L’interdiction de l’amiante en France date du 1er janvier 1997, mais de multiples matériaux et produits en contenant (MPCA) sont encore en place, et de nombreux ouvriers sont susceptibles d’y être encore exposés, notamment dans le bâtiment. Les pathologies liées à l’amiante surviennent en général plusieurs dizaines d’années après l’exposition et représentent actuellement la deuxième cause de maladie professionnelle en France. Il existe des recommandations de bonne pratique pour la surveillance post-exposition ou post-professionnelle, ainsi que des procédures de réparation à visée médicosociale. Plusieurs voies permettent ainsi l’indemnisation des patients souffrant d’affections liées à l’amiante (voire de leurs ayants droit). Ces mesures d’indemnisation vont largement au-delà de la seule reconnaissance en maladie professionnelle qui prévaut pour les affections professionnelles liées à d’autres nuisances. Il est important de les connaître afin de conseiller au mieux les patients.
Exposition à l’amiante : que sait-on aujourd’hui ?
Des affections retardées et à relation dose-effet confirmée
Les maladies consécutives aux expositions à l’amiante sont connues depuis de nombreuses années. Les plaques pleurales représentent l’affection bénigne la plus fréquente, mais d’autres affections non malignes peuvent survenir : pleurésie bénigne suivie de fibrose de la plèvre viscérale (avec survenue éventuelle d’atélectasie par enroulement) ou fibrose du parenchyme pulmonaire (asbestose). Des affections malignes sont aussi possibles ; ce sont principalement le cancer bronchopulmonaire et le mésothéliome (qui peut concerner la plèvre et moins fréquemment le péritoine, le péricarde ou la vaginale testiculaire). D’autres tumeurs pleurales primitives sont observées mais sont plus rares.
Toutes ces affections comportent une relation dose-effet et surviennent en général plusieurs dizaines d’années après le début de l’exposition. Cependant, les plaques pleurales et le mésothéliome peuvent survenir après des expositions cumulées de niveau peu élevé.
Des tableaux dont l’évolution est en discussion
Ces différentes affections font l’objet de tableaux de maladies professionnelles dans le cadre du régime général et du régime agricole de la Sécurité sociale (RGSS et RASS) : tableaux 30-30 bis et 47-47 bis.
En 2012, le larynx et l’ovaire ont également été retenus comme sites d’affection maligne certainement associés aux expositions à l’amiante par le Centre international de recherche sur le cancer. Ces localisations n’ont cependant pas encore été ajoutées aux tableaux sus-cités.
Moins de cas ?
Le nombre annuel total de maladies professionnelles reconnues en rapport avec l’exposition à l’amiante dans le cadre du RGSS diminue depuis 2005 : à cette date, 7 700 cas de maladies professionnelles étaient recensés au titre des tableaux 30-30bis. En 2019, les statistiques de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) faisaient état de 2 881 maladies professionnelles, dont environ 1 100 cas de plaques pleurales, 1 000 cas de cancer bronchopulmonaire et 367 cas de mésothéliome.1
Pour autant, le nombre annuel de cancers bronchopulmonaires attribués à l’amiante reste relativement stable au cours des quinze dernières années (environ 1 000 à 1 100 cas), de même que le nombre de mésothéliomes, essentiellement pleuraux (350 à 400 cas annuels). Parallèlement, en 2019, le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA), qui concerne les patients de tout régime de protection sociale, rapportait 3 724 nouveaux dossiers déposés majoritairement pour des cancers bronchopulmonaires ou des mésothéliomes.2
Repérage des affections
Le repérage de ces affections concerne les patients que l’on sait exposés, mais l’amiante doit aussi être recherchée comme cause possible d’un diagnostic évocateur.
Suivis post-exposition et post-professionnel
Chez des personnes asymptomatiques mais qui ont été exposées à l’amiante, un suivi médical est recommandé. L’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) met des photographies de MPCA à disposition des cliniciens pour les aider dans le repérage d’expositions antérieures.3
Le suivi post-exposition est réalisé par le médecin du travail pour les travailleurs salariés. Pour les travailleurs indépendants (qui ne bénéficient pas actuellement d’une médecine préventive spécifique), de même qu’en post-professionnel (patients à la retraite ou sans emploi), c’est le médecin traitant qui assure cette surveillance.
