications hémorragiques accompagnés d’un taux de facteur VIII ou IX inférieur à 40 % et, pour cette raison, les femmes sont maintenant définies comme « femmes hémophiles » et non plus conductrices. On recense près de 8 000 patients hémophiles en France.
L’impact psychoaffectif de cette maladie à risque hémorragique est très important, comme le souligne Gaëtan, en particulier dans les formes sévères, en raison du sentiment de culpabilité de la mère qui, en conséquence, prend une place prépondérante et devient surprotectrice. De plus, cette pathologie peut être stigmatisante, car la vue du sang fait souvent peur à l’entourage familial mais aussi scolaire, professionnel...
S’il est préférable d’éviter les sports de contact violents, la pratique d’une activité physique régulière et adaptée est souhaitable. Le choix du ou des sports peut se faire avec le patient, sa famille et l’équipe soignante.
Le traitement de l’hémophilie consiste essentiellement en l’injection intraveineuse du facteur de coagulation déficitaire, avec deux types de régime thérapeutique : le traitement « à la demande » lors d’une complication hémorragique et le traitement « prophylactique » pour prévenir le risque hémorragique tel que les hémarthroses, délétères pour la santé articulaire ; la prophylaxie consiste en l’injection du médicament deux ou trois fois par semaine.
Historiquement, ces « produits » étant d’origine plasmatique humaine, l’épidémie du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) a provoqué de grandes souffrances en raison de la contamination de nombreux hémophiles (ce qui a poussé les associations de patients à être particulièrement actives auprès des instances de tutelle et de santé).
Dans les années 1990, les traitements sont restés très lourds, avec des injections intraveineuses itératives, et progressivement les produits thérapeutiques d’origine plasmatique ont été remplacés par des concentrés d’origine recombinante. Puis, à partir des années 2010, des produits dits « à demi-vie longue » ont permis d’espacer les injections et d’en réduire le nombre.
Depuis trois à cinq ans, les hémophiles A (HA) ont accès à un nouveau traitement : un anticorps monoclonal qui prend la place du facteur VIII et est administré par voie sous-cutanée hebdomadaire, voire toutes les deux semaines ou tous les mois.
L’évolution est également considérable dans l’hémophilie B (HB), grâce à de nouveaux médicaments.
Et, à l’heure actuelle, des protocoles de recherche clinique pour la thérapie génique sont proposés à certains patients HA ou HB. Les patients ont connu une véritable révolution thérapeutique au cours des vingt dernières années. Par ailleurs, grâce à l’éducation thérapeutique qui s’est beaucoup développée depuis la fin des années 1990 et un réel partenariat dans ce domaine entre l’Association française des hémophiles et les équipes soignantes, les patients ont appris à gérer leur maladie et ses risques de façon plus autonome, et le plus souvent en ambulatoire. Leur médecin traitant doit, bien sûr, être attentif aux éventuelles complications mais, surtout, il doit savoir qu’il peut avoir recours aux centres de ressources et de compétences (CRC) des maladies hémorragiques rares (MHR) qui sont accessibles pour répondre à toutes les questions. Une astreinte téléphonique, 24 heures/24, fait partie des missions des CRC-MHR.
Lutter contre les idées reçues
Les hommes représentent une grande majorité des hémophiles. Les femmes qui portent la mutation génétique responsable de l’hémophilie sans en avoir obligatoirement les symptômes sont appelées conductrices et peuvent transmettre la maladie à leurs enfants. Toutefois, environ un tiers des conductrices d’hémophilie ont des taux de facteurs de coagulation abaissés et présentent des signes hémorragiques, qui sont le plus souvent comparables à ceux d’une hémophilie mineure. Exceptionnellement, certaines d’entre elles ont une condition génétique conduisant à une hémophilie sévère ou modérée.
Les personnes concernées par l’hémophilie ne peuvent pas faire de sport : c’est faux !
