Dans les domaines de la santé et de l’assurance, cette notion d’oubli revêt un caractère particulier. Même si l’assurance d’un prêt destiné à l’acquisition d’un bien immobilier n’est pas obligatoire, l’organisme prêteur peut l’exiger, en particulier en ce qui concerne les risques liés au décès et à l'invalidité, afin de protéger le demandeur et ses proches en cas de difficultés. L’obtention du crédit et de l’assurance est donc soumise à certaines conditions, en particulier relatives à la santé du demandeur. Il revient ainsi au demandeur de déclarer ses pathologies et son exposition à certains facteurs de risque au moyen de questionnaires de santé. Se posent les questions de savoir si un droit à l’oubli peut être appliqué et, le cas échéant, le délai à partir duquel il est raisonnable de concevoir l’oubli. Si la réponse semble évidente pour les pathologies aiguës, elle l’est moins pour les pathologies chroniques (insuffisance cardiaque, diabète…), qu’elles soient évolutives ou stabilisées. Le cancer apporte également son lot de complexité, pathologie chronique qui va nécessiter des soins aigus (chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie), un suivi sur le moyen voire le long terme, d’éventuels traitements prolongés (hormonothérapie) et permettre une potentielle guérison.
Vers un droit à l’oubli pour l’assurance des prêts
Ainsi, en septembre 2001 a été signée la convention Belorgey entre les pouvoirs publics, les professionnels des banques, des assurances et des mutuelles, les associations de consommateurs et les associations représentant les personnes malades ou handicapées. Elle introduit les notions de maladies chroniques, de handicaps et de gradation des risques ; et propose un guide de bonne conduite. Les questionnaires de santé sont standardisés, les questions posées devant être précises et porter sur les événements relatifs à l’état de santé, les pathologies recherchées, les arrêts de travail et les situations liées à la protection sociale. Aucune référence n’est faite aux aspects intimes de la vie privée, notamment la sexualité ; et la recherche d’une séropositivité ne concerne que les sérologies des virus des hépatites B et C, et du virus de l’immunodéficience humaine (VIH).
La convention AERAS, « S’assurer et emprunter avec un risque aggravé de santé », a succédé à la convention Belorgey (loi du 31 janvier 2007 relative à l’accès au crédit des personnes présentant un risque aggravé de santé) avec pour objectif d’élargir l’accès à l’assurance et à l’emprunt pour les personnes ayant ou ayant eu un risque aggravé de santé. Cette nouvelle convention intègre la garantie invalidité, définit le dispositif d’écrêtement des surprimes, renforce le processus (motivation des refus, délégation d’assurance…) et rend obligatoire la confidentialité médicale. S’en est suivi sa première révision en mars 2011, créant la garantie invalidité spécifique (pour les personnes ayant un risque aggravé de santé [GIS]), une harmonisation des questionnaires de santé et un engagement des assureurs à proposer a minima une assurance pour le risque de perte totale et irréversible d’autonomie.
Sous l’impulsion du Plan cancer 2014 -2019, un avenant à la convention AERAS a été signé le 2 septembre 2015 pour instaurer le droit à l’oubli pour les personnes ayant été atteintes d’un cancer et définir les conditions d’une prise en compte plus rapide par les assureurs des progrès thérapeutiques au sein d’une grille de référence. Ces dispositions ont ensuite été renforcées par la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé (article 190) qui introduit également l’impossibilité d’appliquer une surprime et une exclusion pour un même motif (article L. 1141-6 du code de la santé publique).
Trois niveaux de couverture
Le deuxième niveau permet une proposition d’assurance à des personnes ayant un risque aggravé de santé (proposition individualisée). La proposition peut inclure une surprime ou une exclusion.
Enfin, le troisième niveau permet, dans certains cas, de proposer une assurance à des personnes ayant un risque important. Les garanties proposées peuvent dans ce cas être limitées (garantie décès).
Le droit à l’oubli en pratique
Les délais définis pour l’application d’un droit à l’oubli reposent sur des données publiées dans la littérature internationale mais aussi sur des données recueillies par les registres de cancers français (réunis au sein du réseau Francim), notamment en termes de survie après un diagnostic de cancer.1, 2
Le droit à l’oubli concerne les prêts personnels immobiliers et les crédits à la consommation affectés ou dédiés, ainsi que les prêts à caractère professionnel pour l’acquisition de locaux et de matériel. Certaines conditions s’appliquent, comme la limite d’âge de l’emprunteur qui ne doit pas excéder 70 ans en fin d’assurance du prêt. Les prêts concernés par le droit à l’oubli ne sont pas plafonnés, contrairement aux autres dispositions (plafonnement à un montant inférieur ou égal à 320 000 €).
