La notion de droit à l’oubli est communément acceptée. C’est la volonté des individus à déterminer l’évolution de leur vie de façon autonome sans être stigmatisés perpétuellement ou régulièrement à cause d’actions ou d’événements passés. En bref, un droit au silence… à l’oubli pour les actions ou événements passés. Ce droit existe dans de nombreux domaines. Pour la justice, il s’agit par exemple du délai de réhabilitation (effacement du casier judiciaire sous certaines conditions) ; pour la protection des données, cela se réfère au droit à l’effacement des données (article 17 du règlement général sur la protection des données [RGPD]) ; et pour les sites internet, à la possibilité d’effacer une information, une image ou une vidéo, et de les rendre non accessibles par les moteurs de recherche (droit au déréférencement, article 17 du RGPD).
Dans les domaines de la santé et de l’assurance, cette notion d’oubli revêt un caractère particulier. Même si l’assurance d’un prêt destiné à l’acquisition d’un bien immobilier n’est pas obligatoire, l’organisme prêteur peut l’exiger, en particulier en ce qui concerne les risques liés au décès et à l'invalidité, afin de protéger le demandeur et ses proches en cas de difficultés. L’obtention du crédit et de l’assurance est donc soumise à certaines conditions, en particulier relatives à la santé du demandeur. Il revient ainsi au demandeur de déclarer ses pathologies et son exposition à certains facteurs de risque au moyen de questionnaires de santé. Se posent les questions de savoir si un droit à l’oubli peut être appliqué et, le cas échéant, le délai à partir duquel il est raisonnable de concevoir l’oubli. Si la réponse semble évidente pour les pathologies aiguës, elle l’est moins pour les pathologies chroniques (insuffisance cardiaque, diabète…), qu’elles soient évolutives ou stabilisées. Le cancer apporte également son lot de complexité, pathologie chronique qui va nécessiter des soins aigus (chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie), un suivi sur le moyen voire le long terme, d’éventuels traitements prolongés (hormonothérapie) et permettre une potentielle guérison.

Vers un droit à l’oubli pour l’assurance des prêts

Afin de permettre aux personnes ayant un risque aggravé de santé de pouvoir bénéficier d’une assurance lors de la contractualisation d’un prêt, différentes actions ont été conduites au cours des 25 dernières années.
Ainsi, en septembre 2001 a été signée la convention Belorgey entre les pouvoirs publics, les professionnels des banques, des assurances et des mutuelles, les associations de consommateurs et les associations représentant les personnes malades ou handicapées. Elle introduit les notions de maladies chroniques, de handicaps et de gradation des risques ; et propose un guide de bonne conduite. Les questionnaires de santé sont standardisés, les questions posées devant être précises et porter sur les événements relatifs à l’état de santé, les pathologies recherchées, les arrêts de travail et les situations liées à la protection sociale. Aucune référence n’est faite aux aspects intimes de la vie privée, notamment la sexualité ; et la recherche d’une séropositivité ne concerne que les sérologies des virus des hépatites B et C, et du virus de l’immunodéficience humaine (VIH).
La convention AERAS, « S’assurer et emprunter avec un risque aggravé de santé », a succédé à la convention Belorgey (loi du 31 janvier 2007 relative à l’accès au crédit des personnes présentant un risque aggravé de santé) avec pour objectif d’élargir l’accès à l’assurance et à l’emprunt pour les personnes ayant ou ayant eu un risque aggravé de santé. Cette nouvelle convention intègre la garantie invalidité, définit le dispositif d’écrêtement des surprimes, renforce le processus (motivation des refus, délégation d’assurance…) et rend obligatoire la confidentialité médicale. S’en est suivi sa première révision en mars 2011, créant la garantie invalidité spécifique (pour les personnes ayant un risque aggravé de santé [GIS]), une harmonisation des questionnaires de santé et un engagement des assureurs à proposer a minima une assurance pour le risque de perte totale et irréversible d’autonomie.
Sous l’impulsion du Plan cancer 2014 -2019, un avenant à la convention AERAS a été signé le 2 septembre 2015 pour instaurer le droit à l’oubli pour les personnes ayant été atteintes d’un cancer et définir les conditions d’une prise en compte plus rapide par les assureurs des progrès thérapeutiques au sein d’une grille de référence. Ces dispositions ont ensuite été renforcées par la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé (article 190) qui introduit également l’impossibilité d’appliquer une surprime et une exclusion pour un même motif (article L. 1141-6 du code de la santé publique).

