Les troubles du spectre de l’autisme (TSA) sont caractérisés, d’après le DSM-5, par un déficit de la communication sociale associé à des intérêts restreints, répétitifs et stéréotypés.1 Selon les études épidémiologiques, leur fréquence a atteint environ 1 % de la population générale. Elle est en hausse (encadré 1). Les données issues de la littérature suggèrent également qu’un diag­nostic fiable peut être fait dès la seconde année de vie, à l’aide d’outils cliniques ;2 en effet, il serait confirmé lors de la réévaluation à l’âge de 3 ou 4 ans dans la majorité des cas.
Malgré ces avancées, l’âge moyen lors de l’identification reste de 3,2 ans dans les pays nord-américains et au-delà de 6 ans en France.
Plusieurs facteurs seraient en cause. Les enfants qui bénéficient de contrôles pédiatriques de routine et/ou ayant des contacts fréquents avec une grand-mère ou une fratrie plus âgée, seraient diag­nostiqués plus précocement. Les bébés ayant un handicap neurodéveloppemental évident sont également susceptibles d’être repérés plus rapidement. En revanche, le diagnostic est en général plus tardif chez les enfants qui n’ont pas de retard de langage verbal malgré un développement atypique des compétences socio-communicationnelles, surtout s’ils sont de sexe féminin, ou issus de minorités ethniques ou de familles à bas niveau socio-économique.3
Repérage, dépistage et diagnostic précoce des TSA sont d’autant plus cruciaux que les programmes de prise en charge précoce spécifiques se sont montrés efficaces, dans des études contrôlées.3

Marqueurs précoces

Compte tenu de l’importante diver­sité clinique inter- et intra-individuelle des TSA, il n’est pas surprenant que les manifestations précoces et les trajectoires développementales varient aussi. Certains enfants ont des anomalies comportementales à partir des premiers mois de vie (p. ex., en termes de réactivité ou d’interactions sociales), d’autres ont un retard de langage, d’autres encore une régression des compétences sociales et de l’autonomie dans leur seconde année. L’identification des signes précoces repose sur des approches rétrospectives (visionnage des films familiaux et entretiens avec les parents) et prospectives : suivi dans le temps du développement de populations à risque (conduites sensorimotrices, comportements sociaux et communication entre 6 et 36 mois).4 Pour le moment, ces études n’ont pu identifier aucun marqueur comportemental ou diagnostique définitif du TSA chez les nourrissons de moins de 12 mois. En revanche, des signes cliniques typiques émergent après la première année de vie et s’accumulent durant la seconde, con­duisant au diagnostic formel à 36 mois.
Selon un consensus d’experts multidisciplinaire,5 sont des marqueurs de TSA entre 12 et 24 mois : un niveau bas d’attention et de communication sociale (diminution du nombre de réponses à l’appel du prénom, attention visuelle réduite aux stimulus socialement significatifs et recours moins fréquent à l’attention conjointe et aux gestes de communication)1 et des comportements répétitifs avec des objets2 (utilisation atypique, tels que rotation, alignement, et surtout exploration visuelle prolongée ou marquée par une fixation atypique).
La recherche clinique suggère également que les mouvements anormaux du corps, notamment des actions répétitives ou une posture particulière (battement des mains, mouvement des doigts, marche sur la pointe des pieds) doivent être étroitement surveillés, car ils peuvent évoquer non seulement un TSA, mais aussi d’autres troubles du neuro­développement.
La dysrégulation du tempérament, caractérisée par une sensibilité moindre aux signaux de récompense sociaux, un affect négatif et une difficulté à contrôler l’attention et le comportement, serait un autre marqueur précoce.
Les trajectoires développementales peuvent également servir d’indicateurs de risque. Un développement relativement typique dans la première année, suivi, au cours de la deuxième, d’une dégradation des scores standard de mesure des indices verbaux et non verbaux, correspondant au ralentissement de l’acquisition de nouvelles compétences, est à surveiller.6 Entre 6-12 et 18 mois, une diminution du regard et des sourires sociaux et des vocalisations dirigées peut être évocatrice.5 Selon les recommandations de la HAS (2018), la recherche des signes d’alerte de TSA s’appuie sur les items du carnet de santé (encadré 2).

