Les sociétés savantes recommandent des protocoles de surveillance active au cours des cinq premières années.6,7 La durée du suivi postopératoire est importante pour détecter une rechute à un stade précoce.8,9 En France, les cancers sont pris en charge dans un système de soins très décentralisé, avec différents centres de traitement et de nombreuses structures de santé différentes.
Même si le pronostic s’est amélioré, les taux de survie dépendent toujours du stade : le taux de survie nette à cinq ans varie de 96 % pour les stades I à 71 % pour les stades III.10 Cela s’explique notamment par le fait que près de 12 % des stades I, 30 % des stades II et 54 % des stades III évolueront vers un cancer métachrone (c’est-à-dire qui apparaît dans un second temps) ou une récidive (locorégionale ou métastatique) dans les cinq ans postopératoires.10 Ce risque élevé de rechute justifie une surveillance adaptée, afin d’améliorer la survie grâce à une détection et une prise en charge plus précoces.
Traquer d’autres foyers tumoraux
Lésions coliques métachrones et récidives locales
Les recommandations du Thésaurus national de cancérologie digestive7 (TNCD) s’inspirent de celles de l’ESGE (European Society of Gastrointestinal Endoscopy).16 Il s’agit de réaliser une coloscopie totale dans les six mois postopératoires si elle était incomplète ou de mauvaise qualité avant l’intervention. Par la suite, une nouvelle coloscopie doit être programmée à un an, trois ans, puis tous les cinq ans. La surveillance peut être espacée après trois coloscopies normales, et interrompue chez des patients dont l’espérance de vie est inférieure à dix ans (accord professionnel). En cas de découverte de plus de trois adénomes ou d’un adénome à risque (taille supérieure à 1 cm, ou contingent villeux, ou dysplasie de haut grade, ou carcinome in situ) un contrôle doit être réalisé un an après l’exérèse complète, puis à trois ans, avant d’adopter un rythme quinquennal.
Rechercher une récidive métastatique
Intensifier la surveillance améliore-t-il la survie globale ?
Plusieurs méta-analyses18,19,20 ont montré une amélioration de la survie avec une surveillance « plus intensive ». Celles-ci se recoupent puisqu’elles regroupent à chaque fois les principaux essais de surveillance publiés. Il n’est donc pas étonnant que leurs résultats soient concordants. Alors que la méta-analyse de 2007 montrait qu’une surveillance intensive diminuait la mortalité de 20 %, et avançait le diagnostic de récidive, les résultats des dernières publications sont moins nets, du fait de l’hétérogénéité des études incluses. Dans la dernière méta-analyse menée sur les données individuelles des essais randomisés publiés entre 1995 et 2016, aucune différence de survie globale n’était objectivée. Cependant, ces essais étaient récents et leurs objectifs très divergents (fréquence, modalités, ou type de surveillance).Quels examens pratiquer ?
Le scanner a-t-il fait ses preuves ?
Enfin, il faut garder à l’esprit que le scanner est irradiant, et que, dès le troisième examen, des doses pouvant augmenter le risque de cancer radio-induit sont atteintes.23
Le TEP-scanner est inutile pour la surveillance des cancers colorectaux opérés à visée curative, comme l’a démontré l’étude ITEP.24
Faut-il doser l’antigène carcino-embryonnaire ?
2022 : la stratégie de surveillance s’appuie sur trois études
L’étude de phase III anglaise FACS
− minimale, avec un scanner unique réalisé entre douze et dix-huit mois ;
− des scanners seuls tous les six à douze mois ;
− un dosage régulier de l’ACE tous les trois à six mois ;
− ou un dosage régulier de l’ACE, couplé au scanner tous les six à douze mois.
L’objectif principal, qui était initialement la survie globale, a été remplacé par le taux de traitement à visée curative des récidives, en raison du faible nombre d’événements attendus.
