La maladie ostéoporotique est asymptomatique tant que ne survient pas de fracture, ce qui en constitue l’unique mais redoutable complication. Le diagnostic précoce d’ostéoporose, avant la première fracture, a grandement bénéficié de l’avènement de l’ostéodensitométrie biphotonique (DXA), qui permet d’évaluer quantitativement la masse osseuse et de proposer des seuils diagnostiques et d’intervention thérapeutique. La progression de la perte osseuse réalisant un continuum, il appartient aux sociétés savantes et aux instances de santé publique de chaque pays de définir le seuil à partir duquel la maladie doit être traitée. Ce seuil peut d’ailleurs être variable d’un pays à l’autre en raison de considérations diverses, épidémiologiques ou économiques. Lorsque survient la fracture, celle-ci est considérée comme ostéo­porotique lorsqu’on a pu éliminer une autre cause, traumatisme ou cancer, ou une autre ostéopathie fragilisante plus rare comme l’ostéomalacie. Ces fractures peuvent intéresser tous les os du squelette à l’exception toutefois du crâne, du rachis cervical, du rachis thoracique au-dessus de T4, des os de la main et des orteils et surviennent pour un traumatisme minime, c’est-à-dire une chute n’excédant pas la hauteur du sujet. Ces conditions ne sont toutefois pas suffisantes pour établir formellement le caractère ostéoporotique d’une fracture, cause qui doit être confirmée par la mesure de la masse osseuse par DXA ou, comme nous le verrons, par une approche plus prédictive reposant sur des algorithmes mêlant DXA et facteurs de risque cliniques d’ostéoporose, comme l’outil FRAX.
Il existe de fait plusieurs définitions de l’ostéo­porose en fonction du but que l’on se propose, physiopathologique, diagnostique ou thérapeutique, et aussi de l’évolution des technologies (v. tableau). L’historique de ces définitions permet de mieux comprendre leur intérêt et leurs limites respectives, ce qui a des conséquences directes sur l’établissement du diagnostic de l’ostéo­porose et l’indication de son traitement en pratique clinique.

Définition et diagnostic de l’ostéoporose

Définition histologique

La définition la plus ancienne, la plus difficile à recueillir et probablement la plus proche de la physiopathologie de la maladie, est celle de l’histologiste : l’ostéoporose est due à une diminution de la masse osseuse et à une altération de la micro-architecture osseuse. Cette définition pose d’emblée le problème de sa vérification, et donc de son utilité en pratique car elle sous-entend la disponibilité d’une pièce osseuse pour l’analyse histomorphométrique,1 obtenue par une ponction-biopsie osseuse, ce qui est une procédure difficile à proposer en pratique quotidienne.
L’histomorphométrie osseuse est effectuée sur un prélèvement osseux non décalcifié obtenu par ponction-­biopsie transfixiante de la crête iliaque sous anesthésie locale. Elle permet l’analyse quantitative (volume trabéculaire osseux, épaisseur des corticales) et qualitative de la structure osseuse (connexion et épaisseur des travées osseuses). Elle permet également d’évaluer le remodelage osseux grâce à un double marquage aux tétracyclines (vitesse de minéralisation) qui, sous lumière polarisée, objective les fronts de minéralisation. Cet examen définit l’os ostéoporotique comme ayant un volume trabéculaire osseux diminué, c’est-à-dire un volume d’os occupant une surface inférieure ou égale à 11 % de l’ensemble du champ analysé. L’examen de la coupe permet également d’appréhender certaines altérations de la micro-architecture, comme l’amincissement des travées et leur perte de connectivité, phénomènes qui contribuent à la diminution de la résistance mécanique de l’os.

Définition densitométrique

Dans les années 1980 apparaît une nouvelle technique d’évaluation de la masse osseuse, l’ostéodensitométrie biphotonique par rayons X (DXA), commode, fiable, peu irradiante et peu coûteuse, qui permet de mesurer au moins une des composantes de la fragilité osseuse, la quantité d’os. Une deuxième définition de l’ostéoporose est ainsi rendue possible en classant les sujets en fonction du niveau de baisse de leur densité minérale osseuse (DMO). L’Organisation mondiale de la santé (OMS) propose alors une définition opérationnelle de l’ostéoporose fondée sur la densitométrie.2 Le résultat est donné en T-score, c’est-à-dire en nombre d’écarts types ou déviations standard (DS) séparant la valeur de DMO du sujet mesuré de celle de la moyenne d’une population jeune, en bonne santé et du même sexe. Chaque perte d’un écart type multiplie globalement par 2 le risque de fracture à tous les sites habituels (vertèbres, fémur proximal, poignet). La perte osseuse étant un continuum, il fallut arbitrairement définir des classes en fonction du degré de perte osseuse en s’appuyant sur les données mathématiques et épidémiologiques. Un seuil de T-score de -2,5 est choisi comme définition densitométrique de l’ostéoporose. On remarque qu’un sujet étiqueté comme normal car sa DMO est proche de -1 aura quand même un risque de fracture doublé par rapport à la population de référence.