Les garanties assurées sont le décès, l’invalidité (de l’invalidité permanente partielle [IPP] à la perte totale et irréversible d’autonomie [PTIA]) et l’incapacité temporaire et totale de travail (ITT). La garantie perte d’emploi n’est pas concernée.
Et pour les autres personnes ayant un risque aggravé de santé ?
La grille comporte plusieurs parties et peut être consultée sur le site de l’AERAS* ou de l’Institut national du cancer**.
Les pathologies inscrites dans la première partie (
La seconde partie de la grille (
Dans tous les cas, il est important de se rapporter à la dernière version de la grille afin de connaître les conditions d’application (stades au moment du diagnostic, paramètres biologiques, délai…). Elle est régulièrement actualisée, en fonction de l’évolution des connaissances.
Quelle place pour les médecins en cas de risque aggravé de santé ?
Dans son rapport sur les questionnaires de santé, certificat et assurances, le Conseil national de l’Ordre des médecins rappelle « que le rôle du médecin est d’éclairer au mieux le patient sur la nécessité de déclarations complètes et sincères et de l’aider dans ses démarches ». Ce rôle est d’autant plus important que la lecture et l’interprétation du droit à l’oubli et de la grille de référence peuvent être complexes.
Il est nécessaire de distinguer deux types de questionnaires de santé. Le premier correspond au questionnaire standard soumis à tous les demandeurs d’assurance préalablement à la demande. Le second porte sur les événements de santé ou pathologies déclarés dans le premier questionnaire et vient en complément des informations préalablement recueillies.
Ainsi, le médecin peut assister ses patients dans le remplissage des différents questionnaires et lui remettre les documents nécessaires pour justifier de son état de santé. Le médecin (médecin traitant, spécialiste d’organes, oncologue…) peut être conduit à répondre à un questionnaire proposé par l’assurance et ciblé sur la pathologie (deuxième type de questionnaire). En effet, « la convention AERAS s’applique dès lors que le questionnaire de santé, rempli par la personne (…), fait apparaître qu’elle présente un risque aggravé de santé et que la demande d’assurance ne peut pas être acceptée aux conditions standard (…) ». Les informations délivrées par le médecin « s’en tiennent aux seules données objectives du dossier médical et ne concernent que la pathologie déclarée » (
Il est important de rappeler que ces éléments sont « remis en main propre au patient qui les adressera lui-même au médecin conseil nommément désigné par la compagnie d’assurances ».
UNE AVANCÉE CONSIDÉRABLE
Le droit à l’oubli concerne-t-il aussi le médecin ?
Dans le cas où un médecin est amené à remplir, à la demande d’un patient, un questionnaire de santé demandé par la compagnie d’assurances (situation rencontrée par exemple lorsque le montant du prêt sollicité est important), est-ce que ce droit à l’oubli le concerne ? En effet, il y a toujours un paragraphe « antécédents », et en principe un médecin ne peut omettre de signaler une donnée significative (mensonge par omission qui pourrait lui être reproché).
Le médecin n’a pas à masquer volontairement (de son fait) une information. Il faut garder la notion que le questionnaire de santé complété par le médecin est remis au patient et non à l’assurance. C’est le patient qui ensuite en fait la remise à son assurance (et qui donc juge des informations qu’il souhaite remettre).
De fait, dans le cadre du cancer (et donc du droit à l’oubli), si les conditions sont respectées (10 ans après la fin du protocole thérapeutique en absence de récidive pour les adultes), le patient n’a pas à faire la déclaration d’un cancer (et donc, par conséquent, le médecin n’a pas à le mentionner). En revanche, s’il y a une complication, celle-ci doit être déclarée car elle ne fait pas partie du droit à l’oubli. Plus largement, pour les antécédents, il y a généralement une notion de temps dans les questionnaires (antécédents présents au cours des 10 dernières années), ceux-ci devant être déclarés.
À noter, la demande peut concerner une pathologie en particulier (demande du médecin de l’assurance à la lecture des premiers éléments transmis par le patient). Dans ce cas, la réponse du médecin ne doit porter que sur la demande de l’assurance.
Pour éviter toute contestation par la suite, il est préférable que ce point soit abordé par le patient et son médecin lors de la complétion du certificat, et que le médecin en garde note dans son dossier patient.
Un garde-fou réside dans le fait qu’un assureur ne peut exploiter cette information si elle est mentionnée par excès et qu’il doit motiver une éventuelle surprime ou exclusion.
2. Monnereau A, Uhry Z, Bossard N, et al. Survie des personnes atteintes de cancer en France métropolitaine 1989-2013. Partie 2. Hémopathies malignes. Partenariat Francim/HCL/InVS/INCa, 016:144. http://invs.santepubliquefrance.fr ou https://bit.ly/2dIFNNS et https://www.e-cancer.fr ou https://bit.ly/2FO0Agy