La Revue du Praticien est fondée en 1951. En 1953, paraît la première monographie consacrée à l’hypertension artérielle, préfacée par Paul Harvier. Elle est très descriptive et précise sur les aspects cliniques de la maladie, notamment de la part de Jean Lenègre à qui l’on doit une bonne partie du numéro. Ce n’était pas le cas encore des aspects thérapeutiques comme en témoigne l’extrait publié ci-dessous du chapitre « Traitement de l’hypertension artérielle » écrit par Henri Chevalier. Tout changera 10 ans plus tard avec les publications des résultats des premiers essais contrôlés et randomisés par Hamilton et al. dans le Lancet, et Edward Freis et l’administration des Vétérans, dans le JAMA, évaluant le bénéfice d’un contrôle de l’hypertension artérielle par des médicaments comparé à l’abstention thérapeutique.1, 2 La médecine fondée sur les preuves prend son essor et le domaine de l’hypertension artérielle contient de beaux exemples de ses contributions dans de nombreuses techniques.
Dix ans plus tard, en 1973, La Revue du Praticien consacre une nouvelle monographie à la maladie et le fera ensuite régulièrement. La seconde monographie cible le contenu exclusivement sur la thérapeutique avec pas moins de 12 articles ! Nous en reproduisons ici l’introduction écrite par Joël Ménard et Paul Milliez. Il est passionnant de constater que ce texte paraît plus éloigné des conceptions de Chevalier, exprimées seulement 20 ans auparavant, que de celles qui ont cours actuellement, malgré les 45 ans qui nous en séparent et les innombrables progrès et développement enregistrés depuis. Entre-temps, et avec la publication décisive de Hamilton en 1964, l’approche thérapeutique était devenue scientifique…
En histoire des sciences, 20 ans peuvent parfois paraître un siècle… Si le texte de Joël Ménard et Paul Milliez est prophétique quant à l’implication et au rôle des médecins traitants dans la prise en charge de la maladie, on ne peut plus en dire autant de la place assignée à l’industrie pharmaceutique pour ce qui est de son rôle dans la formation permanente des médecins. On pourra admirer la prescience des auteurs quant au risque énoncé sur l’absence des pouvoirs publics et la place prise par l’industrie pharmaceutique associé au risque, dans ces circonstances, d’un manque d’objectivité de l’information. D’ailleurs, l’hypertension n’étant plus rentable depuis les génériques, l’industrie n’investit pratiquement plus dans cette maladie…
Jean Deleuze

Références
1. Hamilton M, Thompson EM, Wisniewski TK. The role of blood-pressure control in preventing complications of hypertension. Lancet 1964;1:235-8.
2. Freis E. Veterans administration cooperative study group on antihypertensive agents. Effects of treatment on morbidity in hypertension. JAMA 1967;202:116-22.

En 1953, dans La Revue du Praticien

« Traiter avec un scepticisme nuancé de bienveillance mais non d’indulgence »

 

Le traitement de l’hypertension artérielle (essentielle et maligne), par Henri Chevalier (Rev Prat 1953;3:765-73).

 

 

