L’arrêt de travail, prescription à part entière et, dans certains cas, réel acte thérapeutique, n’est découvert presque uniquement qu’en exerçant. Il est peu enseigné à la fac, que ce soit comme thérapeutique ou, de façon pragmatique, pour son bon remplissage. Au mieux, c’est un item à ne pas oublier dans les réponses aux cas cliniques, mais il reste alors une coquille vide, peu explicite pour les étudiants.
Pourtant, dans la vraie vie de médecin généraliste, il faut savoir manier cette prescription. Apprendre à convaincre certains patients de s’arrêter à temps, limiter les demandes abusives, cocher les bonnes cases pour éviter les demandes de duplicata/« annule et remplace »/prolongation et non arrêt initial…. Qui n’a pas déjà demandé à ses collègues si un arrêt qui suit un congé maternité est une prolongation ou non, si celui pour allaitement difficile existe toujours, si les jours de week-end comptent dans les quatorze jours de congé pathologique lié à la grossesse... ?
Là où ce problème devient un vrai fossé entre théorie et réalité, c’est quand on passe au « pourquoi » et au « combien de temps » il faut arrêter le patient.
Sur le pourquoi : il n’est pas toujours facile de refuser à un patient qui « réclame » un arrêt pour une simple rhinopharyngite. Quand il est déjà 17 h et qu’on comprend que le patient n’est pas allé travailler, difficile de refuser… Quand il est épuisé, parfois par une multitude d’autres problèmes, compliqué aussi de refuser un arrêt de plusieurs jours même sans être persuadé de sa justification médicale.
Sur la durée : la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) est assez généreuse pour certains motifs. Pour ceux à qui cela aurait échappé, il existe en effet désormais des référentiels de durée préconisée. Petit florilège : sur le versant généreux, il est suggéré quatre à sept jours d’arrêt pour une bronchite simple et trois jours pour une gastroentérite ! La lombosciatique, en revanche, ne nécessiterait que deux jours d’arrêt pour un poste sédentaire. Alors certes, il est démontré que l’activité physique est très bénéfique pour ce type de pathologie, mais rester assis à un bureau toute la journée ne paraît pas vraiment être idéal.
Pour les situations de surmenage professionnel, c’est l’expérience qui permet de comprendre que seul un arrêt d’emblée long (3 à 4 semaines) est nécessaire, alors même que le patient est extrêmement réticent à s’arrêter. De fait, dans ces cas, l’arrêt de travail peut être source d’une intense culpabilité, souvent d’un sentiment de honte, et arrive par conséquent toujours trop tard dans la prise en charge, le patient ne pouvant l’accepter que quand ses ressources psychiques sont complètement épuisées…
La frustration du médecin n’en est donc que plus grande lorsque, au troisième mois d’arrêt, le patient est convoqué par la CPAM... Cette mission de contrôle est nécessaire et je ne la remets pas en question. Il est néanmoins difficile d’admettre que ce contrôle arrive au moment où le patient commence à aller mieux, justement grâce à cet arrêt et à la prise de recul qu’il permet. L’acceptation d’être temporairement mis sur la touche est en train de se faire et, dans ce contexte, l’interrogatoire policier téléphonique ou l’entretien parfois bref avec le médecin-conseil risque de remettre le patient à terre.
En effet, chez des sujets déjà fragilisés et particulièrement sensibles au fait de ne pas « profiter » du système – puisque souvent surinvestis dans leurs tâches professionnelles –, ce contrôle arrive au plus mauvais moment. S’ensuit alors parfois une bataille entre la CPAM, qui requiert une mise en inaptitude, et le médecin du travail, qui n’est pas forcément d’accord. Et le médecin généraliste, au milieu, qui continue de soutenir son patient envers et contre tout…
Ainsi, les situations nécessitant un arrêt sont tellement variées sur le terrain que l’on se fie aussi, en partie, à notre instinct et à notre expérience. Il est donc quelquefois difficile de supporter la volonté de nos tutelles qui analysent nos prescriptions comme des cases de tableaux Excel à remplir. Ne pourrait-on d’ailleurs pas craindre, à l’heure où les rémunérations sur objectifs prennent plus d’ampleur que jamais, que le taux d’indemnités journalières attribué à chaque médecin soit soumis à un objectif rémunéré, dans un futur peut-être pas si lointain ? Ce serait oublier qu’un patient en arrêt est forcément en souffrance, qu’elle soit physique ou psychique. Les bons élèves, qui prescriraient peu d’arrêts, risqueraient donc de passer à côté de ce mal-être…