Dépistage : qui ? comment ?

Le repérage repose sur la formation des acteurs de première ligne (pédiatres, médecins de famille, centres de PMI, crèches et haltes-garderies). L’exploration de la communication, de la motricité fine et globale et du langage, ainsi que la recherche des signes d’alerte, sont recommandées lors des examens médicaux obligatoires des enfants de 0 à 6 ans, effectués par le médecin de famille, de PMI ou scolaire.
Le dépistage systématique est préconisé dans certaines situations (encadré 3) :
– enfants dits à haut risque, pour lesquels un suivi de proximité est nécessaire, dès les premiers mois de vie et jusqu’à 36 mois. Sont considérés à haut risque ceux qui sont prématurés avec ou sans retard de croissance in utero, puînés d’une famille ayant déjà un frère ou une sœur autiste, car le risque de récurrence est de 10-20% ;
– enfants ayant des symptômes précoces jugés à risque de TSA (encadré 2), qu’il faut orienter vers une évaluation et une prise en charge si nécessaire.
Dans tous les cas, la démarche de dépistage repose sur un examen clinique approfondi de l’enfant au cours d’une consultation dédiée (figure). Pour les sujets de 16 à 30 mois, elle peut également s’appuyer sur l’utilisation de la Modified Checklist for Autism in Toddlers (M-CHAT ; HAS 2018). Cet outil se compose de 23 questions adressées aux parents, concernant le comportement et le développement de l’enfant. Il peut être réalisé lors d’un bilan de santé, en 5 à 15 minutes. Aucune formation spécifique préalable n’est nécessaire. Attention, la M-CHAT est uniquement un outil de screening, pouvant également identifier les enfants à risque d’autres troubles du développement.
Ainsi, un score positif ne suffit pas pour poser le diagnostic de TSA. Il doit cependant, chez un enfant en bas âge, conduire à des investigations supplémentaires (bilans ORL, neurologique, explorations génétiques) et à des évaluations pluridisciplinaires auprès de spécialistes et de services de référence, qui valideront ou non la suspicion initiale (figure).

Confirmer le diagnostic

La fiabilité du diagnostic de TSAà l’âge de 24 moiset plus est bien établie.4
Avant cet âge, parler de trouble du neuro­développement est plus approprié, en raison des difficultés à faire un diagnostic formel et du caractère hétérogène et non spécifique des premières trajectoires de développement.
Un processus diagnostique si précoce dans l’histoire développementale de l’enfant est souvent complexe et exige une connaissance actualisée dans les domaines des instruments d’évaluation et de la clinique des premiers symptômes et des trajectoires développementales initiales de ces troubles. C’est pourquoi, l’évaluation diagnostique d’un TSA dans les premiers mois doit faire appel à une expertise pluridisciplinaire réunissant pédopsychiatre, généticien clinicien, neuropédiatre ainsi que biologistes (moléculaires & biochimistes), physiologistes (EEG) et neuroradiologues (IRM).7
On observe, en situation d’interaction avec l’enfant, ses capacités de communication sociale et les comportements restreints répétitifs afin de rechercher les signes centraux de trouble autistique selon les critères du DSM-5.
Des outils standardisés tels que l’Autism Diagnostic Interview-Revised (ADI-R) dès l’âge de 24 mois et L’Autism Diagnostic Observation Schedule (ADOS), module toddler, exigent une solide formation préalable, mais apportent une aide utile au diagnostic.
L’examen du niveau de fonctionnement intellectuel et des capacités adaptatives de l’enfant dans les situations de vie quotidienne fondé sur les observations parentales permet de cerner les potentialités et les difficultés, cruciaux pour construire le projet personnalisé d’intervention.
Il faut rechercher les troubles associés : neurodéveloppementaux (intellectuel, langage, déficit de l’attention, coordination) ; sensoriels (surdité, basse vision) ; psychopathologiques (anxiété, dépression…) ; du comportement alimentaire, du sommeil ; pathologies somatiques (dentaire, hormonale, cardiaque, digestive, métabolique…), neurologiques (épilepsie, fatigabilité ou paralysie, ataxie, mouvements anormaux).
Le médecin traitant a un rôle d’accompagnement : il oriente vers une consultation spécialisée, partage les informations avec les parents, a une place importante dans le suivi des enfants (vaccinal, dentaire, sommeil…).

