L’hypertension artérielle est la première cause évitable de décès cardiovasculaire dans le monde. En 2010, on estimait que 1,4 milliard de personnes étaient atteintes d’hypertension artérielle, soit 31 % de la population adulte mondiale.1 Or la tendance n’est malheureusement pas à la baisse, particulièrement du fait des pays émergents et du vieillissement des populations ; certaines instances internationales prévoient une augmentation de 10 à 15 % d’ici 2025.2 L’hypertension est donc un problème de santé publique mondiale.
Trois recommandations internationales concernant l’hypertension artérielle ont été récemment publiées, et constituent la base de la prise en charge du patient hyper­tendu : les recommandations canadiennes et américaines publiées en 2017,3, 4 et les recommandations européennes publiées en 2018.2 Nous allons tenter de résumer les concordances et discordances de prise en charge de ces trois recommandations internationales ainsi que d’ébaucher les différentes stratégies thérapeutiques en découlant.

Quel seuil diagnostique d’hypertension artérielle ?

Alors que l’ensemble des instances internationales s’accordent à dire que l’hypertension artérielle est un problème de santé publique majeur, elle n’est pas définie de la même façon dans les différents pays. Le tableau 1 résume les différentes définitions utilisées, ainsi que les objectifs de traitements en fonction des différentes recommandations internationales récentes.
La définition et les objectifs de traitement sont différents selon les recommandations internationales. Le fait d’abaisser la définition de l’hypertension artérielle aux États-Unis a mécaniquement augmenté le nombre de patients hypertendus, passant de 32 % de la population adulte à 46 %.3
Cet abaissement du seuil tensionnel se justifie, d’une part, grâce aux résultats de l’étude SPRINT, laquelle a comparé deux objectifs tensionnels chez les patients hypertendus : un contrôle intensif avec un objectif de pression inférieur à 120/80 mmHg et un contrôle conventionnel avec un objectif tensionnel inférieur à 140/90 mmHg. L’étude SPRINT a montré que le risque de survenue d’événements cardiovasculaires ainsi que la mortalité diminuent dans le groupe des patients hypertendus avec un objectif tensionnel inférieur à 120/80 mmHg ; mais cela se fait aux dépens d’une augmentation significative d’hypotension symptomatique, de syncope et d’une aggravation de la fonction rénale.5 De plus, l’American Heart Association (AHA) et l’American College of Cardiology (ACC) justifient le seuil de 130/80 mmHg par le fait que le risque de maladie cardiovasculaire augmente de façon exponentielle dès une pression systolique égale à 115 mmHg jusqu’à supérieure à 180 mmHg, un contrôle optimal des chiffres tensionnels des patients réduirait théoriquement le nombre de complications liées à l’hypertension artérielle. L’European Society of Cardiology (ESC), de son côté, ne recommande pas l’introduction d’un traitement pharmacologique pour les patients considérés comme hypertendus de grade I selon l’AHA, mais recommande une surveillance rapprochée de la pression artérielle et l’application de règles hygiénodiététiques.
Un point essentiel concerne la mesure de la pression artérielle. La mesure au cabinet médical reste la référence pour les trois recommandations, contre toute logique scientifique, mais avec pragmatisme. Les résultats de SPRINT, dont on a vu qu’ils avaient largement influencé les recommandations AHA-ACC, ont été obtenus avec une mesure automatique en l’absence de soignants (« unattended »), lesquelles donnent des valeurs plus basses que la mesure au cabinet médical et sont très peu référencées et utilisées. Les mesures hors cabinet (automesure, mesure ambulatoire, pharmacie…) sont discutées mais restent marginalisées, alors même qu’elles sont les plus pertinentes, notamment pour la mise en route du traitement. Les sociétés savantes hésitent à se positionner clairement sur ce sujet, c’est dommage.
Enfin, les trois recommandations internationales convergent sur la nécessité d’intégrer la pression artérielle dans une évaluation globale du risque cardiovasculaire du patient, laquelle doit aider à hiérarchiser le moment de l’intervention pharmacologique et son intensité.

Quel traitement initial ?

