Une paralysie cérébrale. La détection précoce peut être facilitée par l’observation des mouvements spontanés, la posture et le comportement du nouveau-né : surinvestir une main au détriment de l’autre n’est pas un signe de latéralité manuelle physiologique mais un signe d’alarme.

Témoignage de Christèle, la mère de Philippine

Notre fille Philippine a fait un accident vasculaire cérébral (AVC) in utero non diagnostiqué à la naissance, avec pour conséquences une hémiplégie droite et une hémianopsie homonyme latérale droite (amputation du champ visuel droit).
Philippine est notre deuxième enfant et, très tôt, dès ses 2 mois, nous remarquons qu’elle ne passe pas les étapes de développement comme sa grande sœur. Elle interagit peu avec son entourage et surtout elle garde sa petite main droite très souvent fermée et ne l’utilise pas. Quand nous démarrons la diversification alimentaire, nous nous étonnons du peu d’intérêt qu’elle manifeste face à cette découverte : elle conserve un réflexe d’extrusion et ne semble pas éprouver beaucoup de plaisir à découvrir de nouveaux goûts.
Malgré plusieurs alertes auprès de plusieurs pédiatres qui se sont toujours montrés très rassurants, c’est en allant sur internet à ses 7 mois que nous avons nous-mêmes posé le diagnostic de notre fille en un clic. En effet, avoir « un poing fermé avec le pouce recroquevillé dans le creux de la main » et « une utilisation réduite d’un côté du corps » figure en tête des signes de l’AVC infantile. À 8 mois, le verdict tombe : Philippine a une hémiplégie droite, elle est évaluée à 4 mois d’âge sur le plan moteur.
Juste après la confirmation du ­diagnostic, nous avions prévu un voyage de 3 semaines au Canada. Nous décidons de le maintenir et d’y démarrer la rééducation, pour ne pas perdre de temps. Philippine est alors suivie en kinésithérapie pour sa motricité globale et en ergothérapie pour travailler son membre supérieur atteint ainsi que ses troubles sensoriels. Elle bénéficie aussi d’une prise en charge oro-motrice pour ses troubles de l’oralité et de la déglutition. L’équipe thérapeutique canadienne préconise aussi de la guidance parentale, avec des exercices à répéter régulièrement à la maison : au total, 90 minutes de travail par jour, pour profiter au maximum de la plasticité cérébrale.
À notre retour à Paris, quand nous avons voulu poursuivre la rééducation, nous avons été très étonnés de la différence de discours : on nous proposait deux séances de kinési­thérapie par semaine, et il ne fallait surtout pas en faire trop pour ne pas fatiguer l’enfant. Pour l’orthophonie et l’ergothérapie, on nous conseillait d’attendre que Philippine ait 2 ans.
Avec un tel écart de discours, nous décidons d’organiser nous-mêmes la rééducation de notre fille en nous entourant de thérapeutes qui partagent notre vision. En tant que parents, notre grand regret est d’avoir le sentiment d’avoir perdu du temps à chaque fois. Pour nous, cela représente des pertes de chance. Nous sommes persuadés que si le diag­nostic de l’AVC avait été posé plus précocement, nous aurions pu démarrer la rééducation très tôt alors que la plasticité cérébrale était ­potentiellement maximale. Aujour­d’hui, face aux preuves scientifiques en la matière, les mentalités ont commencé à changer.