Les résultats publiés montraient des taux de résection 3 fois plus élevés dans les bras avec répétition de la mesure de l’ACE ou du scanner ou de la combinaison des deux modalités. Lors de la dernière actualisation des résultats, même après un suivi médian de 8,7 ans, la survie globale n’était pas différente, et ce malgré une proportion d’exérèse à visée curative significativement plus importante dans les trois bras bénéficiant d’une surveillance plus soutenue par rapport à la surveillance minimale (6,7 %, 8,0 % et 6,6 % pour les bras ACE seul, scanner seul et scanner + ACE, vs 2,3 % pour le bras minimal ; p = 0,02). Les odds ratios (OR) ajustés étaient respectivement de 3,0 (IC à 95 % : 1,2-7,3), 3,6 (IC à 95 % : 1,5-8,7) et 3,1 (IC à 95 % : 1,1-8,7). En analyse factorielle, les OR ajustés étaient respectivement de 2,1 % (IC à 95 %: −0,6 %-7,8 %) pour les surveillances avec ACE et 2,4 % (IC à 95 % : 0,6 %-8,8 %) pour celles qui répétaient le scanner.
Concernant la prise en charge des récidives, 42 % des patients ont bénéficié d’une chimiothérapie postopératoire (dont 9,8 % associée à une radiothérapie). Au total, 66 % des patients ayant récidivé étaient encore en vie 4,4 ans après. Par rapport aux patients du bras minimal (référence), ceux qui étaient surveillés par ACE étaient 2,9 fois plus opérés à visée curative (IC à 95 % : 1,0-8,14). Ce taux était respectivement de 2,1 (IC à 95 % : 0,7-6,1) et 3,1 (IC à 95 % : 1,1-8,7) pour les bras scanner seul ou ACE + scanner. Les auteurs concluaient qu’il n’y avait aucun avantage à surveiller à la fois avec l’ACE et le scanner : ils recommandaient donc la surveillance de l’ACE associée à un seul scanner douze à dix-huit mois après la chirurgie d’exérèse du cancer primitif.
L’étude CEA Watch
Enfin, l’étude PRODIGE 13
Prendre en charge les effets tardifs digestifs, urinaires et sexuels
La radiothérapie peut augmenter durablement le risque de troubles intestinaux (nombre de selles, fragmentation, impériosité, continence…) après la chirurgie du rectum, du fait d’une sclérose et d’une perte musculaire au niveau du rectum et de l’anus, entraînant une baisse du tonus du sphincter anal. Au cours du suivi à long terme (14 ans) des patients traités dans l’essai danois31 comparant résection antérieure avec ou sans radiothérapie (50 Gy), ces troubles fonctionnels anorectaux était 6 fois plus fréquents après radiothérapie. La radiothérapie courte, comme dans l’essai suédois32, semble en réduire la toxicité, qui reste cependant près de 3 fois plus importante par rapport à la chirurgie seule (80 mois de suivi).
Quant aux troubles fonctionnels urinaires (pollakiurie, dysurie) ou sexuels (sécheresse vaginale, dyspareunie), la radiothérapie peut fragiliser les muqueuses de la zone pelvienne chez la femme et être responsable d’une ménopause prématurée. Les problèmes d’érection chez l’homme sont souvent liés à la fois à la chirurgie et à la radiothérapie.
