Les crises non épileptiques psychogènes sont des événements paroxystiques qui ressemblent du fait de leur contenu, comportemental ou expérientiel, aux crises d’épilepsie. Cependant, elles ne sont pas accompagnées des modifications électrophysiologiques, électroencéphalographiques qui caractérisent ces dernières. Les cliniciens s’accordent à dire que ces épisodes sont involontaires et sous-tendus par un processus psychologique inconscient. Ils sont classés en tant que troubles dissociatifs dans la 10e version de la Classification internationale des maladie (CIM-10), et comme troubles à symptomatologie neurologique fonctionnelle (ou troubles de conversion) avec « attaque aux crises épileptiformes » dans la 5e version du Manuel statistique et diagnostique des troubles mentaux (DSM-5) [v. p. 195]. Il ne s’agit pas de troubles factices ou de troubles de simulation.

Un diagnostic trop tardif

Du fait de la difficulté diagnostique, les données épidémio­logiques concernant les crises non épileptiques psychogènes sont rares et limitées. Leur incidence est estimée entre 1,4 et 4,9 cas pour 100 000 personnes par an (soit une incidence proche de celle de la sclérose en plaques !). Leur prévalence se situe entre 2 et 33 cas pour 100 000 personnes. Ces crises affectent toutes les tranches d’âge, mais en majorité l’adulte jeune entre 15 et 30 ans. Elles sont plus fréquentes dans la population féminine (sex ratio ≈ 1/4), mais semblent de plus mauvais pronostic chez les hommes.
On estime que les crises non épileptiques psychogènes concernent 10 % des patients suivis en ambulatoire pour des crises et 20 à 40 % des patients hospitalisés dans les services spécialisés de vidéo-électroencéphalographie (vidéo-EEG) ; 10 % des patients ayant des crises psychogènes souffrent aussi d’épilepsie, 80 % sont étiquetés épileptiques pendant des années, et le diagnostic est souvent différé (le retard diagnostique est de 7 ans en moyenne). Or, lorsque le diagnostic n’est pas fait précocement, les crises non épileptiques psychogènes peuvent avoir des conséquences dramatiques. En effet, la première cause de morbi-mortalité reste l’erreur diagnostique dont résulte une prise en charge médicale agressive parfois en unité de soins intensifs ou de réanimation (jusqu’à 40 % des patients passeront en unité de soins intensifs au cours de leur histoire médicale). Une comorbidité psychiatrique est fréquemment associée (plus de 70 % des patients) et grève parfois le pronostic et la qualité de vie.1
Enfin, le coût de la prise en charge d’un patient atteint de crises non épileptiques psychogènes est sensiblement superposable à celui d’un patient ayant une épilepsie réfractaire, et seulement 20 % ont une activité professionnelle. Il s’agit donc d’un véritable enjeu médical tant sur le plan diagnostique et thérapeutique que de santé publique.

Un diagnostic difficile

Le diagnostic de crises non épileptiques psychogènes est très difficile tant la clinique se rapproche de celle de l’épilepsie. L’observation d’une crise et son corrélat électrophysiologique est donc indispensable au diagnostic de certitude. L’enregistrement EEG prolongé sous contrôle vidéo reste à ce jour l’étalon-or et permet de démontrer l’absence d’activité épileptiforme concomitante de la crise. Afin d’accroître la sensibilité de cet examen, des manœuvres de provocation (hyperpnée, stimulation lumineuse intermittente, suggestion verbale) peuvent être utilisées par des médecins entraînés et après en avoir informé le patient. Malheureusement, l’enregistrement vidéo-EEG n’est pas toujours possible, et la normalité de l’EEG intercritique (réalisé entre deux épisodes de crises) ne permet pas d’infirmer le diagnostic. Enregistrer un épisode en vidéo (par exemple par l’entourage du patient) est donc particulièrement utile, mais l’avis d’un neurologue spécialisé en épilepsie ou d’un psychiatre familier du diagnostic est alors requis.
En effet, la sémiologie des crises non épileptiques psychogènes se rapproche, par définition, de celle des crises d’épilepsie. Elles peuvent être pseudosyncopales, hyperkinétiques (lorsque le patient fait de grands mouvements involontaires) ou paucikinétiques et avec ou sans rupture de contact.2 Certains signes cliniques peuvent être évocateurs (durée prolongée et fluctuation clinique de la crise, mouvements anarchiques, mouvements du bassin, posture en opisthotonos, mouvements de dénégation de la tête, fermeture des yeux). Cependant, aucun de ces signes, pris séparément, n’est sensible ou spécifique. De même, les signes fréquemment observés au cours des crises d’épilepsie (perte d’urine, morsure de langue, chute traumatique) peuvent aussi se voir au cours des crises psychogènes. Enfin, l’interrogatoire du patient est souvent particulièrement instructif et peut permettre d’orienter le diagnostic. En effet, les patients ont souvent des difficultés à évoquer précisément leurs symptômes, et leurs formulations sont volontiers négatives (« je ne sais rien », « je ne sens rien »).3
Une équipe a récemment publié des recommandations diagnostiques reposant sur la clinique et l’enregistrement vidéo et EEG des patients. Celles-ci se divisent en quatre points de certitude diagnostique croissante : possible, probable, cliniquement définie, et documentée (v. tableau).4

