Chez les personnes âgées, la dénutrition provoque des complications multiples pouvant aller jusqu’au décès. Les critères diagnostiques de l’adulte n’étant pas adaptés aux seniors, la HAS vient de publier de nouvelles recos. Quels changements pour la pratique ? Quelles astuces pour « renutrir » un sujet âgé ? Quel suivi proposer ?
Trois millions de personnes en France sont atteintes de dénutrition, dont un tiers a plus de 70 ans. Or, chez les sujets âgés, la dénutrition est particulièrement préoccupante, car elle peut provoquer des complications diverses (chutes, fractures, hospitalisations, infections nosocomiales, dégradation de l’état psychologique, baisse de l’autonomie et de la qualité de vie…) pouvant aller jusqu’au décès. De plus, la perte d’autonomie et de nombreuses pathologies liées à l’âge sont elles-mêmes des facteurs de risque, instaurant ces patients dans un cercle vicieux. Les prévalences sont évaluées entre 4 et 10 % chez les personnes vivant à domicile, entre 15 et 40 % en institution et entre 30 et 70 % en établissement de santé.
Les critères de dénutrition de l’adulte ne sont pas adaptés aux personnes âgées. Le vieillissement s’accompagne d’une modification de la composition corporelle avec une diminution de la masse maigre et une augmentation de la masse grasse. Entre les âges de 20 ans et 70 ans, en moyenne, la masse musculaire diminue de 40 % tandis que l’indice de masse corporelle (IMC) augmente de 22 à 27 kg/m2. Par ailleurs, la réduction de la force musculaire seule peut traduire les effets de pathologies diverses (arthrose, maladie de Parkinson…), indépendamment du statut nutritionnel ; il est donc nécessaire d’y associer une diminution de la masse musculaire. La HAS a donc élaboré, en partenariat avec la Fédération française de la nutrition, de nouvelles recos pour diagnostiquer une dénutrition chez les seniors et évaluer sa sévérité.
Nouveaux critères diagnostiques chez les plus 70 ans
Le diagnostic de dénutrition repose sur au moins 1 critère phénotypique et 1 critère étiologique.
Les critères phénotypiques sont (1 seul suffit) :
‒ perte de poids ≥ 5 % en 1 mois ou ≥ 10 % en 6 mois ou ≥ 10 % par rapport au poids habituel avant le début de la maladie ;
‒ IMC < 22 kg/m² ;
‒ sarcopénie confirmée (cf. tableau ci-dessous ; toutefois difficile à réaliser dans la majorité des cabinets de médecine générale).
Ainsi, le MNA < 15 ou l'albuminémie < 35 ne sont plus des critères diagnostiques.
Les critères étiologiques sont les suivants (1 seul suffit) :
‒ réduction de la prise alimentaire ≥ 50 % pendant plus d’1 semaine, ou toute réduction des apports pendant plus de 2 semaines ;
‒ absorption réduite (malabsorption/maldigestion) ;
‒ situation pathologique (avec ou sans syndrome inflammatoire) : pathologie aiguë, ou pathologie chronique ou maligne évolutive.
Quels sont les facteurs expliquant un amaigrissement ?
Une fois le diagnostic de dénutrition posé, un bilan étiologique complet est préconisé car les causes peuvent être multifactorielles. Il faut d’abord rechercher les causes « simples » : iatrogénie (certains médicaments peuvent causer ou aggraver un amaigrissement : metformine, sitagliptine, bisoprolol, Kardégic, Tramadol, calcium PO, fer PO…), anomalie buccale, isolement social, affection aiguë récente, fécalome…
Évaluer la sévérité : 3 critères
Lorsque le diagnostic de dénutrition est posé, la sévérité est établie selon les seuils d’IMC ou de pourcentage de perte de poids ou d’albuminémie (1 seul critère suffit).
Amaigrissement et surpoids : le paradoxe de l’obésité
Chez la personne âgée, un IMC normal ou élevé n’exclut pas la possibilité d’une dénutrition. Un sujet obèse peut donc être sarcopénique, avec un risque de diminution des capacités fonctionnelles important. Il faut donc exclure le seuil d’IMC des critères de dénutrition et de sévérité cités ci-dessous.
Comment traiter ?
– Abolir les régimes.
– Éviter les périodes de jeûne longues (> 12 heures).
– L’alimentation doit être « équilibrée » (selon les repères alimentaires HCSP pour les personnes âgées mis à jour en 2021).
- Fruits et légumes : ≥ 5/jour
- Légumineuses : ≥ 2/semaine
- Produits céréaliers : ≥ 1/jour
- Produits laitiers : ≥ 2-3/jour
- Protéines : ≥ 1/jour
- Matières grasses : sans abus
- Produits sucrés : sans abus
- Sel : sans abus
– Enrichir les repas
On peut accroître l’apport énergétique et la densité nutritionnelle d’une ration, sans pour autant en augmenter le volume, en intégrant différents produits hautement énergétiques et/ou protidiques : poudre de lait, lait concentré entier, fromage râpé, œufs, crème fraîche, beurre fondu, huile (exemples ci-dessous).
– Proposer des compléments nutritionnels oraux
Les CNO doivent être pris si possible en plus de l’alimentation habituelle (et non à la place !). Les astuces pour motiver les patients : les prendre soit en fin de repas, soit en collation, à au moins 2 heures de distance de chaque repas. Fractionner les prises (ils se conservent 24 h au frigo). Une prise nocturne est possible. Adapter au goût du malade : sucré (les servir froids), salé, yaourt, crème, gâteau, soupe... Il est recommandé de prendre deux unités par jour.
– Promouvoir l’exercice physique, qui a une action synergique avec la renutrition : kinésithérapie motrice et/ou ≥ 30 minutes d’activité physique par jour.
Surveiller régulièrement l’état nutritionnel
Quel que soit le statut nutritionnel du patient, la surveillance requiert de :
– peser le patient à chaque consultation !
– calculer son IMC ;
– évaluer son appétit et sa consommation alimentaire ;
– déterminer sa force musculaire (mesure de la force de préhension ou test de lever de chaise).
Sa fréquence dépend du lieu de vie du patient :
– domicile : 1 fois par mois et à chaque consultation ;
– hospitalisation : à l’entrée, puis toutes les semaines si hospitalisation en MCO (médecine, chirurgie ou obstétrique) et SSR (soins de suite et de réadaptation) ;
– EHPAD ou USDL : à l’entrée puis 1 fois par mois ; elle doit être plus fréquente en cas d’événement médical (infection, chirurgie...) ou de diminution de l’appétit et des apports alimentaires.
– à la sortie des établissements.
Il convient de noter le poids mesuré (carnet de santé, dossier médical personnel, compte rendu…), ce qui permet de tracer une cinétique des paramètres de dénutrition (courbe de poids).
Cinzia Nobile et Laura Martin Agudelo, La Revue du Praticien
Pour en savoir plus :
HAS. Recommandation de bonnes pratiques – Diagnostic de la dénutrition chez la personne de 70 ans et plus. 10 novembre 2021.
HAS. Fiche – Diagnostic de la dénutrition chez l’enfant, l’adulte, et la personne de 70 ans et plus. novembre 2021.
Thietart S. Votre patient âgé maigrit, que faire ? Présentation aux Journées nationales de médecine générale 2021.
À lire aussi :
Nobile C. Sujet âgé dénutri : quelle prise en charge, en pratique ? Rev Prat (en ligne) novembre 2021.
Gross A, Raynaud-Simon A. Item 252 (ancien 250) – Troubles nutritionnels chez le sujet âgé. Rev Prat 2021;71(5);567-75.