Par rapport à la chirurgie seule, la radiothérapie augmente la fréquence des troubles du transit. Au cours du suivi à long terme dans l’essai de l’EORTC33, qui testait la radiochimiothérapie (5-FU) versus la radiothérapie seule avant chirurgie, 9 % des patients étaient devenus incontinents (deux colostomies d’amont ont été nécessaires), 6 % ont développé des sténoses de l’anastomose et 1,4 % des sténoses sur grêle radique, imposant une reprise chirurgicale. Dans une étude rétrospective, désormais ancienne34, les sténoses du grêle après traitement d’un cancer rectal concernaient jusqu’à 37 % des patients en cas de radiothérapie postopératoire, contre moins de 5 % après chirurgie seule. Elles se traduisaient par un syndrome de Koenig. Les facteurs prédictifs de survenue étaient le type de radiothérapie (volume et nombre de faisceaux), le moment de la séquence (préopératoire moins que postopératoire), et la dose. La radiothérapie est également toxique pour le sphincter, entraînant notamment des troubles de la défécation et de la continence, car la discrimination gaz/selles est altérée. L’association radiochimiothérapie, si elle augmente la toxicité aiguë des traitements, ne semble pas augmenter la toxicité tardive. La mise en œuvre de mesures préventives (traitement en réplétion vésicale, en procubitus, table spécifique) permettant d’éloigner l’intestin grêle du pelvis en cours de radiothérapie semble également bénéfique. D’autre part, l’amélioration des techniques (rayonnement à faible dose, volume tissulaire irradié limité, radiothérapie par modulation d’intensité [IMRT]) et des indications plus précises (notamment favorisant la période préopératoire) ont permis de réduire ce type de complication.35 Enfin, il existe une augmentation des risques de fracture du bassin et du col du fémur, majorés chez les femmes du fait d’une ostéoporose préexistante36 fréquente. Cet aspect de la prise en charge est actuellement largement sous-estimé.37
Le recours à une réunion de concertation pluridisciplinaire pelvi-perinéologie doit être encouragé pour améliorer la prise en charge de ces patients même à distance de la prise en charge initiale.
Vers un suivi personnalisé
À l’heure actuelle, les recommandations du TNCD doivent servir de cadre. Les futurs enjeux consisteront à établir des scores prédictifs afin d’ajuster la surveillance en fonction des caractéristiques moléculaires de la tumeur réséquée, des nouveaux biomarqueurs tels que l’ADN circulant, les exosomes… analysés en postopératoire.
Enfin, la recherche des séquelles et leur prise en charge sont des éléments importants du suivi, surtout après une radiothérapie néo-adjuvante. Il ne faut pas hésiter à interroger les patients sur les sujets qu’ils jugent sensibles (sexualité, continence) afin de pouvoir leur proposer les prises en charge adaptées.
Des recommandations des sociétés savantes…
Chacune des recommandations publiées par les différentes sociétés savantes se fonde sur les quelques études randomisées publiées et, du fait des discordances, surtout sur les avis d’experts. Très différentes d’une société à l’autre jusqu’en 2005, les recommandations actualisées à partir des publications les plus récentes tendent à s’harmoniser. Il persiste des différences, en particulier sur le choix de la technique d’imagerie (tableau). Les recommandations du TNCD reposent sur la conférence de consensus française de 1998 et les résultats de PRODIGE 13.
…à la pratique
Une enquête de pratiques publiée en 2005 a montré que les recommandations étaient peu suivies.29 La surveillance avait été comparée aux recommandations de la conférence de consensus de 1998. Près de la moitié des patients (47 %) avait une surveillance insuffisante par rapport à ces recommandations ! Un quart (24 %) était surveillé de manière adéquate, et 29 % avaient une surveillance excessive. L’intensité de la surveillance dépendait de l’âge, du stade tumoral, et du recours à une chimiothérapie ou une radiothérapie.
En bref
L’examen clinique, avec les touchers pelviens en cas de traitement ayant conservé le sphincter et/ou le rectum, est indispensable au suivi.
L’échographie abdominale et la radiographie pulmonaire sont les examens de référence en France pour la surveillance postopératoire. Ils doivent être répétés régulièrement : tous les trois à quatre mois pendant trois ans, puis tous les six mois jusqu’à cinq ans pour l’échographie abdominale, tous les six mois pendant cinq ans pour la radiographie pulmonaire.
Le dosage de l’ACE n’est pas utile dans la surveillance après résection à visée curative des cancers du rectum.
La surveillance endoscopique postopératoire est préconisée à un an, trois ans, puis tous les cinq ans si elle est normale. En cas d’examen initial incomplet, elle doit être contrôlée dans les six mois qui suivent la chirurgie.
Le TEP-scanner ne doit pas être utilisé en première intention pour la surveillance.
Les récidives endoluminales et les cancers métachrones étant rares, une surveillance endoscopique intensive est inutile.