Extraits

La multiplicité des traitements proposés pour lutter contre l’hypertension artérielle démontre clairement que le traitement de la maladie hypertensive reste à découvrir. Il le restera d’ailleurs aussi longtemps que la cause de cette affection protéiforme demeurera inconnue. Il est rare qu’une maladie puisse être victorieusement combattue lorsque son origine est obscure. Les méthodes thérapeutiques empiriques peuvent fournir un appréciable pourcentage de succès, mais en définitive les résultats globaux sont médiocres et surtout inconstants et toujours imprévisibles. Telle est bien la longue et stérile histoire des traitements de l’hypertension artérielle essentielle. Ainsi, tant d’essais enthousiastes ont été trompés, tant de panacées ont plongé, sitôt vantées, dans le plus juste des oublis, que l’attitude raisonnable du médecin en présence de toute nouveauté thérapeutique doit être fondée sur un scepticisme nuancé de bienveillance mais non d’indulgence. Un jour viendra sans doute où le voile qui recouvre la cause de cette maladie étant enfin déchiré, ce scepticisme fondra tout naturellement, pour accueillir le réel traitement de cette affection.
Pour le présent, les traitements de l’hypertension visent trois objectifs :
– apaiser le système nerveux central ;
– contrôler le facteur neurogène centripète par les sympathectomies, sanglantes ou chimiques ;
– s’attaquer au facteur humoral en cherchant à détruire les agents chimiques presseurs, à inhiber leur formation et à accroître le flux sanguin rénal par des méthodes non spécifiques. (…)
1 – L’hypertension artérielle ancienne des sujets âgés
Très communément le médecin se trouve en présence d’un individu, homme ou femme, de 60 à 75 ans, chez lequel il relève une hypertension artérielle franche, parfois élevée, par exemple 24/12. D’ordinaire, la minima est inférieure à 14, même si la maxima dépasse 24, si bien que la pression différentielle est large. Parfois le sujet ne se plaint de rien, hypertension totalement asymptomatique, ou simplement d’une arthrose cervicale que les massages ou la radiothérapie soulagent fort bien. Souvent quelques symptômes existent : céphalées, petits troubles visuels, troubles vaso-moteurs des extrémités, dyspnée d’effort modérée. Un angor d’effort peut coexister, signalant l’association d’un athérome coronarien.
En règle, ces hypertensions sont de très ancienne date. Elles ont été notées par hasard vers la cinquantaine, voire plus tôt, à l’occasion de quelque examen systématique ou d’un contrôle préopératoire. Le bilan systématique, si souvent méconnu de trop nombreux médecins prescripteurs automatiques de drogues « hypotensives », doit porter essentiellement sur le cœur, la fonction rénale et le fond d’œil.
Au terme de ce triple bilan, le médecin parvient huit fois sur dix au diagnostic d’hypertension artérielle essentielle non évolutive avec atteinte myocardique, rétinienne et rénale modeste. En pareille circonstance, il convient de laisser le malade en paix, sans l’alarmer avec sa « tension » et sans remuer ciel et terre pour l’abaisser, oh ! combien temporairement… Il s’agit en effet de formes chroniques et fixées, qui ne détériorent l’organisme que lentement et ne raccourcissent pas de façon significative la vie de ces patients, lesquels ont atteint déjà la moyenne de la vie humaine – 65 ans – quand ils ne l’ont pas dépassée… La bonne règle est donc celle-ci :
– s’abstenir résolument de toute thérapeutique agressivement hypotensive ;
