Emmanuel Fournier était philosophe, poète et professeur de médecine et d’éthique à la Pitié-Salpêtrière. Dans cet ouvrage posthume, il propose une réflexion philosophique pour dépasser les tentations équivoques de l’éthique et aider les soignants à aborder les questions posées par leur pratique. Il s’attarde d’abord sur la signification que peuvent prendre la non-maltraitrance et la bientraitance : n’y a-t-il pas là une part de subjectivité ? et la bientraitance ne va-t-elle pas au-delà du travail consciencieux et bienveillant du soignant ? Non sans humour, l’auteur raconte ainsi avoir fait l’expérience de la bientraitance entre les mains d’une shampouineuse dans un salon de coiffure : le massage du cuir chevelu ayant incarné pour lui cette bientraitance accompagnant l’acte shampooing lui-même. Et il interroge son lecteur : ce massage n’aurait-il pas pu être vécu comme intrusif et donc maltraitant par d’autres ? Puis Emmanuel Fournier analyse les notions de compassion et d’empathie : s’apprennent-elles ? n’impliquent-elles pas le risque d’oublier les réels ressentis du patient, le soignant se les appropriant ? Et qu’en est-il du fameux empowerment actuellement en vogue ? La mise en avant de l’individu et de son libre arbitre vise-t-elle réellement à rappeler une liberté des individus ou ne les entraîne-t-elle pas dans une intériorisation des normes et devoirs sociaux et à un paradoxal infantilisme du patient culpabilisé des risques pris pour sa santé, par exemple ? Enfin, le philosophe se demande si la volonté éthique n’est pas parfois dévoyée : « Il arrive qu’elle soit récupérée dans des discours qui font passer pour éthique ce qui n’est qu’affirmation d’un ordre, d’une morale ou d’une déontologie particulière, des discours qui cherchent au fond à instaurer ou réinstaurer une autorité. » L’auteur conclut ce passionnant essai en ouvrant à d’autres réflexions : « Les questions ne demandent pas forcément qu’on leur apporte des réponses trop définitives. Seulement à être exprimées parfois, seulement à être explorées. »
Le texte est suivi de Dire mourir, un recueil de paroles de patients en soins palliatifs. K. D.
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