Le seul examen pertinent à proposer dans le cadre de ce suivi est l’examen tomodensitométrique (TDM) thoracique sans injection, avec coupes millimétriques, dont l’interprétation doit être faite selon les recommandations de la Haute Autorité de santé.4 Réalisé après un temps de latence suffisant au décours du début de l’exposition (20 ans en cas d’exposition cumulée « forte », 30 ans en cas d’exposition cumulée « intermédiaire »5), il a vocation, avant tout, à rechercher l’existence de plaques pleurales, du fait des enjeux médicosociaux pour le patient. Dans l’attente des résultats de l’expérimentation mise en place dans quelques départements pilotes pour évaluer la faisabilité et l’intérêt du dépistage du cancer bronchopulmonaire par TDM thoracique faiblement dosée dans des populations à haut risque, la prescription de cet examen n’est pas recommandée actuellement dans cette indication.6
Identification d’une exposition après un diagnostic compatible
Prises en charge thérapeutique et médicosociale de l’affection doivent être associées, dans l’intérêt du patient et de la collectivité.
Un groupe de travail de la Société de pneumologie de langue française a élaboré un outil permettant au médecin de repérer les situations majeures d’exposition aux cancérogènes professionnels, dans un contexte de cancer bronchopulmonaire. Ce questionnaire fait notamment mention des principaux métiers et activités associés à l’exposition à l’amiante.7
Réparation : trois démarches possibles
Plusieurs mesures médicosociales doivent systématiquement être envisagées et discutées avec le patient en cas de mise en évidence d’une pathologie potentiellement liée à l’amiante.
Ces dispositions ont fait l’objet de mises au point détaillées pour les affections tumorales thoraciques.8
Déclaration de maladie professionnelle
Les tableaux 30 et 30 bis du RGSS (tableaux 47 et 47 bis du RASS) permettent la reconnaissance de l’immense majorité des affections dont le lien avec l’exposition à l’amiante est connu à ce jour.9 Dès lors que le patient a une affection désignée dans l’un de ces tableaux et qu’il a été exposé au cours d’une période d’activité salariée de durée suffisante, il peut prétendre à l’obtention d’une reconnaissance en maladie professionnelle. Il doit, pour cela, effectuer une demande auprès de son organisme de protection sociale (CPAM s’il relève du RGSS, par exemple). Cette demande doit être accompagnée des attestations de salaires correspondant aux périodes où l’exposition est repérée ainsi que d’un certificat médical mentionnant l’affection. Il est important de souligner que le médecin ne certifie que l’affection (et pas l’exposition). Par ailleurs, un principe de « présomption d’origine » est appliqué dès lors que le sujet remplit les critères administratifs du tableau de maladie professionnelle.
L’instruction du dossier aboutit à l’établissement par le médecin-conseil d’un taux d’incapacité permanente (IP) après consolidation.
Plaques pleurales
En règle générale, un taux d’IP de 5 % est attribué pour un diagnostic de plaques pleurales (se traduisant par le versement d’un capital en une seule fois de l’ordre de 1 800 euros).
Cancer bronchopulmonaire
Le taux d’IP est alors compris entre 67 et 100 % (correspondant au versement, après consolidation, d’une rente à vie équivalant à 50 à 100 % du salaire brut de la période de référence). La rente n’est versée qu’après consolidation.
Si le patient est encore en activité et a besoin d’un arrêt de travail, ses indemnités journalières sont majorées par rapport à celles versées lorsqu’il est en maladie simple. Cependant, le patient ne peut pas percevoir simultanément des indemnités journalières liées à son arrêt de travail pour sa maladie professionnelle et sa rente.
Si le sujet est retraité, la rente s’ajoute au montant de la retraite. Cela explique pourquoi il est habituel de consolider aussi rapidement que possible le sujet qui développe un cancer bronchopulmonaire, dès lors qu’il est à la retraite.