Trois niveaux de couverture

Les différentes évolutions ont conduit à définir trois niveaux de couverture. Schématiquement, le premier niveau correspond à la situation classique où une personne n’a pas de risque particulier. La proposition d’assurance se fait aux conditions tarifaires standard, sans surprime ni exclusion (proposition mutualisée). Dans certains cas, les assurances émettent une proposition dès le premier niveau à des personnes rapportant dans leur questionnaire de santé un risque aggravé de santé.
Le deuxième niveau permet une proposition d’assurance à des personnes ayant un risque aggravé de santé (proposition individualisée). La proposition peut inclure une surprime ou une exclusion.
Enfin, le troisième niveau permet, dans certains cas, de proposer une assurance à des personnes ayant un risque important. Les garanties proposées peuvent dans ce cas être limitées (garantie décès).

Le droit à l’oubli en pratique

Le droit à l’oubli vient compléter le dispositif. En pratique, c’est le fait de ne pas avoir à déclarer une pathologie dans les questionnaires de santé ou lors des consultations médicales. Il concerne toutes les personnes ayant été atteintes d’un cancer, 5 ans après la fin du protocole thérapeutique pour les personnes de moins de 18 ans au moment du diagnostic et 10 ans après pour les personnes de plus de 18 ans. Par protocole thérapeutique, il est entendu la chirurgie, la radiothérapie et la chimiothérapie (chimiothérapie conventionnelle, immunothérapie, thérapie ciblée…). L’hormonothérapie donnée au long cours (prévention des récidives) n’est pas incluse dans la notion de protocole thérapeutique. Les éventuelles complications ne font pas partie du droit à l’oubli et doivent être déclarées (par exemple une insuffisance cardiaque apparue à la suite d’une chimiothérapie).
Les délais définis pour l’application d’un droit à l’oubli reposent sur des données publiées dans la littérature internationale mais aussi sur des données recueillies par les registres de cancers français (réunis au sein du réseau Francim), notamment en termes de survie après un diagnostic de cancer.1, 2
Le droit à l’oubli concerne les prêts personnels immobiliers et les crédits à la consommation affectés ou dédiés, ainsi que les prêts à caractère professionnel pour l’acquisition de locaux et de matériel. Certaines conditions s’appliquent, comme la limite d’âge de l’emprunteur qui ne doit pas excéder 70 ans en fin d’assurance du prêt. Les prêts concernés par le droit à l’oubli ne sont pas plafonnés, contrairement aux autres dispositions (plafonnement à un montant inférieur ou égal à 320 000 €).
Les garanties assurées sont le décès, l’invalidité (de l’invalidité permanente partielle [IPP] à la perte totale et irréversible d’autonomie [PTIA]) et l’incapacité temporaire et totale de travail (ITT). La garantie perte d’emploi n’est pas concernée.

Et pour les autres personnes ayant un risque aggravé de santé ?