Définition consensuelle du NIH

Le National Institutes of Health (NIH) a proposé il y a 20 ans une définition globale de l’ostéoporose, certes consensuelle parce qu’elle tient compte des aspects quantitatif et qualitatif de la maladie mais surtout qui introduit la notion de risque augmenté de fracture : « l’ostéoporose est une maladie généralisée du squelette associant une diminution de la masse osseuse à des altérations de la microarchitecture conduisant à un risque augmenté de fractures ».3 Cependant, cette définition ne permet pas au praticien de prendre une décision thérapeutique car elle ne propose pas de seuil décisionnel.

Définition thérapeutique du GRIO

La maladie ostéoporotique est également confirmée a posteriori lorsqu’on estime qu’elle doit être traitée. Le Groupement de recherche et d’information sur les ostéoporoses (GRIO) en se fondant sur les études épidémiologiques et thérapeutiques, a proposé plusieurs seuils de décision thérapeutique en tenant compte d’une part du statut fracturaire et d’autre part de la DMO. Ces seuils décisionnels sont atteints en présence d’une fracture sévère (vertèbre, bassin, extrémité proximale du fémur et de l’humérus), en cas de fracture non sévère (toutes les autres fractures, y compris le poignet) et de valeur de T-score inférieur ou égal à -2 DS ou quand le T-score est inférieur ou égal à -3 DS.4

Outil FRAX et notion de « risque absolu »

Avec la généralisation de la pratique de la densitométrie et la disponibilité des résultats d’études épidémiologiques de grande envergure regroupant des milliers de patients, on s’est aperçu que près de la moitié des fractures survenaient chez des patients ayant une DMO normale ou « ostéopénique ». La DXA seule, quoique véritable progrès dans la prise en charge de l’ostéoporose, ne permettait donc pas une prédiction optimale du risque fracturaire. C’est pourquoi l’OMS a confié la tâche à l’équipe de l’université de Sheffield de mettre au point un algorithme, l’outil FRAX ,améliorant la prédiction du risque fracturaire en tenant compte d’autres facteurs de risque de fractures qui, par définition, sont indépendants de la DXA.5 Le but de cet outil numérique (en libre accès sur internet* ou sur le site du GRIO) est de permettre au praticien de calculer rapidement, sans avoir recours à des examens biologiques, le risque absolu de fractures sévères ou de fractures de la hanche dans les 10 ans (le risque est dit absolu car le calcul tient compte des principaux facteurs de risque de fracture). À côté de la valeur de la DMO (en g/cm2) au col du fémur, il faut renseigner 11 autres paramètres simples (sexe, âge, indice de masse corporelle [IMC], antécédents médicaux personnels et familiaux...). Les fractures dites sévères sont celles qui sont susceptibles de réduire l’espérance de vie, comme l’ont montré les études épidémiologiques ; ce sont essentiellement les fractures des vertèbres, de la hanche, de l’humérus proximal, et du bassin. Il restait encore à déterminer un seuil correspondant au pourcentage de risque de faire une fracture sévère dans les 10 ans à partir duquel l’intervention thérapeutique est nécessaire. Pour cela, le praticien dispose d’une courbe (uniquement pour les femmes ménopausées) qui permet de comparer le risque de la patiente à celui d’une femme du même âge qui a déjà eu une fracture sévère. Si ce risque est égal ou plus élevé, il faut lui prescrire un traitement antiostéoporotique.

Place des autres techniques dans le diagnostic de l’ostéoporose

Radiographie du rachis

Les radiographies du rachis peuvent montrer une déformation vertébrale d’origine ostéoporotique. Lorsque la déformation est récente, on parle de fracture. Si elle est de découverte fortuite et probablement ancienne, on parle de fracture-tassement. Les radiographies du rachis dorsal et lombaire face et profil doivent être réalisées en cas de douleur aiguë de la colonne vertébrale, d’une diminution inexpliquée de la taille, d’une modification de la courbure rachidienne d’apparition récente. Une DXA est réalisée pour confirmer le diagnostic, avec un T-score abaissé (≤ -1 DS). La radiographie du rachis peut être remplacée par le vertebral fracture assessment (VFA), qui permet dans le temps de densitométrie et grâce au même appareil de pratiquer une radiographie de profil et ainsi de dépister de façon fiable les éventuelles fractures ostéo­porotiques. Cet examen est encore peu réalisé car il allonge la durée de l’examen et n’est pas remboursé.