– attacher une primordiale importance à l’hygiène générale de vie, proscrire tout surmenage, mental aussi bien que physique ; conseiller une vie calme mais non claustrée, comportant l’activité sagement réduite, à laquelle tout être humain de la soixantaine devrait philosophiquement consentir pour continuer agréablement et longtemps son voyage, dans un épicurisme souriant ; faire maigrir les obèses en les confiant délibérément aux directives d’un médecin de la nutrition, car la tâche est ardue ; exiger une alimentation très peu salée et réduite en matière grasses végétales aussi bien qu’animales ; fractionner les repas ; éviter les festins congestionnants.
Quant au traitement, il doit se limiter à quelques coronarodilatateurs si l’angor est présent, aux tonicardiaques si la réserve cardiaque est entamée, ce que le cardiologue est seul capable de déterminer aux stades initiaux de la fatigue cardiaque.
2 – L’hypertension artérielle des sujets jeunes ou relativement jeunes
L’hypertension peut être découverte durant les troisième, quatrième, cinquième, sixième décades de la vie. Aux hypertendus de 50 à 60 ans, les considérations du paragraphe précédent s’appliquent à quelques nuances près, c’est-à-dire si leur maladie n’est pas évolutive. Le problème thérapeutique est beaucoup plus délicat chez les hypertendus de 20 à 50 ans. Supposant, bien entendu, que les examens de routine ont écarté toute cause curable de leur maladie, la question se pose, chez les sujets jeunes ou à l’âge moyen de la vie, de savoir si leur hypertension doit être combattue ou abandonnée à son propre sort. Question souvent insoluble. En effet, les hypertensions artérielles dites « juvéniles » se classent fort justement en deux groupes : les formes bénignes et les formes malignes, soit d’emblée, soit secondairement, par passage soudain de la variété bénigne à la variété grave (hypertension secondairement évolutive), sans, du reste, que la raison profonde de cette sévère transformation soit d’ordinaire détectable. En d’autres termes, le médecin ne sait à peu près jamais si une hypertension manifestement bénigne au départ n’adoptera pas quelque jour, proche ou lointain, une allure rapidement menaçante. Cette réserve étant bien posée, la conduite thérapeutique peut théoriquement s’inspirer du type de l’hypertension « juvénile » essentielle en cause.
a) Formes bénignes. Devant un sujet de 30 à 50 ans atteint d’une hypertension de degré modeste, disons 20/11, sans symptômes gênants ni atteinte viscérale notable, la tendance actuelle est l’abstention thérapeutique, parce que nous ne disposons pas encore de médicaments fidèlement hypotenseurs, et parce que l’opération de Smithwick constitue une bien importante décision pour un résultat incertain. La sagesse est donc de prescrire une vie relativement calme, sans surmenage physique ni mental, sans sports, un régime peu salé et modéré, le sacrifice des excitants nervins, café, alcool, la modération dans l’usage du tabac. Le traitement proprement dit se limite aux sédatifs donnés de façon discontinue. Nul doute pourtant que cette attitude contemplative n’aura qu’un temps, car son élégant scepticisme recouvre une parfaite impuissance à combattre une maladie bien réellement présente. Un jour viendra peut-être où la chimiothérapie nous armera contre cette affection potentiellement dangereuse. Il va sans dire qu’un bilan viscéral explorant cœur, fond d’œil et reins doit être ordonné tous les deux ans au moins, pour ne pas déceler trop tard le virage dangereux de ces formes bénignes vers les formes sévères.