Mésothéliome
Dans ce contexte, le taux d’IP accordé est le plus souvent de 100 %. Les calculs sont donc à rapprocher de ceux du cancer bronchopulmonaire.
Situations atypiques : quelles démarches ?
Comme pour les autres maladies professionnelles, si une ou plusieurs conditions du tableau ne sont pas remplies (dépassement du délai de prise en charge, emploi non mentionné dans la liste limitative des travaux pour le tableau 30 bis du RGSS, ou durée insuffisante par rapport à la durée mentionnée dans le tableau), le dossier est soumis à l’avis d’un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. Il en est de même s’il est décidé de proposer une déclaration de maladie professionnelle « hors tableau » (à l’heure actuelle, essentiellement pour le cancer du larynx ou de l’ovaire), si le taux d’IP attendu dépasse 25 % ou si le patient est décédé de cette affection. Pour ces derniers dossiers, il n’y a plus d’application du principe de présomption d’origine.
Intérêt collectif à déclarer les maladies professionnelles
Outre le bénéfice financier individuel lié à la reconnaissance de la maladie professionnelle, il existe un enjeu collectif, puisque les affections professionnelles reconnues sont prises en charge par la branche « accidents de travail-maladies professionnelles » dans le RGSS. L’absence de déclaration conduit à les faire prendre en charge par la branche « maladie ». La sous-reconnaissance des maladies professionnelles par rapport aux affections attribuables aux expositions professionnelles, incluant notamment les cancers thoraciques liés à l’amiante (cancer bronchopulmonaire, mésothéliome), a été soulignée par diverses estimations épidémiologiques récentes.10
Demande d’indemnisation auprès du FIVA
Mis en place en 2001, le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA) est un établissement public national à caractère administratif, financé par l’État et la branche « accident de travail-maladie professionnelle » de la Sécurité sociale.
Pour quels patients ?
Une demande d’indemnisation auprès du FIVA doit être systématiquement proposée aux patients ayant une affection liée à l’amiante, que l’exposition soit d’origine professionnelle ou non, que le patient ait ou non un statut salarié, dès lors qu’elle est survenue sur le territoire français.
Toute personne reconnue en maladie professionnelle pour l’une des affections des tableaux 30-30 bis du RGSS ou 47-47 bis du RASS peut faire cette démarche. Selon l’arrêté du 5 mai 2002, il en est de même pour tout patient ayant une affection « valant attestation d’exposition à l’amiante » (plaques pleurales ou péricardiques calcifiées ou non ; mésothéliome malin pleural, péritonéal ou péricardique ; autres tumeurs pleurales primitives).
Pour les maladies non reconnues en maladie professionnelle ou les pathologies autres que celles valant attestation d’exposition à l’amiante, la causalité entre l’exposition et la maladie du patient est étudiée par la commission d’examen des circonstances d’exposition à l’amiante (CECEA)du FIVA.
Les formulaires à compléter et la liste des pièces à fournir sont disponibles sur le site internet du FIVA.11
Quelle compensation ?
Le FIVA complète l’indemnisation proposée en maladie professionnelle pour les personnes déjà reconnues. Il indemnise intégralement les sujets qui n’ont pas été reconnus par leur organisme de protection sociale.
Il s’inscrit dans un dispositif d’indemnisation de l’ensemble des préjudices : un éventuel préjudice fonctionnel (barème spécifique dit « IBF ») mais également économique (perte de revenus, frais de santé restés à la charge du patient…), les éventuelles souffrances endurées, le préjudice moral, le préjudice d’agrément, voire le préjudice esthétique, etc.
L’indemnisation proposée ne dépend pas du salaire de la personne. Elle est calculée en fonction de l’âge et du type d’affection.
À titre indicatif, l’indemnisation moyenne proposée pour un sujet ayant des plaques pleurales était en 2020 de 21 100 euros à 50 ans, 17 200 euros à 60 ans et 7 900 euros à 80 ans. La rente annuelle en 2020 en cas de mésothéliome ou de cancer bronchopulmonaire non opéré était de 19 436 euros. Une indemnisation est également prévue pour les ayants droit de patients dont l’affection conduit au décès.