Tomodensitométrie

La mesure densitométrique par scanner donne la véritable densité volumique, contrairement à celle de la DXA qui est une densité surfacique. Cependant, elle n’est pas recommandée actuellement pour établir le diagnostic d’ostéoporose en pratique de tous les jours car trop irradiante, plus coûteuse, moins disponible et moins reproductible.

Ultrasons

La mesure de la masse osseuse par des techniques utilisant des appareils à ultrasons n’est pas recommandée actuellement pour porter le diagnostic d’ostéoporose.

Bilan biologique

Il ne permet pas le diagnostic d’ostéoporose, mais il est le préalable à son traitement. Il permet d’éliminer un processus tumoral responsable de la fracture (métastase osseuse, myélome), de rechercher des facteurs de risque d’ostéoporose : hyperparathyroïdie primaire, hyperthyroïdie, hypercorticisme, éventuellement malabsorption ou mastocytose. Il recherche systématiquement un déficit en vitamine D afin de le corriger. La mesure des marqueurs du remodelage osseux n’est pas utile pour établir le diagnostic d’ostéoporose, mais ces marqueurs peuvent être utilisés pour le suivi thérapeutique afin de s’assurer de l’efficacité des traitements et de la bonne observance thérapeutique.

Dépistage

Comme dans toute pathologie curable, il est préférable de poser le diagnostic d’ostéoporose le plus tôt possible, de préférence avant la première fracture. Le diagnostic d’ostéoporose n’a d’intérêt que si l’on met en place un traitement adapté pour éviter les fractures. Il s’agit ici d’un traitement antiostéoporotique spécifique, antirésorbant ou ostéoformateur associé à la correction éventuelle des apports en calcium et du statut vitaminique D, qui sont des prérequis.
Deux situations se présentent : avant et après la première fracture.

Avant la fracture

À ce stade, seule la densitométrie (ou l’outil FRAX) permet de poser le diagnostic d’ostéoporose, et surtout d’engager un traitement spécifique selon les recommandations des sociétés savantes (www.GRIO.org) et des autorités de santé (Haute Autorité de santé [HAS]). La maladie étant asymptomatique, l’indication de la densitométrie est posée en présence de facteurs de risque d’ostéoporose, c’est dans cette seule situation que l’on peut parler d’un véritable dépistage. Cela demande donc de la part du médecin une vigilance et une démarche proactive qui sont souvent mises en difficulté par le déficit d’image de l’ostéoporose, la compétition possible entre les comorbidités, la complexité ressentie par le médecin des indications et des stratégies thérapeutiques, et la crainte des effets indésirables des traitements, souvent médiatiquement amplifiés.
Les indications à la réalisation d’une densitométrie (et à son remboursement) sont définies par la HAS. Elles comprennent la présence d’une fracture de basse énergie, d’un traitement cortisonique et de pathologies qui peuvent favoriser la survenue d’une ostéoporose, un antécédent parental de fracture du col de fémur, un antécédent personnel de prise de corticoïdes au long cours, une ménopause précoce et un IMC faible. Ces indications sont restrictives et anciennes. D’autres situations existent où la densitométrie est utile : maladies chroniques ayant un retentissement sur l’os (cancers, maladies inflammatoires comme la poly­arthrite rhumatoïde, endocrinopathies comme la maladie de Cushing, l’hyperthyroïdie et l’hyper­parathyroïdie), chirurgie malabsorptive, traitements comme les antiaromatases.