b) Formes malignes d’emblée ou secondairement sévères. Le traitement de ces deux variétés peut être l’objet d’une même étude car toutes deux ont pour caractère commun une atteinte viscérale profonde, difficilement réversible, portant sur les artérioles, sur le myocarde, le cerveau et les reins. Devant une hypertension maligne ou sévère, le médecin doit bien comprendre que le temps presse et que tout peut être perdu par un retard de quelques mois. Lorsqu’un adulte, jeune ou d’âge moyen, a une hypertension diastolique élevée, disons 22/14, il est bien rare que le bilan viscéral n’extériorise pas une atteinte cardiaque, une rétinopathie sérieuse et parfois déjà un trouble assez profond de la filtration rénale. Après élimination d’un phéochromocytome et d’une néphropathie unilatérale, le médecin se trouve désagréablement confronté avec le traitement d’une hypertension artérielle essentielle, maligne ou sévère. Les décisions dépendent de bien des facteurs dont l’étude précise déborderait le cadre de cet article. Il est seulement permis de donner un schéma pour guider le praticien dans la compréhension des mesures que lui proposera son cardiologue.
Dans l’état présent des choses, la conduite suivante peut être raisonnablement adoptée en présence de cette variété grave de la maladie hypertensive :
– d’abord mettre le malade au lit, avec un régime strictement privé de sodium, et le soumettre à l’action des sédatifs à hautes doses, par exemple 0,10 de Gardenal, trois à cinq fois par 24 heures. Si les céphalées sont violentes, lui donner du thiocyanate de potassium ou lui injecter dans les veines, deux à quatre fois par jour, 20 à 30 cc de sérum glucosé hypertonique à 30 %, ou bien 10 à 20 cc de sulfate de magnésium à 15 %. Ces injections, très utilisées en neurochirurgie pour lutter contre l’hypertension intracrânienne, soulagent souvent remarquablement vite les atroces céphalées des hypertensions sévères. On les continue en les espaçant pendant six à dix jours ;
– lorsque dix à quinze jours ont passé, durant lesquels les examens ont été complétés, les troubles subjectifs apaisés et la réserve cardiaque si nécessaire restaurée par la digitale, le moment vient de décider si une thérapeutique plus importante doit prendre place.
(…) En pratique, une hypertension maligne ou sévère, passé le stade des deux à trois semaines d’observation, pose le problème de la chirurgie. En théorie, l’hypertension maligne constitue l’indication absolue et urgente de la sympathectomie dorsolombaire étendue (Smithwick), à la seule condition que la fonction rénale soit préservée, c’est-à-dire, en pratique, que l’azotémie soit à peu près normale. Une neurorétinopathie et une atteinte myocardique sévère, voire même une insuffisance cardiaque définie, constituent non pas un obstacle, mais bien une indication à l’intervention. L’insuffisance cardiaque avancée élève pourtant le risque opératoire. L’association d’une maladie coronarienne et d’une ischémie encéphalique extériorisée représentent des contre-indications, mais non absolues, à condition que le patient n’ait eu ni infarctus myocardique, ni ramollissement cérébral dans les trois à six mois précédents.
Si la chirurgie sympathique était une arme sûre et fidèle, on passerait bien aisément sur tous ses lourds inconvénients (deux actes opératoires non dénués de dangers, risque d’impuissance sexuelle) pour sauver la vie d’un malade aussi gravement menacé. Par malheur, nous l’avons dit, la sympathectomie est finalement une carte que l’on joue, sans certitude de gagner. Il importe pourtant de ne la point jouer trop tard car sa valeur s’amenuise certainement au fur et à mesure que se détériore l’organisme. (…)