Cessation anticipée d’activité
Cette mesure a été mise en place par la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998.
Pour qui ?
Les personnes pouvant bénéficier de la cessation anticipée d’activité sont celles reconnues en maladie professionnelle au titre d’une affection désignée au tableau 30 ou 30 bis du RGSS, et les personnes non malades mais ayant exercé dans des établissements figurant sur des listes publiées dans des arrêtés successifs à partir de 2001 (listes mises à jour sur le site de la caisse régionale d’assurance maladie d’Île-de-France12).
La cessation anticipée d’activité est possible à partir de l’âge de 50 ans pour les malades. Pour les non-malades, elle est possible à un âge théorique de cessation d’activité anticipé du tiers de la durée de travail dans l’établissement exposant.
Initialement prévue pour les salariés du secteur privé, la cessation anticipée d’activité est, depuis avril 2017, un droit désormais ouvert aux fonctionnaires dont l’affection liée à l’amiante est reconnue en maladie professionnelle.
Quelle compensation ?
Le montant de l’allocation de cessation anticipée d’activité est calculé en fonction du montant du salaire brut des douze derniers mois travaillés. Elle est cumulable avec une éventuelle rente de maladie professionnelle. Elle cesse bien sûr d’être versée au moment de la retraite.
Autres démarches
Certains patients font le choix d’entreprendre une démarche en faute inexcusable vis-à-vis de l’employeur, ou sollicitent auprès de ce dernier une indemnisation pour préjudice d’anxiété. Ces démarches, contrairement aux précédentes, nécessitent un accompagnement par un avocat.
Où s’informer en cas de doute ?
En cas d’incertitude relative au classement des expositions, ou aux démarches à entreprendre pour un patient donné, le médecin a la possibilité de recourir à un avis expert auprès d’un des centres régionaux de pathologies professionnelles et environnementales (CRPPE).13
1. CNAM, communication personnelle.
2. FIVA. Rapport d’activité. 2019;70p. https://bit.ly/3zjPh8e
3. INRS. Dossier amiante. 2021;55p. https://www.inrs.fr/risques/amiante/circonstances-exposition.html
4. HAS. Suivi post-professionnel des personnes exposées à l’amiante. Mise à jour du protocole et de la grille de lecture d’imagerie médicale. Août 2019./p>
< 5. HAS. Suivi post-professionnel après exposition à l’amiante. Recommandations de la commission d’audition. Avril 2010. /p>
6. Delva F, Brochard P, Pairon JC. Les facteurs de risque professionnels des cancers bronchopulmonaires. Quelle surveillance médicale après exposition à des cancérogènes pulmonaires professionnels? Rev Mal Respir Actu 2017;9:94-9.
7. SPLF, SFMT. Questionnaire de repérage des expositions professionnelles chez les sujets atteints de cancer bronchopulmonaire primitif. Info Respiration 2019;150:13-22.
< 8. Andujar P, Pairon JC. Aspects médico-sociaux des pathologies tumorales thoraciques professionnelles. Rev Mal Respir Actu 2013;5:395-403.
9. Delépine A, Chapouthier-Guillon A, Jacquin-Brisbart C, et al. Les maladies professionnelles. Guide d’accès aux tableaux du régime général et du régime agricole de la Sécurité sociale. INRS 2016;338 p. /p>
10. Marant Micallef C, Charvat H, Houot MT, et al. Estimated number of cancers attributable to occupational exposures in France in 2017: an update using a new method for improved estimates. J Expo Sci Environ Epidemiol 2021;1-7.
11. Site du FIVA : http://www.fiva.fr/
12. CRAMIF. Amiante – Liste des établissements, chantiers navals et ports. https://bit.ly/2Z36LcH
13. Anses. Les consultations de pathologie professionnelle. Juin 2021. https://bit.ly/3kcuJu8