Une polyarthrite rhumatoïde. La question du handicap, visible ou invisible et multifactoriel, reste d’actualité malgré des traitements efficaces dont l’enjeu est notamment le pronostic fonctionnel.
Témoignage de Joël
Je vis avec une polyarthrite rhumatoïde depuis 23 ans. Ma maladie a débuté en 1997 par des douleurs importantes, des raideurs articulaires des membres supérieurs et inférieurs. J’apprendrai bien plus tard qu’il y avait un terrain et une susceptibilité familiale, une origine génétique à cette maladie auto-immune, on peut alors parler d’origine héréditaire (grand-mère maternelle).
Diagnostiquer cette polyarthrite rhumatoïde et organiser les traitements a été un parcours long et difficile : un véritable parcours du combattant pour faire entendre mes symptômes, leurs conséquences en termes de douleur et de handicap. Après quatre années de rendez-vous chez différents spécialistes (neurologue, radiologue, etc.) et deux opérations de kystes poplités par arthroscopie, mon médecin de famille m’a dirigé vers un rhumatologue.
Dès la première consultation, le rhumatologue, d’après les éléments de dossier présentés, l’interrogatoire et l’examen de mes articulations douloureuses, a constaté des symptômes et des signes évoquant la polyarthrite rhumatoïde. Il a été alarmé par mon état physique, mes douleurs et mon incapacité à bouger les articulations, notamment des membres inférieurs ! J’étais en effet très enraidi, « coincé de partout » avec une attitude penchée, corps fléchi en avant, ce qu’on peut qualifier de « plié en deux ». Après son examen médical, une hospitalisation « dès le lendemain » a été décidée en urgence, dans un service de rhumatologie. Du fait des lésions importantes des articulations et des douleurs liées au processus inflammatoire, cette hospitalisation a été prolongée pour faire des bilans et mettre en place un traitement lourd.
Le diagnostic de polyarthrite rhumatoïde a été posé après des années d’errance et de douleurs, avec malheureusement des atteintes articulaires graves. Bien sûr, désormais, je suis sous le régime d’une affection de longue durée (ALD) et d’une prise en charge à 100 %. J’ai, dans la suite logique de mes handicaps, déposé une première demande auprès de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH), afin de pouvoir bénéficier d’aides et d’une organisation logistique.
Les traitements mis en place au début n’ont pas donné les résultats attendus et ont été mal tolérés. C’est le cas du premier traitement institué, pendant six mois, la Salazopyrine, qui a provoqué des effets indésirables, amenant à l’interrompre. Dans un deuxième temps, un traitement par méthotrexate, cortisone, et/ou médicaments anti-inflammatoires a été institué.
Je souhaite insister sur les années passées en attente d’un diagnostic pendant lesquelles j’ai même été traité par antidépresseurs et somnifères. Je plaide pour le rôle du médecin généraliste qui, à mon sens, est de repérer bien en amont les symptômes importants et rebelles, et d’adresser le patient plus rapidement à un spécialiste. Je plaide aussi pour une meilleure prise en charge des douleurs, mieux les écouter et mieux les traiter.
Mon chemin personnel et professionnel a été très perturbé par la polyarthrite rhumatoïde et des décisions ont dû être prises pour encadrer ce cheminement, en particulier pour adapter mon exercice professionnel. Dès la troisième année qui a suivi son diagnostic, j’ai été mis en invalidité de première catégorie par le service médical de la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM). Progressivement, mes handicaps aux déplacements, à la marche et aux gestes quotidiens, se sont aggravés, y compris pour exercer ma profession, que je n’ai d’ailleurs jamais abandonnée, et pour effectuer toutes les actions de la vie quotidienne. Je marche avec une canne depuis plus de dix ans, aide dont je suis dépendant ; je juge que c’est inélégant mais indispensable pour mon autonomie et ma mobilité. Je suis désormais en invalidité de deuxième catégorie du fait des difficultés à me mouvoir, sachant que les douleurs articulaires et les douleurs de membres restent très présentes et difficiles à juguler.
Dans la polyarthrite, le problème des douleurs est important, ainsi que la fatigue, très présente. Malgré les traitements pour les symptômes douloureux, ces problèmes ne sont pas résolus, je souffre encore de fortes douleurs invalidantes et reste fatigable très rapidement. Avec mon diplôme de menuisier et compagnon du devoir, j’ai exercé la menuiserie pendant quelques années puis j’ai dû renoncer, du fait de mes mains handicapées. J’ai alors pu intégrer une caisse primaire de sécurité sociale, sur un poste d’homme d’entretien, électricité et menues tâches. J’ai ainsi pu travailler longtemps, puis j’ai dû adapter mes activités personnelles et professionnelles. Ma reconnaissance en qualité de travailleur handicapé (RQTH) a permis mon reclassement sur un poste administratif. Lors du dernier renouvellement de mon dossier à la MDPH, on m’a proposé de bénéficier d’une classification donnant droit à l’allocation adulte handicapé (AAH). Malheureusement, je ne peux ni en bénéficier ni la percevoir, du fait de mes revenus, supérieurs à 900 euros. Je suis donc actuellement dans le cas de nombreuses personnes en situation de handicap important, contraint de gérer mes difficultés liées aux handicaps de manière autonome. Je ne peux plus exercer professionnellement et serai déclaré à la retraite en 2023.