Commentaire du Pr Bernard Dan

L’expérience de la maman de Philippine pose plusieurs questions importantes au praticien. D’abord, elle lui rappelle l’adage « Il faut écouter la maman » – en fait, la famille –, avec son vécu et ses doutes. Ensuite, elle l’interroge sur la nature et l’utilité du diagnostic. Le diagnostic de paralysie cérébrale apporte des réponses médicales sur « le fonctionnement de l’enfant ». Il confirme la nécessité d’une prise en charge spécifique, souvent multidisciplinaire. Il indique que la situation évoluera mais ne se normalisera pas, et affirme qu’elle n’est pas dégénérative. Ce diagnostic est descriptif, c’est-à-dire qu’il invite impérativement à chercher une cause (ici un AVC anté­natal). Il est essentiellement clini­que, fondé sur l’anamnèse et l’examen neurologique, avec une attention particulière au tonus musculaire (surtout l’hypertonie des membres), à la variabilité et à la sélectivité des mouvements. Il nécessite donc une bonne connaissance du développement du jeune enfant et de ses déviations. Par exemple, surinvestir une main au détriment de l’autre n’est pas un signe de latéralité manuelle physiologique, mais constitue un signe d’alarme avant l’âge de 18 mois.
Il peut être difficile d’établir le diag­nostic de paralysie cérébrale chez le nourrisson (les enfants qui en ont « guéri » ne l’avaient sans doute pas au départ1). Néanmoins, il faut souligner l’importance de la prise en charge précoce afin d’optimaliser le développement et les aptitudes.2 Par conséquent, il est déterminant de reconnaître cliniquement les enfants à risque de paralysie cérébrale et de leur proposer une prise en charge adéquate avant même que le diagnostic soit confirmé au-delà de l’âge de 2 ans. La détection précoce peut être facilitée par l’observation des mouvements spontanés, la posture et le comportement du nouveau-né, ainsi que la neuro-imagerie.
De nombreux thérapeutes ont développé une expertise dans le traitement. Il n’y a cependant pas de consensus actuellement sur les traitements les plus adéquats. L’expérience comparée de la mère de Philippine sur le continent américain et en France illustre cette situation : il existe actuellement un débat sur la valeur de l’intensité et d’autres aspects des interventions proposées.3 Ce qui est universellement reconnu, c’est l’importance d’énoncer des objectifs thérapeutiques précis dans le cadre du modèle biopsychosocial de l’Organisation mondiale de la santé.4
Enfin, le cas de Philippine rappelle que la paralysie cérébrale est une affection complexe, où d’autres troubles doivent attirer notre attention à côté de ceux de la motricité. 

Encadre

La Fondation paralysie cérébrale, au cœur de la recherche

La paralysie cérébrale est la déficience motrice la plus courante chez l’enfant. Ce handicap résulte de lésions irréversibles survenues sur le cerveau du fœtus ou du nourrisson, dues à la destruction de certaines cellules du cerveau en développement, et que l’on ne sait pas encore réparer. Ces lésions provoquent un ensemble de troubles du mouvement ou de la posture, souvent accompagnés de difficultés cognitives ou sensorielles affectant les apprentissages avec des conséquences tout au long de la vie. Les causes sont principalement les cas d’infection ou de maladie pendant la grossesse, de grande prématurité ou d’accouchement difficile, ou encore de maladie pendant les premiers mois de la vie de l’enfant.

La paralysie cérébrale concerne 1 naissance sur 570, soit environ 1 500 nouveau-nés par an. Elle touche 125 000 personnes en France, et chaque famille peut être concernée.

Créée en 2005, la Fondation Paralysie Cérébrale a pour vocation de promouvoir et soutenir la recherche sur la paralysie cérébrale, œuvrer pour la qualité des soins et la diffusion des connaissances et des bonnes pratiques.

L’identification précoce des enfants à risque de développer de tels troubles dans les premiers mois ou années de vie est une condition préalable pour l’implémentation de programmes d’interventions précoces dont l’objectif est d’empêcher ou de minimiser les conséquences motrices, cognitives, émotionnelles des atteintes du cerveau en développement et de favoriser ainsi leur autonomie et leur participation.

C’est dans ce contexte que la Fondation Paralysie Cérébrale soutient la recherche, par un appel d’offres qui évaluera des projets de grande ampleur visant à améliorer les capacités diagnostiques et/ou le dépistage précoce de la paralysie cérébrale, de ses troubles associés, de la période prénatale à la fin de l’adolescence. Le projet qu’elle financera sera choisi fin 2020 en s’appuyant sur les recommandations d’experts indépendants ainsi que de son conseil scientifique.

Références

1. Nelson KB. ‘Outgrowing’ a cerebral palsy diagnosis. Dev Med Child Neurol 2020;62:12.
2. Dan B. Neuroscience underlying rehabilitation: what is neuroplasticity? Dev Med Child Neurol 2019;61:1240.
3. McCoy SW, et al. Physical, occupational, and speech therapy for children with cerebral palsy. Dev Med Child Neurol 2020;62:140-6.
4. Organisation mondiale de la santé. Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé. https://bit.ly/35How2w

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