L’un des moments incontournables de la consultation est la délivrance de l’ordonnance, qui a lieu dans plus de 90 % des consultations de médecine générale en France, alors qu’elle est bien moindre dans d’autres pays d’Europe (43 % aux Pays-Bas, où les patients sont plus rassurés quand ils repartent sans ordonnance !).1 

Est-ce le paiement à l’acte qui nous incite à vouloir forcément « donner » quelque chose de concret au patient, notre avis et nos paroles ne nous paraissant pas suffisants ?

Lorsque, rarement, le patient repart de la consultation sans médicament, sans arrêt de travail, sans certificat, sans examen à réaliser, j’éprouve, pour ma part, le besoin de le -signaler à haute voix, comme si c’était incongru, voire un oubli.

Dans un monde idéal, le contenu de l’ordonnance ne devrait pas être discuté puisque cette délivrance intervient en toute fin, quand les explications et l’échange avec le patient sont terminés. Pourtant, entre la première version sur notre logiciel et ce qui est imprimé, il y a parfois un fossé : le patient qui nous demande de changer de molécule au sein d’une même classe (pourquoi refuser ? mais pourquoi accepter ?) ; le patient qui nous fait ajouter une, deux, trois lignes… Le sempiternel non substituable dont les modalités ont d’ailleurs évolué en 2020 : exit la mention à la main avant le nom du médicament, il faut -maintenant une raison précise (marge thérapeutique étroite, contre-indication formelle), ce qui est d’ailleurs plus logique.

Le besoin que tout soit prescrit : « ma femme vous demande de rajouter le paracétamol et le Spasfon, et aussi pour les enfants, merci » (apparemment la charge mentale de l’armoire à pharmacie familiale est réservée aux femmes !). Avec derrière, parfois, un besoin de gratuité pour tout ce qu’englobe notre système de santé – sujet qui mériterait un article dédié.

On voit d’ailleurs que les prescriptions de thérapeutiques non remboursées, comme le sport, peinent à se démocratiser, et il y a donc une confusion sur la finalité : l’or-donnance se transforme davantage en une garantie de remboursement qu’en un résumé des préconisations du médecin.

Il existe aussi des ordonnances pour lesquelles nous n’avons pas vraiment de légitimité : les semelles orthopédiques à renouveler (quoique les podologues soient désormais prescripteurs), le bilan orthophonique demandé par la maîtresse, la rééducation orthoptique conseillée par l’ostéopathe… À quel moment un législateur a-t-il décidé que le médecin généraliste deviendrait le grand manitou qui superviserait la totalité des soins de ville existants ?

Notre liberté de prescription est d’ailleurs de plus en plus contrôlée par le truchement de la carte Vitale : taux de génériques à atteindre, taux d’antibiotiques –notamment ceux générateurs d’antibiorésistance –, et il est plutôt vertueux d’avoir un regard extérieur sur l’ensemble de nos prescriptions.

Il n’est jamais enseigné aux étudiants et aux jeunes médecins comment remettre une ordonnance et l’importance des explications détaillées à fournir. Or l’observance est probablement liée en grande partie à la conviction qu’a mis le médecin pour expliquer les modalités et la durée du traitement.

À l’heure du passage à l’ordonnance numérique, censée se déployer en 2024 (Ségur de la santé), ce geste sera plus sécurisé mais aussi plus contrôlé. L’importance que le patient garde un support concret des prescriptions est grande, et les médecins généralistes doivent plus que jamais garder ce lien humain qui constitue finalement la conclusion de la consultation.

Référence 
1. Enquête IPSOS Santé pour la CNAMTS, 2005.