Malgré la polyarthrite rhumatoïde, qui a surgi dans mon existence, j’ai pu conserver une vie personnelle et professionnelle autant que possible, au prix d’efforts durables, répétés chaque jour pendant toutes ces années. Cela ne m’a jamais découragé, notamment de m’investir activement auprès de l’AFLAR, sans discontinuer et sur différentes fonctions, depuis 1998. Je souligne l’importance d’une telle association. On y trouve de la convivialité, du partage, des réflexions et des actions au bénéfice des malades et de leur entourage. C’est essentiel quand on souffre d’une maladie chronique grave comme la polyarthrite rhumatoïde.
Commentaire de Laurent Grange, Président de l’AFLAR rhumatologue au CHU Grenoble-Alpes
Le diagnostic de la polyarthrite rhumatoïde (PR) sonne encore comme un véritable cataclysme pour les patients. La plupart d’entre eux ont vu leur vie personnelle et professionnelle bouleversée par les symptômes de cette maladie, par la peur de l’avenir et la crainte de la lourdeur des traitements.
Objectif rémission
Dans la polyarthrite rhumatoïde comme dans bien d’autres maladies, un traitement est plus efficace s’il est démarré à un stade précoce. En cas de symptômes évoquant une PR, il faut donc adresser le plus rapidement possible, dans les premiers mois, le patient à un rhumatologue. On parle d’urgence thérapeutique, en effet tout l’enjeu est le pronostic structural et fonctionnel et nous avons les moyens, dans l’arsenal thérapeutique de la PR en 2022, d’éviter toutes les destructions articulaires et de permettre une vie normale en obtenant une rémission !
Des symptômes invisibles, dont la fatigue
Les gestes du quotidien peuvent être difficiles pour les patients dont la PR est encore active : tourner sa clé dans la serrure, ouvrir une boîte de conserve, s’habiller, marcher… Par ailleurs, même en rémission, de nombreux symptômes invisibles peuvent persister, comme les douleurs résiduelles ou la fatigue, sachant que la majorité des malades ressentent cette fatigue au quotidien ! Il faut aussi parler de l’angoisse de l’avenir. Elle impacte la vie des patients qui n’osent pas toujours en parler à leur entourage ou à leur médecin.
Ne plus souffrir au-delà même de la rémission : c’est l’objectif prioritaire exprimé par les personnes souffrant de PR dans l’étude Qualibra de 2017*. En second lieu, ils aspirent à une réduction de la fatigue et à une amélioration du bien-être physique.
La fatigue est un symptôme à part entière de la polyarthrite rhumatoïde. Elle constitue une plainte très fréquente des malades, qui doivent apprendre à vivre avec au quotidien. Si un traitement de fond efficace l’atténue en principe, elle persiste parfois malgré cela.
La fatigue est généralement multifactorielle. Peuvent être en cause : l’inflammation chronique et l’activité même de la maladie, qui comporte des réveils nocturnes ; l’anxiété ou la dépression contemporaines d’une maladie chronique ; des comorbidités, telles que l’anémie inflammatoire, le diabète, l’hypertension…, ainsi qu’une mauvaise alimentation ; les traitements de fond eux même, dans une certaine mesure ; et le contexte social ou professionnel.
En réalité, la fatigue ressentie dépend beaucoup de la situation de chaque personne : manière dont il/elle vit ou gère sa maladie, incompréhension de la part de l’entourage, écoute des professionnels de santé, adaptée ou non aux attentes des patients, difficultés liées à la lourdeur des traitements par perfusions, auto-injections…
Une bonne hygiène de vie aide à composer avec la polyarthrite rhumatoïde. Une activité physique adaptée régulière doit être préconisée (sauf poussées), en préférant des séances plus courtes, mais plus fréquentes, à de longues séances hebdomadaires. Une surcharge pondérale peut être délétère, du fait de l’inflammation chronique qu’elle génère. Une alimentation équilibrée et la surveillance du poids font donc partie des objectifs. Des recommandations récentes de la Société française de rhumatologie sont disponibles à ce sujet.
