Données générales

Sources de nombreuses complications psychiatriques, somatiques, addictologiques et sociales, les nouveaux produits de synthèse ont complètement modifié la scène actuelle des addictions. Ces substances n’existent pas à l’état naturel, et sont élaborées à partir de nombreux phénomènes chimiques. Dénommés également designer drugs, legal highs ou euphorisants légaux, herbal highs ou euphorisants végétaux, bath salts, sels de bain ou engrais pour plantes (comme les cactus, par exemple), encens, research chemicals, produits chimiques pour la recherche non consommables par l’homme ; ces produits ont fait leur apparition sur le marché des drogues à la fin des années 1990. Toutes ces appellations sont essentiellement utilisées dans un but de contourner les dispositions légales actuellement en vigueur. L’Observatoire français des drogues et des toxicomanies a retenu le terme de « nouveaux produits de synthèse » en 2012, en regard des travaux de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies.1

Les circuits

Les euphorisants légaux et végétaux correspondent à des substances psychoactives non contrôlées, obtenues par synthèse chimique ou dérivées de plantes. Ils sont utilisés en raison de leurs effets mimant ceux d’une substance illicite comme la cocaïne, les amphétamines, la méthamphétamine, le cannabis, les opioïdes, par exemple. Essentiellement produits en Chine et en Inde, mais également en Europe (Pologne, Pays-Bas), leur diffusion met en jeu les nouvelles technologies de communication, fixe l’offre et oriente la demande des usagers sur ce marché spécifique. Il existe une adaptation permanente des fabricants, des fournisseurs et des trafiquants des tendances commerciales afin de contourner les mesures de contrôle et d’interdiction mises en place par les autorités compétentes en vigueur aux niveaux national et international. Aujourd’hui, les nouveaux produits de synthèse sont essentiellement vendus sur Internet et constituent généralement une pseudo-alternative « légale » aux produits psychoactifs contrôlés et réglementés. Les lieux d’envoi de ces produits ainsi que l’origine des prélèvements bancaires sont situés dans des pays différents de ceux hébergeant les sites. Ce système d’éparpillement permet de brouiller la traçabilité et le contrôle de ce marché lucratif. Les données de Google Trends estiment que le terme « legal high » a commencé à être usité dans les recherches sur le Web à partir de 2006. Le nombre des sites proposant des nouveaux produits de synthèse en vente en ligne est en constante croissance. À titre d’exemple, leur nombre est passé de 170 en 2010 à 314 en janvier 2011, puis à 693 en janvier 2012. Quant aux sites francophones, leur nombre a également augmenté du simple au triple sur la même période, pour atteindre 108 sites en 2014.1
Les sels de bain doivent leur nom à leur aspect, leur conditionnement et leur inscription sur les sites de vente en ligne. Colorés, à l’aspect exotique, ils sont contenus dans des sachets avec des motifs captant l’attention, avec des noms évoquant le plaisir, l’extase, le bonheur, l’euphorie, le bien-être. Il s’agit, la plupart du temps, de cathinones de synthèse. Les produits chimiques pour la recherche (« research chemicals ») correspondent à des substances psychoactives issues de variantes moléculaires de substances illégales existantes, avec la mention « seulement pour la recherche chimique ». Il en va de même pour les produits vendus comme encens, par exemple, correspondant plus couramment à des cannabinoïdes de synthèse.2, 3

Les consommateurs

Les nouveaux produits de synthèse touchent différentes populations d’usagers de substances psychoactives. Il s’agit du milieu des « hommes ayant des rapports sexuels avec les hommes », usagers d’Internet, consommant dans l’espace festif et lors de parties sexuelles en France et à l’étranger, ayant popularisé la pratique du « slam » (injection intraveineuse), de jeunes adultes fréquentant le milieu festif alternatif, ayant consommé des nouveaux produits de synthèse potentiellement vendus sous des noms d’autres drogues illicites classiques, de sujets anciens dépendants à la cocaïne ou aux amphétamines, au cannabis et d’usagers occasionnels de drogues, socialement insérés, utilisant Internet pour se procurer et expérimenter les nouveaux produits. Dans certains pays, une consommation croissante de cannabinoïdes de synthèse est observée en prison, mettant en danger les sujets vulnérables. Elle devient de plus en plus populaire au sein de la communauté des usagers de tabac et de cannabis et chez les adolescents.4
En France, les cannabinoïdes de synthèse sont considérés comme des stupéfiants depuis 2009.5 L’arrêté du 27 juillet 2012, modifiant les arrêtés du 22 février 1990 fixant la liste des substances classées comme stupéfiants et la liste des substances psychotropes, a inscrit sur la liste des stupéfiants toute molécule dérivée de la cathinone, ses sels et ses stéréo-isomères, en raison des dangers liés à leur consommation.6