Afin d’étendre le principe du droit à l’oubli en fonction des avancées thérapeutiques, la grille de référence AERAS est développée. Elle liste les pathologies pour lesquelles l’assurance est accordée sans surprime ni exclusion de garantie, ou dans des conditions se rapprochant des conditions standard sans attendre les délais fixés par le droit à l’oubli. Ces conditions d’acceptation se font par garantie (décès, PTIA et GIS). La grille fixe, le cas échéant, des taux de surprimes maximaux et des délais adaptés à chacune de ces pathologies. Contrairement au droit à l’oubli, même si une personne peut bénéficier des conditions inscrites dans la grille de référence, il est nécessaire qu’elle déclare la pathologie.
La grille comporte plusieurs parties et peut être consultée sur le site de l’AERAS* ou de l’Institut national du cancer**.
Les pathologies inscrites dans la première partie (tableau 1) concernent les personnes ayant souffert de pathologies qui n’entraînent ni surprime ni exclusion de garanties. Ces pathologies sont majoritairement des cancers (cancers du testicule, du sein, du col de l’utérus, mélanome, lymphome hodgkinien…). Figure également l’hépatite C. Pour chacune de ces pathologies sont précisées les conditions d’application : types histologiques, stades au diagnostic, délai d’accès à l’assurance à compter de la fin du protocole thérapeutique.
La seconde partie de la grille (tableau 2) se focalise sur des pathologies qui peuvent permettre un accès à l’assurance à des conditions d’acceptation se rapprochant des conditions standard. Dans ce cas, des surprimes peuvent être appliquées. De plus, cela ne concerne pas obligatoirement les trois types de garanties (décès, PTIA et GIS). Cette partie s’ouvre au-delà du cancer en intégrant l’infection par le VIH, l’hépatite virale chronique à VHC et la mucoviscidose. Elle permet également de considérer les évolutions relatives aux stratégies thérapeutiques, avec par exemple l’adénocarcinome de la prostate en surveillance active.
Dans tous les cas, il est important de se rapporter à la dernière version de la grille afin de connaître les conditions d’application (stades au moment du diag­nostic, paramètres biologiques, délai…). Elle est régulièrement actualisée, en fonction de l’évolution des connaissances.

Quelle place pour les médecins en cas de risque aggravé de santé ?

Le rôle des médecins est important car il peut être sollicité par les personnes désireuses de souscrire une assurance pour un prêt (et le sera très probablement en cas de risque aggravé de santé).
Dans son rapport sur les questionnaires de santé, certificat et assurances, le Conseil national de l’Ordre des médecins rappelle « que le rôle du médecin est d’éclairer au mieux le patient sur la nécessité de déclarations complètes et sincères et de l’aider dans ses démarches ». Ce rôle est d’autant plus important que la lecture et l’interprétation du droit à l’oubli et de la grille de référence peuvent être complexes.
Il est nécessaire de distinguer deux types de questionnaires de santé. Le premier correspond au questionnaire standard soumis à tous les demandeurs d’assurance préalablement à la demande. Le second porte sur les événements de santé ou pathologies déclarés dans le premier questionnaire et vient en complément des informations préalablement recueillies.
Ainsi, le médecin peut assister ses patients dans le remplissage des différents questionnaires et lui remettre les documents nécessaires pour justifier de son état de santé. Le médecin (médecin traitant, spécialiste d’organes, oncologue…) peut être conduit à répondre à un questionnaire proposé par l’assurance et ciblé sur la pathologie (deuxième type de questionnaire). En effet, « la convention AERAS s’applique dès lors que le questionnaire de santé, rempli par la personne (…), fait apparaître qu’elle présente un risque aggravé de santé et que la demande d’assurance ne peut pas être acceptée aux conditions standard (…) ». Les informations délivrées par le médecin « s’en tiennent aux seules données objectives du dossier médical et ne concernent que la pathologie déclarée » (v. encadré).
Il est important de rappeler que ces éléments sont « remis en main propre au patient qui les adressera lui-même au médecin conseil nommément désigné par la compagnie d’assurances ».

UNE AVANCÉE CONSIDÉRABLE

En conclusion, le droit à l’oubli constitue une avancée considérable pour les personnes atteintes de pathologies chroniques, en particulier de cancer. Il est le fruit d’un processus long et complexe qui s’est progressivement développé grâce à une collaboration entre tous les acteurs et qui a nécessité une volonté politique forte. Ce processus se poursuit, l’extension du droit à l’oubli aux jeunes adultes de 18 à 21 ans étant questionné par la nouvelle loi de santé. Au-delà de l’aspect relatif à l’assurance d’un prêt, il symbolise, pour les personnes ayant un risque aggravé de santé, l’espoir de ne plus être stigmatisées par leur maladie.
Encadre

Le droit à l’oubli concerne-t-il aussi le médecin ?

