Les fluctuations cognitives, de vigilance ou comportementales sont caractéristiques de la maladie mais souvent incomprises par les aidants et négligées par les médecins.
Vivre avec…
Témoignage de Doris, aidante de son mari, 76 ans
La maladie à corps de Lewy a été diagnostiquée chez mon mari en 2016. Avant même cette date, j’avais constaté des changements brusques et sans cause apparente dans son comportement. D’un jour à l’autre, ou d’une minute à l’autre, il pouvait être complètement différent.
Un jour où j’étais absente, il était prévu que les infirmières passent plusieurs fois par jour dans la maison où il était seul. Je lui ai téléphoné plusieurs fois. Nous avons évoqué son repas, il m’a parlé du livre qu’il était en train de lire. Tout allait très bien. Mais deux heures plus tard, j’essayai de le rappeler, en vain. L’infirmière que j’avais alertée s’est précipitée à la maison pour le trouver prostré, angoissé, perdu derrière la porte, parlant de voleurs, de bruits… Il avait coupé la ligne téléphonique.
Deux heures plus tard, après un petit moment de repos, il avait retrouvé un comportement tout à fait normal et avait tout oublié de cet épisode.
Un autre jour, alors que la soirée avait été très difficile, il était perdu, ne savait plus où il était. Il marchait péniblement. Je l’avais aidé à se coucher. Je m’installais dans la pièce à côté pour ranger quelques papiers quand je l’ai soudain vu arriver : il n’arrivait pas à dormir et s’inquiétait de ce que je faisais. J’étais stupéfaite. Nous avons alors eu une conversation tout à fait normale. Une autre fois, alors que je cherchais les papiers de la voiture et qu’il était pratiquement prostré dans notre salon, je l’entendis me dire : « Ils sont dans le tiroir de gauche du secrétaire. Tu les as rangés là la semaine dernière ». Brusquement, il était présent, se souvenant de ce que j’avais oublié, alors que l’instant d’avant j’étais sûre qu’il était complètement absent.
Un des moments les pires fut quand il a été hospitalisé pour une petite intervention de routine, le personnel soignant était bien sûr prévenu que mon mari était malade. Pourtant, un jour, une aide-soignante me dit : « On voit bien que votre mari, il simule ». Elle n’avait pas cru que les fluctuations pouvaient être d’une telle ampleur.
C’est difficile à vivre pour l’entourage. C’est d’autant plus difficile, que devant le médecin, en consul- tation, il est toujours très bien, au moins en apparence. Je me sou- viens d’une consultation où juste avant il ne savait pas où l’on était et ce qu’on allait faire et, à la fin de la consultation, le médecin disant : « Je suis content, je trouve que vous allez plutôt bien… ». De retour à la maison, mon mari me prenait pour quelqu’un d’autre…
On ne sait jamais à quoi s’attendre, ni pourquoi il y a ces grands changements. Au début, je pensais que c’étaient les traitements ou les modifications de traitement qui entraînaient ces grandes fluctuations, mais je me suis rendu compte que cela n’avait rien à voir. Avec le même traitement sur le long terme, son comportement est toujours imprévisible. J’essaye de me dire qu’au moins, quand il y a des bons moments, il faut en profiter.
Commentaire du Pr Frédéric Blanc
Des fluctuations ?