 

En 1973, dans La Revue du Praticien

« Proposer des règles thérapeutiques sur des bases scientifiques sûres »

 

Introduction à la monographie « Traitement de l’hypertension artérielle » par Paul Milliez et Joël Ménard (Rev Prat 1973;23:637-8).

Pendant ces deux dernières années, sous l’égide d’un Comité de lutte contre l’hypertension artérielle, et avec l’aide matérielle d’une industrie pharmaceutique, des praticiens et des enseignants venus de toutes les universités françaises se sont trouvés réunis, dans les différentes grandes villes de notre pays. Ces réunions ont constitué une occasion privilégiée de réfléchir aux rapports entre les médecins universitaires, les médecins praticiens et l’industrie pharmaceutique, l’étude de l’hypertension artérielle étant un champ d’action exemplaire en vue d’établir des liens clairs et féconds entre les trois partenaires.
Maladie fréquente, l’hypertension ne peut révéler son vrai visage qu’à ceux qui la côtoient quotidiennement, les médecins praticiens. Les conversations détendues et prolongées qu’ils ont eues, par le biais de ces colloques, avec les médecins praticiens, ont conduit les universitaires à modifier leur pratique des bilans d’hypertension artérielle en les simplifiant, et en les étageant dans le temps. Les thérapeutiques ont été schématisées, rendues plus praticables. Les médications, sans trop d’effets secondaires, utilisables sur le plus grand nombre possible de malades, ont été proposées, même lorsque ces thérapeutiques ne donnent pas complètement satisfaction.
À travers ces discussions avec les médecins praticiens, sont apparues, une fois encore, les imperfections des relations entre l’hôpital et les médecins de ville. Le médecin hospitalier souhaite voir les malades après que leur médecin a mesuré et noté la pression artérielle à deux examens successifs, distants d’au moins quelques jours. L’hospitalier cherche souvent une ligne thérapeutique nouvelle et souhaite une certaine continuité dans la thérapeutique qu’il institue. De son côté, le praticien voit lui échapper définitivement des patients confiés à l’hôpital, et ce sont, en principe, les plus intéressants. Le médecin traitant reçoit une lettre lui annonçant que les examens faits ont été négatifs, qu’un traitement médical est mis en route, que ce traitement marche ou ne marche pas. Ailleurs, on lui précise bien que le traitement prescrit à l’hôpital doit être renouvelé, mais sans modification ce qui tend à minimiser sa liberté thérapeutique.
Ces difficultés nous ont conduits à chercher des solutions meilleures : les comptes-rendus d’hospitalisation sont plus détaillés. Des consultations hebdomadaires après vingt et une heures sont instaurées, où les médecins traitants souhaitant une discussion au sujet d’un hypertendu hospitalisé ou non, sont accueillis. Le plan d’investigation et de traitement devient plus rigoureux. Après le bilan initial, l’adaptation toujours délicate du traitement est assurée par des consultations hospitalières, tous les quinze jours. Puis intervient la remise en main définitive du malade au médecin traitant dès que les chiffres tensionnels sont normalisés (en moyenne trois mois de consultations hospitalières externes). La surveillance et l’adaptation du traitement sont ainsi amorcées, mais elles sont ensuite définitivement assurées par le seul médecin traitant, grâce à des consultations mensuelles d’abord, puis tous les trois à six mois. L’hôpital n’intervient plus que pour un bilan de santé tous les ans ou tous les deux ans.
Il est possible, en somme, d’affirmer que, tous, nous avons appris quelque chose grâce à ces rencontres, et que nous avons, les uns et les autres, modifié au long de ces réunions, notre attitude.
Ces rencontres qui se sont toujours voulues des discussions et non des enseignements magistraux, devaient-elles être organisées par une firme pharmaceutique ? L’industrie privée prenait manifestement en charge l’organisation matérielle de contacts entre médecins qui devraient, logiquement, être organisées par l’État ou par les médecins eux-mêmes. Le risque pouvait être, dans ces circonstances, le manque d’objectivité de l’information.
Tel ne nous semble pas avoir été le cas. Un antihypertenseur, actif et récemment découvert, a été rapidement connu grâce à l’enseignement favorisé par un laboratoire différent de celui qui diffusait ce nouveau médicament. Si une ascension plus rapide des prescriptions de tel autre médicament est notée, elle traduit un meilleur usage par le corps médical d’un produit efficace, et est au fond une récompense d’efforts méritoires et originaux. Point important, c’est l’utilisation de tous les antihypertenseurs efficaces qui a été globalement accrue, en France, au cours des deux dernières années. C’était une nécessité pour tous. C’était le but de ces rencontres pour certains.
De nombreux risques apparaissent alors. Lorsque l’on ne dispose pas de produits d’efficacité prouvée sur des maladies organiques, on peut, et certaines maisons le font, créer « un créneau » de prescription susceptible de donner au médecin un moyen pratique de calmer certaines demandes de malades dont l’organicité des troubles ne peut être clairement démontrée.
