Selon plusieurs travaux conduits notamment aux États-Unis, la mortalité cardiovasculaire est plus élevée chez les personnes vivant en zone rurale, par rapport aux zones urbaines. Mais ces disparités dans la mortalité sont-elles liées uniquement à une moins bonne prise en charge des pathologies CV, ou bien reflètent-elles une plus forte incidence de ces maladies à l’origine ? Pour répondre à cette question, une équipe de chercheurs a mené une vaste étude observationnelle dans le sud-est états-unien entre 2002 et 2016, afin d’établir si la ruralité était associée à un risque accru d’insuffisance cardiaque, indépendamment des autres facteurs de risque CV et des condition socio-économiques.
Ils ont recruté 27 115 participants sans insuffisance cardiaque à l’inclusion (âge médian : 54 ans ; 62,5 % de femmes ; 68,8 % d’Afro-américains) dont 20 % résidaient dans des communes rurales. Il s’agissait principalement de populations défavorisées économiquement, les données provenant de l’organisme fédéral qui administre les programmes Medicare et Medicaid (sécurité sociale destinée respectivement aux personnes âgées de plus de 65 ans et aux personnes à faibles revenus). Les données démographiques, socio-économiques et de santé – dont antécédents médicaux et comorbidités (HTA, AVC, diabète, maladie coronaire, hyperlipidémie, IMC, dépression…), hygiène de vie (tabagisme, habitudes alimentaires, activité physique…) – étaient collectées au début de l’étude par autodéclaration. Les participants étaient ensuite suivis sur une durée médiane de 13 ans, pour traquer la survenue d’une insuffisance cardiaque.
L’incidence de l’insuffisance cardiaque, ajustée sur l’âge, était plus élevée chez les populations rurales que chez les urbaines : 36,5 pour 1 000 personnes-années (IC95% : 34,9-38,3) contre 29,6 pour 1 000 personnes-années (IC95 % : 28,9-30,5). Après ajustement pour les données démographiques et socio-économiques ainsi que les facteurs de risque CV (incluant le style de vie), la ruralité était indépendamment associée à un risque accru de 19 % de développer une insuffisance cardiaque (hazard ratio = 1,19 ; IC95 % : 1,13-1,26). Par ailleurs, cette association variait selon le sexe et l’origine ethnique : elle était plus prononcée pour les hommes Afro-américains (HR = 1,34 ; IC95 % : 1,19-1,51) et pour les femmes blanches (HR = 1,22 ; IC95 % : 1,07-1,39), un sur-risque était également observée pour les femmes Afro-américaines (HR = 1,18 ; IC95% : 1,08-1,28), tandis qu’il n’était pas retrouve chez les hommes blancs (HR = 0,97 ; IC95% : 0,81-1,16).
Ainsi, bien qu’aux États-Unis les populations rurales aient une plus forte prévalence de certains facteurs de risque CV (obésité, tabagisme, sédentarité, pathologies cardiométaboliques : HTA, diabète, maladie coronaire…) – ce qui était d’ailleurs reflété dans cette étude –, ces résultats suggèrent que l’association entre la ruralité et l’incidence de l’insuffisance cardiaque n’est pas uniquement la conséquence d’un plus grand risque CV des populations rurales en général. D’autres facteurs pourraient en effet entrer en jeu : par exemple, un moindre accès au système de santé, qui peut non seulement grever le pronostic des maladies, mais aussi en augmenter l’incidence faute de soins préventifs (suivi médical moins régulier, moins bon contrôle des facteurs de risque).
« Ces résultats s’appliquent probablement aussi à la France, en raison des déserts médicaux en zone rurale ; il serait intéressant d’évaluer cette question », commente la Pr Véronique Roger, dernière auteure de l’étude.
Bories MC, Bialobroda J, Bichara E, et al. Item 234. Insuffisance cardiaque de l’adulte. Rev Prat 2021;71(1);e3-10.
Nobile C. Insuffisance cardiaque systolique : de nouveaux traitements. Rev Prat 26 novembre 2020.