La pratique d’une activité physique ou sportive est fortement encouragée pour les personnes souffrant de troubles hémorragiques si elles prennent les précautions adaptées à leur situation. Un exercice régulier permet de travailler à la fois le renforcement musculaire, la coordination, la condition physique générale, la mobilité, l’estime de soi et d’éviter le surpoids.
Les personnes hémophiles se vident de leur sang quand elles se coupent : c’est faux !
Le saignement n’est pas plus abondant sur le moment mais il dure plus longtemps. Les maladies hémorragiques rares sont des maladies le plus souvent invisibles. La majorité des saignements sont internes.
Pour en savoir plus
Il existe un maillage territorial avec 32 centres de ressources et de compétences (CRC-MHR) en France organisés en « filière maladies hémorragiques rares », validée par les différents Plans maladies rares.
- Filière des maladies hémorragiques constitutionnelles : https://mhemo.fr/
- Association française des hémophiles : https://afh.asso.fr/ ; tél. : 01 45 67 77 67
- Guide Médecin. Prise en charge des enfants atteints d’une maladie de l’hémostase : https://vu.fr/JUmiU
- Guide Professionnels de santé. Prise en charge bucco-dentaire des personnes atteintes d’une maladie hémorragique : https://vu.fr/eJLYU
- Protocole national de diagnostic et de soins (PNDS). Hémophilie, centre de référence hémophilie et autres déficits constitutionnels en protéines de la coagulation, 2023 : https://vu.fr/ROHvA
- Centre de référence hémophilie et autres déficits constitutionnels en protéines de la coagulation (CRH) : https://www.hemophilie-crh.fr/
Ader la vie et porter la voix des hémophiles
L’Association française des hémophiles (AFH) a été fondée en 1955 par des patients et leur famille. En 2018, j’ai été le premier président atteint de la maladie de Willebrand élu. L’AFH se donne un rôle d’information, d’entraide et de défense des droits des personnes atteintes d’hémophilie, de la maladie de Willebrand, des pathologies plaquettaires et de troubles hémorragiques constitutionnels. Cela représente plus de 15 000 personnes en France, toutes pathologies et sévérités confondues.
L’AFH travaille avec les professionnels de santé pour accompagner les personnes concernées et porter leur voix. Elle participe d’ailleurs aux groupes de travail qui mettent en place les Plans nationaux maladies rares (PNMR) 3 et 4. L’ensemble de ces acteurs sont coordonnés par la filière de santé Maladies hémorragiques constitutionnelles (MHEMO). Les personnes vivant avec ces maladies sont accueillies dans des centres spécialisés essentiels pour leurs suivi et prise en charge. Elles bénéficient de l’expertise de trois centres de référence maladies rares:
- hémophilie et autres déficits constitutionnels en protéines de la coagulation ;
- maladie de Willebrand ;
- pathologies plaquettaires constitutionnelles.
L’AFH, reconnue d’utilité publique et agréée pour représenter les usagers du système de santé, milite pour une amélioration constante des parcours de santé, du suivi tout au long de la vie des personnes concernées par une maladie hémorragique rare (MHR). Elle est particulièrement attentive aux questions de disponibilité et de sécurité des médicaments. Elle plaide pour une meilleure connaissance sur les traitements, intégrant la prise en compte des besoins des patients et l’accès à l’innovation thérapeutique à un prix qui ne mette pas en péril notre système de santé solidaire.
Pour être plus proche de ses adhérents, elle s’appuie sur ses 22 comités régionaux présents dans toute la France métropolitaine et dans les départements et régions d’outre-mer (DROM).
Elle s’associe à la Journée mondiale de l’hémophilie du 17 avril, avec différentes opérations de communication : spots et documents d’information, campagne contre les idées reçues... Face à la multiplication des traitements, les patients rencontrent certaines diff icultés à s’orienter vers celui qui leur convient le mieux. Pour les éclairer, l’AFH organise un débat, à Tours, lors de son Congrès annuel des 14 et 15 juin 2024, sur le thème « Nouveaux traitements : quelle sera ma vie demain ? ».
Nicolas Giraud, président de l’Association française des hémophiles