Une perturbation de la gestion et de la régulation des émotions

Les trois quarts des patients ont eu un traumatisme psychologique (abus sexuel, agression, décès brutal…). Cependant, l’étiopathogénie des crises non épileptiques psychogènes reste aujourd’hui mal connue et implique des mécanismes multiples et complexes (v. p. 207). La dissociation est probablement le processus central et implique une altération transitoire de fonctions normalement intégrées, comme la conscience de soi, la mémoire ou les fonctions sensorimotrices. Les perturbations de la gestion et de la régulation émotionnelle sont aussi un point capital. Ainsi les études en imagerie morphologique, métabolique ou fonctionnelle mettent en évidence des altérations dans les circuits neuronaux impliqués dans le contrôle des émotions (système limbique), dans la conscience et la perception de soi (cortex préfrontal et pariétal) et dans l’exécution motrice (cortex moteur et prémoteur). Cependant, ces résultats sont à discuter. En effet, ils pourraient ne pas être spécifiques des crises non épileptiques psychogènes mais liés à certaines comorbidités qui leur sont fréquemment associées (troubles psychiatriques, traumatismes crâniens). De futures études contrôles devraient permettre de faire la part entre ces différents facteurs confondants.5

Recherche des facteurs explicatifs : « les 3 P »

Un psychiatre ou un psychologue connaissant les crises non épileptiques psychogènes peut aider à augmenter le degré de certitude diagnostique en reconnaissant des profils psychopathologiques identifiés. Il recherche activement les « 3 P » : les facteurs prédisposants (qui rendent vulnérables à ce type de symptômes), les facteurs précipitants (que l’on peut retrouver avant la première crise puis avant les crises), et enfin les facteurs perpétuants (qui expliquent le maintien dans le temps des troubles) ; ces facteurs multiples sont détaillés dans la figure 1. Il peut s’appuyer sur un entretien structuré pour les comorbidités psychiatriques et des questionnaires spécifiques de dissociation psychique et somatoforme, d’alexithymie*, d’événements de vie ou de maltraitance infantile. Cette phase d’évaluation est absolument indispensable. Elle permet de mieux expliquer sa pathologie aux patients et de déterminer la stratégie thérapeutique « sur mesure » selon son profil de facteurs.

Annonce diagnostique

C’est une étape capitale, déterminante pour le pronostic, c’est le début du traitement (v. p. 209). Une bonne annonce permet l’arrêt des crises chez 40 % des patients. Les messages principaux sont : « Ce n’est pas de la simulation, on vous croit », « C’est une vraie maladie », « C’est une maladie fréquente », « Il se passe bien quelque chose dans votre cerveau », « Il n’y a pas de lésion, mais des problèmes de fonctionnement, de réglage des différentes zones de votre cerveau », « Les crises peuvent s’arrêter », « Vous pouvez apprendre à gagner du contrôle sur vos crises », « Les traitements antiépileptiques ne sont pas efficaces ». Une vidéo d’annonce pédagogique est mise gratuitement à la disposition des praticiens sur le site internet www.canalu.tv/video/canal_u_medecine**. Le diagnostic de crises non épileptiques psychogènes ne signe cependant pas la fin de la prise en charge par le neurologue, qui devrait rester l’interlocuteur privilégié du patient lors de la transition avec la prise en charge psychologique.