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.
Encadre

1. Prévalence des TSA : en augmentation

Selon le dernier BEH de mars 2020, les données de 2 registres français des handicaps de l’enfant (RHE31 et RHEOP) montrent une augmentation des diagnostics de TSA à 8 ans.

La prévalence serait de 8 à 10/10 000 pour les enfants nés en 2010, avec davantage d’enfants sans retard intellectuel associé. Cette valeur est tout à fait comparable à des estimations récentes européennes pour les mêmes tranches d’âge.

Encadre

2. Signes d’alerte majeurs de trouble du spectre de l’autisme

Chez le jeune enfant

• Absence de babillage, de pointage à distance ou d’autres gestes sociaux pour communiquer à 12 mois et au-delà (faire coucou, au revoir…).

• Absence de mots à 18 mois et au-delà.

• Absence d’association de mots (non écholaliques) à 24 mois et au-delà.


Quel que soit l’âge

• Inquiétude des parents concernant le développement de leur enfant, notamment en termes de communication sociale et de langage.

• Régression des habiletés langagières ou relationnelles, en l’absence d’anomalie à l’examen neurologique.

Encadre

3. Dépistage systématique des TSA : chez qui ?

Enfants ayant des signes d’alerte de TSA, surtout au niveau de la communication sociale et du langage. Toute inquiétude des parents concernant le développement de l’enfant doit interpeller.

(médicaments :antiépileptique, psychotrope ; toxiques : alcool…).

Ayant des troubles du neurodéveloppement dans un contexte d’anomalie génétique habituellement associée au TSA.

Fratries d’enfants avec TSA, dès la fin de la première année.

Références
1. APA. Diagnostic and statistical manual of mental disorders, 5th edition (DSM-5). Washington DC; 2013. Traduction française : Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. Paris: Elsevier Masson; 2015.
2. Chawarska K, Klin A, Paul R, Macari S, Volkmar, F. A prospective study of toddlers with ASD: short-term diagnostic and cognitive outcomes. J Child Psychol Psychiatry 2009;50:1235-45.
3. Zwaigenbaum L, Bauman ML, Choueiri R, et al. Early Intervention for children with Autism Spectrum Disorder under 3 years of age: Recommendations for Practice and Research. Pediatrics 2015;136 (Suppl 1):S60-S81.
4. Zwaigenbaum L, Bryson SE, Brian J, et al. Stability of diagnostic assessment for autism spectrum disorder between 18 and 36 months in a high risk cohort. Autism Res 2016;9:790-800.
5. Zwaigenbaum L, Bauman ML, Stone WL, et al. Early Identification of Autism Spectrum Disorder: Recommendations for Practice and Research. Pediatrics 2015;136 (Suppl 1):S10-S40.
6. Ozonoff S, Young GS, Landan RJ, et al. Diagnostic stability In young children at risk for autism spectrum disorder: a baby siblings research consortium study. J Child Psychol Psychiatry 2015;56:988-98.
7. HAS. Trouble du spectre de l’autisme : signes d’alerte, repérage, diagnostic et évaluation chez l’enfant et l’adolescent. Recommandation de bonne pratique. Février 2018.
https://bit.ly/2TiRsXW

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essentiel

Les signes cliniques typiques des TSA à 24 mois ont une valeur prédictive positive forte d’autisme à 36 mois.

Le repérage précoce repose sur la formation des acteurs de première ligne (pédiatres, médecins de famille, de PMI, personnels des crèches et haltes-garderies).

Le dépistage systématique concerne des enfants à haut risque (nés grands prématurés ou puînés d’une famille ayant déjà un cas d’autisme) ou ayant des symptômes précoces.

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