Dans le cas où un médecin est amené à remplir, à la demande d’un patient, un questionnaire de santé demandé par la compagnie d’assurances (situation rencontrée par exemple lorsque le montant du prêt sollicité est important), est-ce que ce droit à l’oubli le concerne ? En effet, il y a toujours un paragraphe « antécédents », et en principe un médecin ne peut omettre de signaler une donnée significative (mensonge par omission qui pourrait lui être reproché).

Le médecin n’a pas à masquer volontairement (de son fait) une information. Il faut garder la notion que le questionnaire de santé complété par le médecin est remis au patient et non à l’assurance. C’est le patient qui ensuite en fait la remise à son assurance (et qui donc juge des informations qu’il souhaite remettre).

De fait, dans le cadre du cancer (et donc du droit à l’oubli), si les conditions sont respectées (10 ans après la fin du protocole thérapeutique en absence de récidive pour les adultes), le patient n’a pas à faire la déclaration d’un cancer (et donc, par conséquent, le médecin n’a pas à le mentionner). En revanche, s’il y a une complication, celle-ci doit être déclarée car elle ne fait pas partie du droit à l’oubli. Plus largement, pour les antécédents, il y a généralement une notion de temps dans les questionnaires (antécédents présents au cours des 10 dernières années), ceux-ci devant être déclarés.

À noter, la demande peut concerner une pathologie en particulier (demande du médecin de l’assurance à la lecture des premiers éléments transmis par le patient). Dans ce cas, la réponse du médecin ne doit porter que sur la demande de l’assurance.

Pour éviter toute contestation par la suite, il est préférable que ce point soit abordé par le patient et son médecin lors de la complétion du certificat, et que le médecin en garde note dans son dossier patient.

Un garde-fou réside dans le fait qu’un assureur ne peut exploiter cette information si elle est mentionnée par excès et qu’il doit motiver une éventuelle surprime ou exclusion.

1. Cowppli-Bony A, Uhry Z, Remontet L, et al. Survie des personnes atteintes de cancer en France métropolitaine 1989-2013. Partie 1. Tumeurs solides. Partenariat Francim/HCL/InVS/INCa, 2016:274. http://invs.santepubliquefrance.fr ou https://bit.ly/2FHXzwS
2. Monnereau A, Uhry Z, Bossard N, et al. Survie des personnes atteintes de cancer en France métropolitaine 1989-2013. Partie 2. Hémopathies malignes. Partenariat Francim/HCL/InVS/INCa, 016:144. http://invs.santepubliquefrance.fr ou https://bit.ly/2dIFNNS et https://www.e-cancer.fr ou https://bit.ly/2FO0Agy

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Références

Sous l’impulsion de la convention AERAS (S’assurer et emprunter avec un risque aggravé de santé) et du Plan cancer 2014-2019, la loi de 26 janvier 2016 introduit le « droit à l’oubli » pour les personnes atteintes d’un cancer. Ainsi, les personnes souhaitant souscrire une assurance pour un prêt immobilier ou un crédit à la consommation n’ont plus à déclarer leur cancer 10 ans après la fin du protocole thérapeutique, en absence de rechute. Ce délai est ramené à 5 ans pour les cancers survenant avant l’âge de 18 ans. Associé à ce droit, la grille de référence identifie des situations pour lesquelles l’assurance sera accordée sans surprime ni exclusion de garantie, ou dans des conditions se rapprochant des conditions standard. Cela concerne à la fois des pathologies cancéreuses (cancer du sein, de la thyroïde, de la prostate…) et non cancéreuses (infection par le virus de l’immunodéficience humaine, hépatite C, mucoviscidose…). Du fait de sa relation avec son patient, le médecin joue un rôle clé en l’éclairant au mieux et en l’aidant dans ses démarches.