Place des médicaments

Les traitements antiépileptiques n’ont aucune efficacité sur les crises non épileptiques psychogènes (même si un effet placebo peut parfois faire croire l’inverse). Mais ils ne doivent pas être arrêtés brutalement du fait de risque de crise d’épilepsie de sevrage. La place des psychotropes est discutée. Les anxiolytiques peuvent avoir un intérêt très ponctuel. Les antidépresseurs de type inhibiteurs de la recapture de la sérotonine ou inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline sont, en revanche, très intéressants en cas de comorbidités anxieuses ou dépressives sévères et pourraient peut-être favoriser la régulation émotionnelle.

Psychoéducation

Les crises non épileptiques psychogènes, comme l’ensemble des troubles somatoformes (v. p. 209), sont des troubles qui nécessitent encore plus que d’autres des explications car elles restent encore mal connues des professionnels de santé et bien sûr du grand public. Il est capital que le patient comprenne bien, s’approprie profondément l’idée que ces troubles sont liés à un problème de fonctionnement/de réglages des fonctions cérébrales et non à une lésion cérébrale et que ces troubles, par leurs mécanismes, sont totalement réversibles. Il faut qu’il intègre le rôle des émotions dans ses crises, qu’il comprenne et identifie le phénomène de dissociation et son utilité comme un mécanisme de protection à court terme. Il doit aussi apprendre à différencier ses crises d’épilepsie des crises psychogènes s’il présente les deux. Le praticien peut conseiller au patient des supports de psychoéducation comme, par exemple, le site http://www.lareponsedupsy.info/CPNE qui propose des plaquettes imprimables, un livre d’éducation thérapeutique spécifique pour les patients et leur famille où la première partie explique en détail ces troubles.6 Plus le patient comprend et accepte ses crises, plus l’évolution est favorable. Cette phase de psychoéducation est indispensable au processus d’acceptation qui prépare la phase de changement.

Prise de contrôle sur les crises

Il est capital que le patient comprenne que, s’il veut guérir, il doit être acteur dans son traitement. Les crises non épileptiques psychogènes, comme toutes les autres pathologies somatoformes, ne se règlent pas avec un traitement médicamenteux, un geste chirurgical… le patient ne peut pas rester passif, il doit s’aider lui-même d’autant plus qu’il est parfois compliqué de trouver des thérapeutes aguerris à ces troubles. Il existe une méthode structurée thérapeutique validée, inspirée des thérapies cognitives et comportementales (TCC). Cette méthode a démontré son efficacité sur la fréquence des crises non épileptiques psychogènes, la qualité de vie et les symptômes associés. Elle est aussi utilisée pour les crises d’épilepsie et conseillée par les auteurs pour tous les troubles somatoformes/dissociatifs. Elle consiste en 12 sessions hebdomadaires, le thérapeute peut être un psychologue, psychiatre, neurologue, infirmier, éducateur ou autre qui s’est formé et est guidé par le Guide du thérapeute.7 Le patient a son propre livre8 et travaille sur ce support, il doit lire et préparer chaque session par lui-même, se fixer des objectifs et réaliser des exercices d’observation et des exercices pratiques qui sont repris et discuter avec le thérapeute qui l’accompagne. Les étapes indispensables sont de : tenir un agenda des crises pour identifier précisément les facteurs déclencheurs (circonstances, pensées, émotions…) ; repérer les symptômes « précrise » et réagir à ces symptômes d’alerte ; identifier, verbaliser et travailler sur ses émotions ; s’approprier des exercices de relaxation… La lutte contre la dissociation est capitale, elle se réalise à travers des exercices d’ancrage dans l’ici et maintenant, pour rester connecter avec ses 5 sens dans la réalité présente et éviter le processus de dissociation, qui peut conduire vers une crise psychogène. Le patient peut trouver ces exercices dans le livre Les crises non épileptiques psychogènes : les CNEP.6 Du fait des crises elles-mêmes et de la peur de faire une crise en public, les patients peuvent aussi restreindre énormément leur activités, sorties, rencontres ; cela peut être un facteur de pérennisation très important et altérer leur qualité de vie. Il faut aider et encourager les patients à ne pas tomber dans ce cercle vicieux. Le but est aussi de reprendre le contrôle sur sa vie.

