Une maladie complexe à diagnostiquer tant le spectre des symptômes est large et leur expression différente d’un malade à l’autre.
Témoignage de Nadège
Lors d’une échographie, on avait décelé chez mon bébé des os courts et une grande fragilité osseuse (ses os étaient transparents) ! Ce fut un vrai bouleversement dans ma petite vie calme. Il est né par césarienne, sans fractures ! Le diagnostic d’hypophosphatasie dans sa forme la plus sévère a été posé à une semaine de vie. Pour l’aider à respirer, il a été intubé et placé sous respiration artificielle. À deux semaines, il pouvait respirer seul, mais faute d’une cage thoracique assez solide et assez grande, les choses se sont vite dégradées, et il a subi plusieurs arrêts respiratoires. Heureusement, j’ai été mise en contact avec des experts et avec l’association Hypophosphatasie Europe, ce qui a permis à mon fils de bénéficier très tôt du traitement par remplacement enzymatique dans le cadre d’un essai clinique. Il est resté 6 mois en réanimation, a subi une trachéotomie et une gastrotomie. Des problèmes moteurs et rénaux ont aussi été constatés. À ce jour (il a 4 ans), le traitement a tout changé ! Mon fils grandit et grossit même s’il a un tout petit gabarit. Mais si les effets de la maladie sont ralentis, il n’est pas guéri. Son quotidien reste lourd de contraintes : piqûres 3 fois par semaine, troubles de l’oralité alimentaire liés à la chute précoce des dents et à des difficultés de mastication et de déglutition, rendezvous multiples (généraliste, kinésithérapeute, orthophoniste, ergothérapeute, psychomotricien). Nous devons surveiller tous ses dosages et prévoir, à terme, une chirurgie de la craniosténose… Dans son cas, même une simple gastroentérite peut avoir de graves conséquences !
Témoignage de Jean-Christophe, 56 ans
En novembre 2000, je me suis cassé le fémur droit (sans choc) – pose d’un clou ! Le 31 décembre 2000, je me suis cassé le fémur gauche (sans choc) – pose d’un clou ! En septembre 2004, nouvelle fracture du fémur gauche (sans choc) au niveau de la tête du clou – pose d’une plaque avec vis ! En faisant des recherches, j’ai découvert l’association Hypophosphatasie Europe et suis entré en relation avec elle. Le 18 octobre 2008, j’ai eu une nouvelle fracture du fémur gauche, au niveau de la dernière vis de la plaque ! Depuis, de nombreux symptômes sont apparus : hypertension artérielle, chutes de dents, chute des cheveux, problèmes rénaux, malaises, perte d’audition, grande fatigue. J’ai passé des examens dont une scintigraphie qui a révélé de nombreuses fractures aux pieds, aux bras, aux mains, à l’épaule, sur le rachis et les côtes. Depuis 2008, je ne calcifie plus ! Actuellement, j’ai les deux fémurs et les os des avantbras fêlés… je me déplace à l’aide d’un fauteuil roulant. Je suis suivi à Nantes, ainsi qu’à Poitiers. Un traitement a été mis en place depuis le 22 juillet 2019…
Commentaires du Pr Agnès Bloch-Zupan et du Dr Geneviève Baujat
L’hypophosphatasie est une maladie génétique à forme variable due à une diminution ou à l’absence de l’activité de l’isoenzyme phosphatase alcaline (TNSALP) créée dans le foie, l’os, le rein et le cerveau. La fixation du calcium et la bonne minéralisation des os et des dents sont empêchées. Six formes connues atteignent les deux sexes, avec une sévérité et des modalités d’expression variables, selon l’âge d’apparition.
Les signes cliniques sont squelettiques, musculaires, rhumatologiques, dentaires ou rénaux associés à de fortes douleurs chroniques et à une mobilité réduite.
En Europe, l’incidence des formes sévères d’hypophosphatasie est de 1 cas sur 300 000, soit en France environ 80 à 100 patients.