Les fluctuations sont le symptôme clé que tout médecin doit chercher face à des troubles cognitifs. La maladie à corps de Lewy représente 10 à 20 % des patients ayant des troubles cognitifs importants, il faut donc savoir reconnaître ce symptôme et surtout aller le rechercher, afin de mieux diagnostiquer cette maladie. En effet, ce symptôme est souvent considéré par le patient et ses proches comme normal car faisant partie des troubles cognitifs en général, alors qu’en réalité il est spécifique d’une maladie. Les fluctuations peuvent être impressionnantes, comme dans le cas du mari de Doris, à tel point que médecins et soignants peuvent ne pas y croire et « psychologiser » ce symptôme (simulation, psychogène, hystérie...) ; mais elles peuvent aussi être discrètes et se résumer à des fluctuations de l’attention, lors d’une conversation par exemple, et ce parfois uniquement de quelques secondes – mais souvent de façon répétée. Les fluctuations peuvent être cognitives et/ou de vigilance. Lors de l’interrogatoire du patient et de ses proches, il faut poser les questions suivantes : « Vous arrive-t-il de somnoler en journée alors que vous avez bien dormi la nuit d’avant ? Dormez-vous ou faites-vous une sieste de plus de 2 heures ? Vous arrive-t-il d’avoir le regard fixe pour de longues périodes ? Vos idées ou votre langage a-t-il tendance à s’embrouiller, à être moins clair à certains moments ? ». Si le patient, ou plus souvent le proche, répond favorablement à 3 de ces questions sur les 4, le diagnostic de maladie à corps de Lewy est très probable. De façon intéressante, les fluctuations dans cette maladie ne sont pas cantonnées à la cognition et la vigilance, et fréquents sont les patients et les proches qui décrivent des fluctuations émotionnelles (tristesse majeure, puis amélioration...), des fluctuations de comportement (hallucinations à certains moments et pas à d’autres, agressivité varia- ble...), des fluctuations physiques avec des moments de blocage de la marche, de la parole (épisodes de dysphonie...), ou de la déglutition.
Expliquer pour mieux vivre
Au début de la maladie le patient souffre de ces fluctuations, ensuite c’est plus volontiers le proche qui en souffre et qui surtout est dans l’incompréhension. Le rôle du médecin est ici majeur pour le patient et ses proches pour leur expliquer le rapport entre les fluctuations et la maladie, et ainsi leur permettre de mieux l’accepter. Dans le cas du mari de Doris, ne pas intégrer le symptôme « fluctuation » dans la maladie rend le malade « fautif » et peut ainsi majorer sa souffrance et celle de ses proches.
Quelques traitements
Il n’existe pas à ce jour de traitement permettant de supprimer les fluctuations. Pour autant, les anticholinestérasiques (donépézil), malheureu- sement déremboursés récemment, permettent de diminuer un peu les fluctuations (l’absence de contre- indication notamment cardiaque doit évidemment être vérifiée auparavant). Pour les fluctuations des troubles du comportement, la clozapine à petites doses (le plus souvent 1/4 cp de 25 mg) est particulièrement utile. Pour les fluctuations de l’humeur, un antidépresseur –w inhibiteurs de la recapture de la sérotonine ou de la sérotonine-noradrénaline, tétracyclique (miansérine, mirtazapine...) ou parfois un inhibiteur de la monoamine oxydase – est souvent nécessaire. Compte tenu de la sensibilité des patients atteints de la maladie à corps de Lewy à tout traitement psychotrope, il faut commencer aux doses les plus faibles et augmenter très progressivement quel que soit le médicament.
L’imprévisibilité des symptômes de la maladie est un facteur de souffrance majeur pour le patient et ses proches ; ces fluctuations peuvent apparaître d’une minute à l’autre, d’une heure à l’autre, d’un jour à l’autre, d’une semaine ou d’un mois à l’autre. Elle doit être connue des soignants, être explicitée au patient et à ses proches, afin de diminuer la charge mentale liée à la maladie à corps de Lewy.
La maladie à corps de Lewy est, en France, encore très mal diagnostiquée. Pour 60 000 malades diagnostiqués, il y aurait probablement 120 000 malades non diagnostiqués. Cette maladie neurologique est apparentée à la maladie d’Alzheimer ou à la maladie de Parkinson. Le diagnostic initial est presque toujours l’une de ces deux maladies. Les fluctuations constituent, avec les troubles du comportement en sommeil paradoxal, les hallucinations, les défauts d’attention ou des symptômes parkinsoniens, un des principaux critères de diagnostic, mais elles passent très souvent inaperçues lors d’une simple consultation. C’est souvent l’entourage qui est le mieux à même de percevoir ce symptôme. Les aidants des malades à corps de Lewy peuvent trouver du soutien auprès d’un réseau spécifique, soutenu par les associations France Alzheimer et France Parkinson :
www.aidantsmcl.fr et contact@aidantsmcl.fr
Voir dans notre numéro précédent :
Verny M. Démence à corps de Lewy. Rev Prat 2018;68:771-4.