Un traitement sur mesure

Les trois phases comportant l’annonce diagnostique soignée, la psychoéducation et la prise de contrôle sur les crises, avec en particulier le travail sur les facteurs déclenchants, sont le socle essentiel pour ces troubles et devraient pouvoir être proposées à tout patient. En revanche, selon les facteurs prédisposants et perpétuants du patient, il faut définir des prises en charge spécifiques. En cas de vécu traumatique, une prise en charge centrée sur le traumatisme avec des techniques d’exposition est quasiment incontournable (eye-movement desensitization and reprocessing, TCC, thérapie d’exposition prolongée ou hypnose). Il est aussi nécessaire chez ces patients d’accentuer le traitement de la dissociation souvent très présente ; ce traitement consiste à proposer des exercices de réassociation et d’ancrage dans l’ici et maintenant en favorisant l’ancrage sur les sensations visuelles, audi­tives, tactiles du moment présent.
S’il existe des comorbidités dépressives ou anxieuses, il est utile de recourir à un traitement par inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine et à une TCC ou à des thérapies spécifiques (thérapies brèves, interpersonnelles, mindfulness, hypnose…). Les patients ayant une forte alexithymie tireront profit d’une thérapie aidant à identifier et à verbaliser les émotions. Dans les cas minoritaires de troubles de la personnalité associés, il peut être proposé des thérapies visant surtout des changements dans les interactions relationnelles (thérapie des schémas…). Pour les facteurs perpétuants en lien avec des dysfonctionnements familiaux, une thérapie systémique peut être utile. En cas de retard intellectuel et de crises déclenchées par la frustration, un abord comportemental est à privilégier en l’associant avec des techniques de relaxation.

De nouvelles possibilités thérapeutiques …

Bien qu’il n’y ait pas d’étude suffisamment validée à l’heure actuelle, la piste du biofeedback semble assez prometteuse, d’autres techniques comme la neurostimulation transmagnétique répétée pourraient aussi être intéressantes (v. p. 221).
* L’alexithymie est une difficulté à identifier et à nommer ses émotions.** https://www.canal-u.tv ou https://bit.ly/2C6Qo1N
Références
1. Hingray C, Biberon J, El-Hage W, de Toffol B. Psychogenic non-epileptic seizures (PNES). Rev Neurol (Paris) 2016;172:263-9.
2. Hubsch C, Baumann C, Hingray C, et al. Clinical classification of psychogenic non-epileptic seizures based on video-EEG analysis and automatic clustering. J Neurol Neurosurg Psychiatry 2011;82:955-60.
3. Reuber M, Micoulaud-Franchi JA, Gülich E, Bartolomei F, McGonigal A. Comment ce que disent les patients peut nous renseigner sur leurs crises non épileptiques psychogènes. Neurophysiol Clin 2014;44:375-88.
4. LaFrance WC Jr., Baker GA, Duncan R, Goldstein LH, Reuber M. Minimum requirements for the diagnosis of psychogenic nonepileptic seizures: A staged approach. Epilepsia 2013;54:2005-18.
5. Asadi-Pooya AA. Neurobiological origin of psychogenic nonepileptic seizures: A review of imaging studies. Epilepsy Behav 2015;52(Part A):256-9.
6. Hingray C. Les crises non épileptiques psychogènes, Savoir pour guérir. La réponse du psy, 2017. www.lareponsedupsy.info
7. LaFrance WC, Wincze P, traduits par El-Hage W, Hingray C. Un Guide pour le thérapeute – Traiter les crises (non) épileptiques. Tours : Presse universitaires François-Rabelais, 2018.
8. Reiter JM, Andrews D, Reiter C, LaFrance WC, traduits par Hingray C, El-Hage W. Un Guide pour le patient – Prendre le contrôle de vos crises (non) épileptiques. Tours : Presses universitaires François-Rabelais, 2018.

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Résumé Crise non épileptique psychogène : le renouveau de l’abord des troubles de conversion

Les crises non épileptiques psychogènes sont caractérisées par des changements brutaux de comportement ou de conscience ressemblant à des crises d’épilepsie. Elles sont classées parmi les troubles dissociatifs ou somatoformes. Leur diagnostic est difficile et passe par l’enregistrement vidéo-électroencéphalogramme d’un événement typique. Ces crises sont le symptôme d’une maladie sous-jacente liée à des perturbations de la gestion et la régulation des émotions. Ainsi, les facteurs prédisposants, précipitants et perpétuants des crises doivent être soigneusement évalués. L’annonce multidisciplinaire du diagnostic est une étape thérapeutique indispensable et efficace, et la prise en charge thérapeutique est adaptée au cas par cas.