Cathinones de synthèse

Produits et effets psychoactifs

Les nouvelles substances comme la méphédrone, la méthylone, la 3,4-méthylènedioxypyrovalérone (MDPV), la méthylmethcathinone (4-MEC), la 3-FMC, la 4-FMC, la buphédrone, la butylone, la pentédrone, l’α-PVP (flakka) et la naphyrone figurent parmi les cathinones de synthèse les plus populaires.7 Elles se présentent sous forme de poudre cristalline la plupart du temps et sont essentiellement consommées par voie orale ou « bombing » (ingestion de poudre dans une feuille roulée comme un « parachute » de 3,4-méthylènedioxy-N-méthylamphétamine [MDMA]), par voie intranasale ou « sniff », par voie intrarectale ou « plug », ou par voie intraveineuse ou « slam », (terme anglais qui signifie « claquer », en raison de la montée rapide et intense de l’effet psychoactif de la substance consommée). D’autres voies d’administration comme la voie inhalée (fumée ou « chase the dragon ») ou la voie ophtalmique (« eyeballing ») ont été rapportées.8

Outre les effets sympathomimétiques communs à toutes les cathinones de synthèse, les effets recherchés varient en fonction du produit consommé, du consommateur, de la dose et de la voie d’administration.
Les cathinones de synthèse sont consommées pour leurs effets stimulants à type de sensation d’euphorie, de bien-être, de vigilance accrue, de sentiments empathogènes et entactogènes accrus, de tachypsychie, d’excitation motrice, d’augmentation de l’appréciation de la musique, et de stimulation sexuelle.2, 9
Les effets durent entre 30 minutes et 7 heures en fonction de la substance consommée et de la voie d’administration. En comparaison avec la cocaïne, 50 % des consommateurs rapportent de meilleurs effets avec la méphédrone et 60 à 75 % rapportent une durée d’action plus longue. Environ 50 % des usagers pensent que la méphédrone est moins addictogène que la cocaïne.9

Complications psychiatriques et addictologiques

Les effets non désirés associés à une prise prolongée de cathinones de synthèse incluent des manifestations anxieuses, une dysphorie, des insomnies, des hallucinations, une paranoïa, des troubles de la mémoire à court terme, un déficit attentionnel et de la concentration, des idéations suicidaires. Lors d’une exposition aux cathinones de synthèse ayant nécessité une consultation aux urgences, le symptôme le plus fréquent était l’agitation. Des éléments hyperthymiques sont également décrits. Ils se traduisant par des épisodes maniaques transitoires concomitants avec la prise de produit : distractibilité, sentiment de toute-puissance, agitation psychomotrice, fuite des idées, insomnie. Des cas de suicide liés à l’usage de cathinones de synthèse ont également été rapportés.9
Les symptômes psychotiques sont le plus souvent d’ordre paranoïaque (méfiance, persécution, interprétations…) causés par la méphédrone ou par un mélange appelé NRG, par exemple. Il peut s’agir parfois d’un tableau clinique ressemblant à un trouble délirant aigu induit par les psycho­stimulants avec des hallucinations auditives et visuelles, des mécanismes interprétatifs, de la persécution, un sentiment de complot fomenté par l’entourage et la police, un risque de passage à l’acte auto- ou hétéro-agressif. L’usage répété et intensif de ces nouvelles substances favoriserait l’apparition de ces symptômes.2, 10
Il existe un potentiel addictif des cathinones de synthèse. En raison du phénomène de tolérance, les usagers de cathinones de synthèse ont besoin de répéter les prises et d’augmenter les doses pour reproduire les effets induisant un renforcement positif. Il existe également un phénomène de craving (désir irrépressible de consommer une substance) et de perte de contrôle en fonction du contexte de consommation. Un syndrome de sevrage après arrêt brutal de l’usage de méphédrone et de MDPV a été décrit.7 Il est caractérisé par une asthénie, une anergie, une humeur triste, une anhédonie, une anxiété, des troubles du sommeil, des troubles de la concentration, des palpitations et des céphalées. Le craving, l’anhédonie et l’anergie peuvent persister plusieurs semaines.7