Après une fracture

À condition que celle-ci soit survenue pour un traumatisme minime (en règle générale n’excédant pas la hauteur du sujet) d’un os quelconque (à l’exception toutefois du crâne, du rachis cervical, du rachis thoracique de T1 à T4, des mains et des orteils). Toute fracture qui obéit à ces conditions est a priori une fracture ostéoporotique et justifie la réalisation d’un bilan et d’une réflexion sur le choix d’un traitement.
Dans cette dernière situation qui pourrait apparaître comme relativement simple, force est de constater que les fractures ostéoporotiques sont insuffisamment traitées. Moins de 10 % des fractures ostéoporotiques bénéficient d’un traitement spécifique.6
Les raisons de cette insuffisance de prise en charge sont multiples :
– la fracture est méconnue ; c’est le cas des fractures vertébrales dont les deux tiers surviennent à bas bruit et ne sont pas diagnostiquées ; elles doivent être évoquées systématiquement, surtout chez une femme ménopausée, et des radiographies du rachis doivent être réalisées en cas de douleur vertébrale aiguë, d’une diminution de taille inexpliquée, d’une modification de la courbure rachidienne d’apparition récente ;
– la fracture est oubliée ou pas signalée au médecin traitant ;
– la fracture est négligée, car ne nécessitant pas d’acte majeur comme une fracture de côte ou d’un métatarsien ; ces fractures peuvent néanmoins témoigner d’une ostéoporose sous-jacente et annoncer des fractures plus sévères ;
– la fracture de l’extrémité proximale du fémur ou du bassin survenant chez des personnes très âgées, voire démentes ; la plupart du temps, les investigations ne sont pas réalisées, et aucun traitement spécifique n’est engagé de façon durable ;
– le rapport entre la fracture et une éventuelle ostéoporose peut ne pas être évoqué par le patient (ni le médecin). Par exemple, une fracture du poignet est souvent attribuée à la seule chute.

Traiter quand le risque est intolérable

Ce que le praticien doit retenir de toutes ces définitions de l’ostéoporose, c’est que la maladie ostéoporotique offre un continuum de risque de fractures et qu’un traitement spécifique doit être prescrit quand ce risque est considéré comme intolérable. Ainsi, c’est la décision de traiter qui valide a posteriori le diagnostic de maladie ostéoporotique. Bien que ces indications à traiter soient bien étayées par la littérature scientifique et les traitements globalement bien tolérés, il y a encore trop de patients ostéoporotiques, fracturés ou non, qui ne sont pas traités.
https://www.sheffield.ac.uk/FRAX/tool.aspx?lang=fr
Références
1. Parfitt AM, Mathews CHE, Villanueva AR, Kleerekoper M, Frame B, Rao DS. Relationships between surface, volume, and thickness of iliac trabecular bone in aging and in osteoporosis. Implication for the microanatomic and cellular mechanism of bone loss. J Clin Invest 1983;72:1396-409.
2. World Health Organization (WHO) Assessment of fracture risk and us application to screening for postmenopausal osteoporosis report of a WHO study group. WHO technical report series n 843. Genève (Suisse) : WHO, 1994:1-29.
3. NIH consensus development panel on osteoporosis prevention diagnosis and therapy. Osteoporosis prevention diagnosis and therapy. JAMA 2001;285:785-95.
4. Briot K, Cortet B, Thomas T, et al. 2012 update of French guidelines for the pharmacological treatment of postmenopausal osteoporosis. Joint Bone Spine 2012;79:304-13.
5. Kanis JA, Johnell O, Oden A, Johansson H, McCloskey E. FRAXTM and the assessment of fracture probability in men and women from UK. Osteoporos Int 2008;19:385-97.
6. Fardellone P, Désaméricq G. Consommation des traitements antiostéoporotiques et incidence des fractures ostéoporotiques en France entre 2014 et 2016 : une prise en charge médicamenteuse insuffisante. Rev Rhum 2019;86:387-92.

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Résumé

Il existe de fait plusieurs définitions de l’ostéoporose en fonction du but que l’on se propose, explication physiopathologique, utilité diagnostique ou thérapeutique, et aussi du fait de l’évolution des technologies. La définition la plus ancienne est celle de l’histologiste obtenue par ponction-biopsie osseuse autorisant une analyse histomorphométrique, qui permet de quantifier visuellement la diminution du volume trabéculaire osseux et d’observer directement les altérations de la microarchitecture osseuse. Plus clinique et opérationnelle, l’ostéodensitométrie biphotonique par rayons X (DXA) propose le seuil de T-score de -2,5 comme définition densitométrique de l’ostéoporose. Une définition plus générique de la maladie énonce que l’ostéoporose est une maladie généralisée du squelette associant une diminution de la masse osseuse à des altérations de la microarchitecture conduisant à un risque augmenté de fractures. Cependant, cette définition ne permet pas au praticien de prendre une décision thérapeutique car elle ne propose pas de seuil décisionnel. C’est pourquoi le diagnostic d’ostéoporose peut aussi être retenu quand il y a une indication à traiter du fait de l’importance du risque fracturaire qui sera évalué en tenant compte des antécédents de fractures et de la masse osseuse ou calculé plus précisément à partir d’autres facteurs de risque indépendants en utilisant l’outil numérique FRAX.