La dépression caractérisée compte parmi les affections psychiatriques les plus fréquentes.1 Elle est marquée sur le plan clinique par un cortège de manifestations comprenant la tristesse et/ou l’anhédonie définie par une réduction du plaisir ressenti pour les activités agréables, s’accompagnant d’une perte de volonté, encore connue sous le terme d’aboulie, allant de pair avec les idées dépressives de dévalorisation, d’autodépréciation, de culpabilité, voire d’inutilité, d’indignité, ou d’incurabilité. D’autres symptômes sont classiquement présents, comme le ralentissement psychomoteur, les perturbations du sommeil prenant généralement la forme de réveils matinaux précoces, ou les modifications de l’appétit représentées fréquemment par une diminution de la sensation de faim avec une perte de poids, sans omettre la présence possible d’idées suicidaires sans ou avec plan précis pour se suicider.

Associés dans 60 % des cas

Au-delà de cette brève présentation générale de la dépression caractérisée qui constitue généralement le motif de consultation auprès des professionnels de santé, se pose la question centrale de la proximité clinique et thérapeutique avec l’anxiété, les symptômes anxieux en soulignant la possibilité de voir le trouble dépressif coexister avec les pathologies anxieuses elles-mêmes, dont le trouble panique avec agoraphobie, l’anxiété sociale ou le trouble anxiété généralisée. Il est en effet important de noter que la dépression caractérisée n’est une pathologie isolée que dans 28 % des cas.1 Elle est ainsi le plus souvent associée à d’autres affections psychiatriques au premier desquelles figurent les troubles anxieux précités, retrouvés dans 59 % des cas1 (fig. 1). Les troubles anxieux précèdent habituellement l’apparition des premiers épisodes dépressifs caractérisés, l’âge moyen de début des troubles anxieux se situant aux alentours de 11 ans, contrastant avec celui bien plus tardif de la dépression caractérisée avoisinant les 30 ans.2
Cette comorbidité avec les troubles anxieux a été largement démontrée comme ayant un fort impact sur la sévérité clinique, ainsi que sur le pronostic de la dépression caractérisée à travers un risque accru d’évolution récidivante, voire chronique,1 compromettant d’autant l’efficacité des antidépresseurs.3 Elle doit être systématiquement repérée en se référant au contenu même des préoccupations anxieuses marquées, entre autres, par : une inquiétude persistante autour de la survenue inattendue de nouvelles attaques de panique, comme il est observé dans le trouble panique ; la crainte des endroits ou situations d’où il est difficile de pouvoir être secouru en cas d’apparition soudaine de symptômes de type panique, comme c’est le cas dans l’agoraphobie ; la peur d’agir de façon humiliante et embarrassante en situations d’interaction sociale ou de performance retrouvée dans l’anxiété sociale ; à moins qu’il ne s’agisse de préoccupations excessives autour des faits et événements de la vie quotidienne intéressant notamment la sphère privée ou professionnelle, tel qu’il est couramment rapporté dans le trouble anxiété généralisée.
Ces cognitions anxieuses permettent en effet d’orienter immédiatement le diagnostic, et de bénéficier de traitements appropriés susceptibles de prévenir le pronostic péjoratif de la maladie dépressive. Les approches thérapeutiques proposées dans le domaine des troubles anxieux sont en effet assez proches de celles utilisées pour traiter la dépression caractérisée, puisque reposant principalement sur les antidépresseurs et/ou les psychothérapies. Au-delà de considérations propres à l’engagement et à la motivation du patient ou à l’expertise et à la compétence du praticien, le choix entre ces deux modalités de prise en charge dépend avant tout de la sévérité clinique, mais aussi de la présence ou pas de manifestations dépressives.4

À distinguer des symptômes anxieux en lien avec la dépression

L’association aux troubles anxieux se doit néanmoins d’être parfaitement distinguée de la présentation parfois anxieuse de l’épisode dépressif caractérisé, qui fait référence dans la 5e version du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5) à ce qui est décrit sous la mention « détresse anxieuse » (fig. 2). Elle repose sur la présence au sein du tableau clinique d’une agitation et d’une tension interne, d’une instabilité avec un sentiment d’énervement s’accompagnant de difficultés de concentration, voire même d’une possible perte de contrôle de soi, etc. Ces manifestations anxieuses en lien direct avec les pensées dépressives sont observées chez près de 50 % des patients ayant un épisode dépressif caractérisé.5 La symptomatologie anxieuse de l’épisode dépressif caractérisé suit le plus souvent de très près dans le temps l’évolution de l’humeur dépressive en apparaissant et disparaissant avec elle. Ces manifestations anxieuses contribuent néanmoins à réduire les effets thérapeutiques des antidépresseurs en en majorant possiblement les effets indésirables, assombrissant alors le pronostic évolutif de la dépression caractérisée.3

Enjeux thérapeutiques

En conséquence, dépression et anxiété entretiennent des liens très étroits à travers une filiation clairement démontrée avec les troubles anxieux exposant à un risque accru de survenue ultérieure d’une dépression caractérisée, dont ils ne font qu’aggraver l’intensité des manifestations cliniques, l’évolution et le retentissement fonctionnel. Il est de ce fait essentiel de rechercher systématiquement lors d’épisodes dépressifs caractérisés un véritable trouble anxieux comorbide de façon à proposer un traitement adapté de ce dernier, qu’il relève des antidépresseurs et/ou des psycho- thérapies. Cette forte association avec les troubles anxieux ne doit toutefois pas être confondue avec la simple présence au sein du tableau dépressif de symptômes anxieux dont la prise en charge fait essentiellement référence à celle de l’épisode dépressif caractérisé. 
Références
1. Kessler RC, Berglund P, Demler O, et al. The epidemiology of major depressive disorder: results from the National Comorbidity Survey Replication (NCS-R). JAMA 2003;289:3095-105.
2. Kessler RC, Berglund P, Demler O, Jin R, Merikangas KR, Walters EE. Lifetime prevalence and age-of-onset distributions of DSM-IV disorders in the National Comorbidity Survey Replication. Arch Gen Psychiatry 2005;62:593-602.
3. Kennedy SH, Lam RW, McIntyre RS, et al.; CANMAT Depression Work Group. Canadian Network for Mood and Anxiety Treatments (CANMAT) 2016 clinical guidelines for the management of adults with major depressive disorder: section 3. Pharmacological Treatments. Can J Psychiatry 2016;61:540-60.
4. Katzman MA, Bleau P, Blier P, et al.; Canadian Anxiety Guidelines Initiative Group on behalf of the Anxiety Disorders Association of Canada/Association Canadienne des troubles anxieux and McGill University. Canadian clinical practice guidelines for the management of anxiety, posttraumatic stress and obsessive-compulsive disorders. BMC Psychiatry 2014;14(suppl 1):S1.
5. Fava M, Rush AJ, Alpert JE, et al. What clinical and symptom features and comorbid disorders characterize outpatients with anxious major depressive disorder: a replication and extension. Can J Psychiatry 2006;51:823-35.

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