On pourrait également élargir abusivement les indications du traitement de l’hypertension et étendre de telle sorte le « marché », que près du tiers de la population française serait traitée. C’est le danger actuel essentiel. Il faut certes encore dénoncer les absences de traitement ou l’utilisation de médicaments inefficaces dans les hypertensions sévères. Mais il faut éviter aussi la mise en route de tout traitement inutile, et l’affolement de sujets bien portants, dont l’élévation tensionnelle est très modérée. Des règles thérapeutiques ne peuvent être proposées que sur des bases scientifiques sûres. Le pronostic de l’hypertension labile du sujet jeune, de l’hypertension limite de l’âge adulte, de l’hypertension du sujet de plus de 65 ans, n’est pas bien connu. La nécessité du traitement et ses modalités ne pourront être précisées qu’en fonction d’essais thérapeutiques conduits selon une méthodologie rigoureuse et difficile. Donc il n’est pas raisonnable actuellement d’étendre à ces patients dans leur totalité une thérapeutique onéreuse, astreignante et parfois dangereuse.
Tout en prenant parfaitement conscience des risques courus, nous estimons bénéfiques pour les malades les résultats d’ensemble de ces rencontres. Les conditions de ce type de contacts médicaux doivent maintenant être repensées et élargies. L’antibiothérapie, par exemple, est un des grands problèmes thérapeutiques de la médecine. Des laboratoires ont réussi la synthèse de molécules originales et efficaces. Faire assurer l’enseignement du maniement des antibiotiques avec l’aide de plusieurs laboratoires, et certainement pas d’un seul d’entre eux, c’est élargir la prescription des antibiotiques utiles, c’est mieux traiter le malade, ce n’est pas augmenter les dépenses de l’État. Celles-ci dépendent plus des excès de prescriptions, des prescriptions inutiles ou du choix délibéré du dernier sous-produit commercialisé, souvent le plus cher. L’université devrait, et elle ne le peut, faute de crédits suffisants, assumer cet enseignement. L’industrie pharmaceutique peut contribuer à le réaliser : les avantages sont ainsi également répartis entre les malades mieux soignés, les médecins mieux renseignés, les fabricants des produits les plus prescrits parce que les plus nécessaires. La seule condition, indispensable, qui fut, en toute modestie, accomplie pour l’hypertension artérielle est que l’on s’adresse à des gens de qualité : des praticiens qui veulent s’informer, des universitaires compétents qui veulent discuter et des industriels qui veulent assumer une recherche pharmaceutique valable.
Les considérations pratiques du diagnostic et du traitement de l’hypertension artérielle, envisagées entre praticiens, universitaires d’origine différente et laboratoires, doivent faire progresser les recherches sur la maladie. Les points faibles de diagnostic et de traitement deviennent plus apparents. La nécessité de nouveaux points d’impacts thérapeutiques apparaît. Ainsi, serait-il souhaitable de :
– trouver un œstrogène qui ne stimulerait pas le substrat de la rénine et ne serait pas, de ce fait, hypertenseur ;
– découvrir un antialdostérone qui aurait une affinité plus grande pour le récepteur de l’aldostérone et une clearance métabolique plus élevée que celles de la spironolactone ;
– posséder un vasodilatateur qui serait plus puissant que l’hydralazine, un bêtabloqueur plus sélectif que le propanolol, une clonidine qui ne donnerait pas soif, une alpha-méthyl-dopa qui n’endormirait pas et un inhibiteur de la réaction rénine-angiotensinogène.
Utiliser ces nouvelles molécules pour comprendre la physiologie et la physiopathologie du contrôle hormonal du métabolisme de l’eau et du sodium et la régulation tensionnelle serait d’un considérable appoint.
En conclusion, il est certainement utile d’intensifier les contacts entre praticiens, universitaires et certains laboratoires, dans un système social mixte, donc bancal, comme le nôtre, mais à la stricte condition que les rapports entre chacune des catégories soient bien clairs et connus, et ne comportent pas d’inféodation, l’indépendance des propos restant le test essentiel de la liberté de chacun. Nous espérons que le lecteur sera persuadé qu’il en fut bien ainsi, après cette préface et les articles qui lui font suite, et qui apportent la substance et les conclusions de la journée sur le traitement de l’hypertension artérielle organisée à Paris, en avril 1972, par les laboratoires Merck Sharp et Dohme. 
 

 

Encadre

Hommage à Paul Milliez

Joël Ménard : hommage à Paul Milliez 1912-1994. Médecine/sciences 1994;10:784-9.

Extrait

« Paul Milliez a contribué à créer un concept de maladie : l’hypertension artérielle, et, simultanément, il a annoncé la limite du concept : crée-t-on une maladie autour d’un signe physique ? Ici ou là, il a été écrit que Paul Milliez avait participé à plus de 1 200 communications scientifiques. Cette unité de mesure, pour qualifier ses travaux, l’aurait distrait. Souligner la cohérence de sa recherche, qui a abouti à une solution pratique – le traitement médicamenteux de l’hypertension artérielle – l’aurait beaucoup plus réjoui, d’autant que l’incompréhension persistante, sur la nature même de la majorité des cas de ce désordre multifactoriel de la physiologie des régulations, lui semblait toujours être l’un des défis scientifiques de la fin du XXe siècle. »

Voir aussi

Corvol P. Histoire de la découverte du système rénine angiotensine. Rev Prat 2018;68:917-26.

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