Cannabinoïdes de synthèse

Produits et effets psychoactifs

Les cannabinoïdes de synthèse ont une action pharmaco­logique similaire au cannabis. Leur principal effet est fonctionnellement identique au delta-9-tétrahydro­cannabinol (Δ9-THC), principe psychoactif du cannabis, et interagit avec les récepteurs cannabinoïdes CB1 et CB2. Leur consommation par voie inhalée entraîne des effets similaires à ceux du cannabis.11
Il existe une inter- et une intravariabilité importante entre les produits (v. tableau) et les individus. Dans un contexte d’auto-expérimentation en laboratoire,12 un auteur a fumé 0,3 g d’un cannabinoïde appelé « spice diamond » dans une cigarette. Environ 10 minutes après inhalation, les premiers effets ressentis étaient une tachycardie, une hyperhémie conjonctivale, une xéro­stomie, une altération de la perception et de l’humeur, comme avec le Δ9-THC.12 Les effets psychoactifs des cannabinoïdes de synthèse sont multiples, ils dépendent du produit, de la dose et de la voie d’administration. Ils durent environ 6 heures et finissent par s’atténuer progressivement même si des symptômes mineurs peuvent persister 24 heures plus tard.5, 2
Les principaux effets recherchés par les usagers sont la sensation de bien-être, l’euphorie et la désinhibition.8 La plupart des effets psychoactifs documentés sont comparables aux effets induits par le Δ9-THC : euphorie, désinhibition sociale, sédation, hyperesthésie, distorsions perceptives, voire un repli social. Au-delà de ces effets communs, différents cannabinoïdes de synthèse sont également à l’origine de modifications inconstantes des perceptions sensorielles, allant jusqu’aux hallucinations, et peuvent aussi donner l’impression qu’il existe une distorsion temporelle.4

Complications psychiatriques et addictologiques

Les effets indésirables psychiatriques incluent des symptômes dépressifs, maniaques, paranoïaques, une anxiété, des attaques de panique, une agitation, une irritabilité, une insomnie, une hyperactivité, des ruminations, des troubles cognitifs (mémoire à court terme, attention, concentration…), l’apparition de reviviscences, un phénomène de présentation de type « zombie » (apathie, pâleur, ralentissement psychomoteur…) et des idéations suicidaires. Des cas d’automutilation, de catatonie secondaire ont été rapportés. En outre, il est important de rappeler que les produits contenant des cannabinoïdes de synthèse ne contiennent pas de cannabidiol. Il est donc fort probable que ces substances soient d’autant plus à risque d’être à l’origine de troubles délirants induits. Des symptômes délirants, des hallucinations acoustico-verbales et des éléments dissociatifs ont été décrits. Enfin, les cannabinoïdes de synthèse pourraient exacerber des symptômes psychotiques chez des patients stabilisés.
Le potentiel addictif des cannabinoïdes de synthèse est décrit. Une dépendance physiologique (symptômes de sevrage et tolérance) résultant d’un usage chronique de « spice » a été décrit. Le syndrome de sevrage ressemble à celui induit par le cannabis, à savoir tachycardie, insomnie, cauchemars, rêves intenses, céphalées, anxiété, anorexie, hypertension artérielle, nausées, impatiences, crampes, sueurs, frissons. Les symptômes se résorberaient en moins d’une semaine avec un traitement symptomatique. La présence d’un « craving » d’intensité modérée à sévère est constatée.2