Un traitement de substitution enzymatique (Strensiq) existe pour les patients les plus sévèrement atteints, et une piste de recherche sur une thérapie génique est en cours au Japon. Les atteintes buccodentaires sont un des signes communs à toutes les formes d’hypophosphatasie et, sou vent, la première manifestation : chez le jeune enfant, la perte précoce des dents de lait avec des racines intactes avant l’âge normal doit alerter car elle entraîne fréquemment des problèmes de développement de la mâchoire, de déglutition ou de prononciation ; chez l’adulte, ce sont des caries, une chute précoce des dents définitives, une denture de mauvaise qualité ou anormalement implantée, des problèmes de gencives. Pour tous, une bonne hygiène et un suivi par des professionnels formés sont recommandés pour avoir des soins adaptés et profiter des solutions existantes. Parfois, des anomalies sont visibles dès la grossesse à l’échographie : le squelette du fœtus est mal minéralisé, la croissance des os est insuffisante, les fémurs sont courts ou courbés. Dans ce cas, la femme en ceinte doit être orientée très tôt vers un centre de diagnostic spécialisé pour anticiper les éventuels problèmes de détresse cardiaque ou respiratoire, neurologique ou métabolique pouvant compromettre le pronostic vital ! Dans la petite enfance, on note une déminéralisation, des déformations osseuses avec ostéomalacie, fractures, rachitisme, hypotonie et parfois une craniosténose... Dans l’enfance et l’adolescence, retard de croissance, difficultés à la marche, déformation des jambes, fatigue, fissures, fractures répétées avec difficultés de consolidation et des douleurs. Et, à l’âge adulte, des fractures traumatiques ou spontanées, des microfissures, de la fatigabilité, des douleurs chroniques ou des problèmes dentaires, avec selon l’âge d’apparition de la maladie, des aspects psychologiques.
Commentaires de Steve Ursprung, Hypophosphatasie Europe
Depuis 2004, l’association Hypophosphatasie Europe favorise la diffusion de la connaissance sur cette pathologie et lutte contre l’errance diagnostique des patients. En fédérant tous les spécialistes (os, dents, génétique), la prise en charge globale du malade est optimale. L’association a participé à la mise en place des Plans nationaux maladies rares 1, 2 et 3, à la labellisation de trois centres de référence, puis à la création des deux filières de santé. Sur le plan scientifique, la priorité a été de financer des projets de recherche et d’organiser deux symposiums internationaux dont le corollaire a été le développement d’une thérapie par substitution enzymatique ! Beaucoup reste encore à faire : diagnostiquer plus rapidement, mieux suivre les patients, enrichir les bases de données, chercher des alternatives thérapeutiques et faire aboutir la piste thérapie génique
Des experts vous conseillent
Pour les enfants et adultes : Centre de référence des maladies rares du métabolisme du calcium et du phosphate, Hôpitaux universitaires Paris-Sud, Bicêtre, www.maladiesrares-calcium-phosphore.com
Pour les enfants : Centre de référence des maladies osseuses constitutionnelles (MOC), Hôpital Necker-enfants malades, Paris
Dr Geneviève Baujat, cf.moc@nck.aphp.fr
Pour les adultes : site constitutif, service de rhumatologie de l’hôpital Cochin, Paris
Pr Christian Roux, www.filiere-oscar.fr/personne/christian-roux
Expertise dentaire : centre de référence des maladies rares orales et dentaires (O-RARES), HUS Strasbourg. Pr Agnès Bloch-Zupan, o-rares@chru-strasbourg.fr
Expertise diagnostic moléculaire : Laboratoire de génétique constitutionnelle et postnatale, CH Versailles (78150), bsimon-bouy@ch-versailles.fr – emornet@ch-versailles.fr
ORPHANET : www.orphanet.net
MALADIES RARES INFO SERVICES : www.maladiesraresinfo.org
HYPOPHOSPHATASIE EUROPE : www.hypophosphatasie.com
Collection FOCUS de la Société française de pédiatrie : focus 10 « Hypophosphatasie » et focus 15 : « Hypophosphatasie : le rôle du chirurgien-dentiste ».