Les traitements non médicamenteux sont essentiels
Pour une bonne prise en charge de la maladie, l’équipe pluridisciplinaire dispose d’un ensemble de moyens :
– les traitements symptomatiques ;
– les traitements de fond ;
– les traitements locaux (synoviorthèse par exemple) ;
– les traitements de la fonction : kinésithérapie, balnéothérapie, ergothérapie, orthèse de fonction ou de repos, aides de type attelle, chaussures orthopédiques, canne..., selon le stade de la PR, activité physique adaptée ;
– l’éducation thérapeutique, fondamentale, incluant les conseils d’hygiène de vie (activité physique régulière, arrêt du tabac, alimentation équilibrée, etc.), assortie selon les cas d’un soutien psychologique ou d’un accompagnement socioprofessionnel, et la mise à jour des vaccinations ;
– le dépistage et la prise en charge des comorbidités qui, sinon, expliquent en grande partie la diminution de l’espérance de vie des patients et patientes ;
– enfin la chirurgie, de moins en moins nécessaire grâce au meilleur contrôle des destructions structurales.
L’objectif commun consiste à réduire ou supprimer les poussées, contrôler les destructions articulaires et les comorbidités afin d’améliorer la qualité de vie du malade.
Le rôle du médecin généraliste, pour détecter la maladie et, en coordination avec le rhumatologue, suivre le patient, est fondamental.
1Essais cliniquesNDLR : * Enquête Qualibra : l’objectif de cette étude réalisée en 2017 auprès de 504 patients atteints de PR et traités par biothérapie depuis au moins un an était d’évaluer leur qualité de vie au quotidien (enquête avec le soutien institutionnel des laboratoires SANOFI). Source : https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2020-07/aflar_contribution_remsima_ct18433.pdf
Intervenir tôt pour contrôler la maladie
Raideurs matinales, douleurs, augmentation de volume et parfois déformations articulaires, la polyarthrite rhumatoïde (PR) est due à une réaction inflammatoire excessive de l’articulation, au niveau de la membrane synoviale, elle-même due à une réponse immunitaire incontrôlée. Des facteurs hormonaux, génétiques et environnementaux favoriseraient son déclenchement, sans que leur implication soit parfaitement élucidée.
La PR débute le plus souvent par un enraidissement douloureux de plusieurs articulations, généralement les poignets, les mains et les doigts, qui augmentent de volume. S’agissant d’une maladie inflammatoire, les symptômes prédominent en fin de nuit et le matin. L’enraidissement cède après plusieurs dizaines de minutes de dérouillage matinal. Souvent, fatigue, lassitude ou perte d’appétit accompagnent les douleurs.
Pour lutter contre la douleur, l’inflammation, le désordre immunitaire, plus le traitement commence tôt, plus les chances de contrôler l’évolution de la maladie augmentent. Les traitements médicamenteux se sont enrichis. Ils permettent de stabiliser durablement la PR et d’améliorer la qualité de vie au quotidien. Ils contribuent à favoriser les périodes de rémission, à éviter les atteintes articulaires, à empêcher les poussées évolutives, à lutter contre la douleur et l’inflammation, à prévenir les déformations et à améliorer les fonctions articulaires. Les solutions médicamenteuses comportent des antalgiques, des anti-inflammatoires non stéroïdiens et parfois des corticoïdes (mais le moins longtemps possible), ainsi qu’un ou plusieurs traitements de fond, selon les patients, dont le méthotrexate et les biothérapies, pour réduire l’activité et/ou la sévérité de la maladie. Ces derniers appartiennent aux familles suivantes : les anti-TNFalpha, les anti-IL 6, les anti-CD20, les CTLA4-Ig, les ANTI jak (traitements de fond chimiques ciblés).
Une surveillance est instaurée dès la mise en route des traitements, afin de s’assurer de leur tolérance et de leur efficacité. Pour estimer cette dernière, un critère chiffré est retenu : le DAS28, score d’activité de la maladie. Il se fonde sur une formule intégrant le nombre d’articulations douloureuses, le nombre d’articulations gonflées, une évaluation chiffrée de l’activité de la maladie ressentie par le malade et la vitesse de sédimentation.
Les bactéries qui colonisent l’organisme pourraient également être à l’origine de développements thérapeutiques. Des anomalies du microbiote intestinal associées à la PR ont en effet été mises en évidence, en particulier une moindre diversité microbienne et un appauvrissement en firmicutes, bactéries connues pour leurs propriétés immuno-régulatrices. Le microbiote buccal est également suspecté, du fait de la fréquence des périodontites sévères chez les patients atteints de polyarthrite rhumatoïde, ou encore de la présence d’ADN de Porphyromonas gingivalis dans le liquide synovial de certains d’entre eux. Corriger ces anomalies pourrait améliorer l’immunité des patients dans l’avenir.
Des thérapies cellulaires font également l’objet de recherche : lymphocytes T régulateurs, cellules souches au potentiel anti-inflammatoire ou réparateur tissulaire, cellules souches mésenchymateuses, etc.