TOUJOURS DEMANDER AUX PATIENTS CE QU’ILS CONSOMMENT

Les cathinones et les cannabinoïdes de synthèse s’inscrivent maintenant dans le nouveau paysage des drogues, avec une diffusion via Internet essentiellement. Les premières, substances psychostimulantes, sont utilisées dans différents contextes : un usage récréatif, un switch de substances, et le chemsex (consommation de substances dans le cadre d’une activité sexuelle). Le retour de la voie intraveineuse popularisée sous le terme « slam » est un phénomène inquiétant dans la communauté des hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes notamment.
Tous les professionnels de santé se doivent d’interroger leurs patients sur l’usage de nouveaux produits de synthèse. Il n’y a pas de signe clinique spécifique en dehors de celui d’une substance stimulante (effet en « colline » avec montée et descente) pour les cathinones ou du cannabis pour les cannabinoïdes de synthèse. Il n’existe pas encore de dosage urinaire spécifique en routine. Les professionnels de santé y travaillent avec les pouvoirs publics. Enfin, des mesures de réduction des risques et des dommages doivent être envisagés dans les populations concernées. Si traitement il y a, celui-ci ne sera que symptomatique. Différents types d’études sont en cours.
V
Références
1. Karila L, Megarbane B, Chevillard L, Benturquia N, Laplanche JL, Lejoyeux M. Nouveaux produits de synthèse : revue des données actuelles. Presse Med 2015;44:383-91.

2. Cottencin, O, Rolland B, Karila L. New designer drugs (synthetic cannabinoids and synthetic cathinones): review of literature. Curr Pharm Des 20 2014;25:4106-11.

3. Karila L, Petit A, Cottencin O, Coscas S, Reynaud M. Drogues de synthèse : le nouveau cadre low-cost des drogues. Rev Prat 2012;62:664-6.

4. Scocard, A, Benyamina A, Coscas S, Karila L. Cannabinoïdes de synthèse : une nouvelle matrice des addictions. Presse Med 2017;46:11-22.

5. Karila, L, Benyamina A, Blecha L, Cottencin O, Billieux J. The synthetic cannabinoids phenomenon. Curr Pharm Des 2016;22:6420-5.

6. Arrêté du 27 juillet 2012 modifiant les arrêtés du 22 février 1990 fixant la liste des substances classées comme stupéfiants et la liste des substances psychotropes. JO 2012.

7. Karila, L, Lafaye G, Scocard A, Cottencin O, Benyamina A. MDPV and alpha-PVP use in humans: The twisted sisters. Neuropharmacology 2018;134:65-72.

8. Coppola M, Mondola R. Synthetic cathinones: chemistry, pharmacology and toxicology of a new class of designer drugs of abuse marketed as "bath salts" or "plant food". Toxicol Lett 2012;211:144-9.

9. Karila L, Megarbane B, Cottencin O, Lejoyeux M. Synthetic cathinones: a new public health problem. Curr Neuropharmacol 2015;13:12-20.

10. Karila L, Billieux J, Benyamina A, Lançon C, Cottencin O. The effects and risks associated to mephedrone and methylone in humans: A review of the preliminary evidences. Brain Res Bull 2016;126:61-7.

11. Wells DL, Ott CA. The "new" marijuana. Ann Pharmacother 2011;45:414-7.

12. Auwärter V, Dresen S, Weinmann W, Müller M, Pütz M, Ferreirós N. 'Spice' and other herbal blends: harmless incense or cannabinoid designer drugs? J Mass Spectrom 2009;44:832-7.

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Résumé

Les nouveaux produits de synthèse ont complètement modifié la scène actuelle des addictions. Dénommés également designer drugs, legal highs ou euphorisants légaux, herbal highs ou euphorisants végétaux, sels de bain ou bath salts, engrais pour plantes, encens, produit chimique pour la recherche non consommable par l’homme ou research chemicals, les nouveaux produits de synthèse ont fait leur apparition sur le marché des drogues à la fin des années 1990. Les euphorisants légaux et végétaux correspondent à des substances psychoactives non contrôlées, obtenues par synthèse chimique ou dérivées de plantes. Essentiellement produits en Chine et en Inde, mais également en Europe, leur diffusion met en jeu les nouvelles technologies de communication, fixe l’offre et oriente la demande des usagers sur ce marché spécifique. Aujourd’hui, ces produits sont essentiellement vendus sur Internet et constituent généralement une pseudo-alternative « légale » aux produits psychoactifs contrôlés et réglementés. Ils sont consommés en raison de leurs effets mimant ceux d’une substance illicite comme la cocaïne, les amphétamines, la méthamphétamine, le cannabis, les opioïdes par exemple. Ces nouveaux produits de synthèse sont source de nombreuses complications psychiatriques, somatiques, addictologiques et sociales.