La prise en charge d’un patient atteint d’hypertension repose sur deux axes : des mesures non pharmacologiques et des mesures pharmacologiques. Les trois recommandations internationales convergent vers la prise en charge non pharmacologique du patient. Les principales recommandations sont :
– la réduction pondérale pour les patients en surpoids ;
– l’adaptation du régime alimentaire ;
– la réduction de la consommation de sel ;
– la pratique d’une activité physique régulière ;
– la réduction de la consommation d’alcool ;
– le sevrage tabagique.
L’ensemble de ces mesures doit être rappelé à chaque consultation, en moyenne la correction de chacun de ces facteurs entraîne une baisse de 4 à 5 mmHg de la pression systolique. Aucune recommandation ne demande de prescrire ces règles (comme un traitement à part entière) ; quoique symbolique, et à faible niveau d’évidence, cette recommandation aurait été très utile.
Pour la prise en charge pharmacologique, l’ensemble des stratégies thérapeutiques a récemment été modifié. La principale nouveauté est l’introduction en première intention des bithérapies dans les recommandations européennes et américaines. Cela est justifié car l’association de deux classes médicamenteuses est environ 5 fois plus efficace sur la baisse des chiffres tensionnels que de doubler la dose d’une monothérapie en cours.6 Cela permet d’obtenir un contrôle tensionnel plus rapide. Enfin, l’utilisation d’associations thérapeutiques de deux classes pharmacologiques complémentaires permet d’utiliser des doses plus faibles et peut diminuer les effets indésirables dépendants de la dose de chaque classe, et ainsi améliorer la tolérance des traitements. Le développement industriel des associations fixes permet de limiter le nombre de médicaments prescrits, et peut favoriser l’observance chez certains patients.
La figure ci-contre retranscrit les trois premières étapes de traitement en fonction des différentes recommandations internationales.
Le choix des classes médicamenteuses est laissé libre et repose sur les trois grandes classes (bloqueurs du système rénine-angiotensine, antagonistes calciques, diurétiques), avec des indications fondées sur les propriétés électives de chacune des classes et la présence éventuelle de comorbidités. Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine I (IEC) et les antagonistes des récepteurs AT1 de l’angiotensine II (ARA2) ont une efficacité proche ; que ce soit sur la mortalité totale ou sur l’apparition d’événements cardiovasculaires. Concernant la tolérance clinique, les ARA2 semblent être mieux tolérés par les patients que les IEC et entraînent moins d’arrêts de traitement dus aux effets indésirables.7 Un autre changement important concerne la rétrogradation des bêtabloquants. Dans les précédentes recommandations, les bêtabloquants étaient mis au même niveau que les autres thérapies disponibles,8 actuellement l’ESC et l’AHA en recommandent l’utilisation en quatrième intention, après l’introduction d’antialdostérone, en dehors bien sûr des indications électives (angor, insuffisance cardiaque).
Dans quelques situations particulières, les seuils d’initiation et objectifs tensionnels recommandés par l’ESC peuvent différer du cas général. Le tableau 2 résume les variations dans les situations cliniques les plus fréquentes.2 Les recommandations américaines sont sensiblement identiques, à une variation près : elles recommandent d’obtenir un objectif tensionnel inférieur à 130/80 mmHg, pour les patients insuffisants rénaux chroniques.3 Dans l’insuffisance cardiaque, les objectifs tensionnels sont identiques, avec cependant une incitation à la prudence pour les objectifs tensionnels (> 120 mmHg).

Que faire, que dire au patient ?

Les différentes recommandations internationales utilisent une définition différente de l’hypertension artérielle, mais semblent s’accorder sur les stratégies thérapeutiques à utiliser en première ligne. Elles génèrent toutefois de nombreuses difficultés. Quand doit-on poser le diagnostic d’hypertension ? Les recommandations AHA-ACC, en diminuant le seuil définissant l’hypertension artérielle, conduisent à augmenter considérablement le nombre de personnes atteintes, et peuvent mettre en difficulté les systèmes de santé. Augmenter artificiellement le nombre de patients hypertendus sans avoir une politique forte visant à réduire l’ensemble des facteurs de risque cardiovasculaire ne conduira pas à améliorer la prise en charge des patients. Il faut certainement médicaliser les règles hygiénodiététiques (les prescrire sur ordonnance), de manière à tenir un discours cohérent vis-à-vis des patients nouvellement identifiés comme hypertendus. Les trois recommandations sont très conservatrices concernant la mesure de la pression artérielle. Il s’agit là d’un problème majeur, puisque cette mesure s’effectue maintenant le plus souvent hors du cabinet médical, que cette mesure reclasse le patient (hypertension avérée, hypertension « blouse blanche », hypertension masquée), avec des conséquences majeures sur la prise en charge. Le sujet est traité par les recommandations, mais ne s’accompagne pas d’une prise de position claire, ce qui est dommageable.
Les objectifs thérapeutiques se bornent aussi au contrôle de la pression artérielle, et donc se heurtent aux difficultés métrologiques soulevées pour le diagnostic. On manque de critères objectifs pour à la fois initier le traitement, en régler l’intensité, et juger de son efficacité. L’enjeu des prochaines années est de trouver le ou les critères de substitution permettant de décider quand initier un traitement pharmacologique pour les hypertendus à chiffres modérément élevés, et de décider de l’intensification (ou l’allègement) du traitement antihypertenseur. Les atteintes d’organes cibles, telles l’hypertrophie ventriculaire gauche, la microalbuminurie et la rigidité artérielle, pourraient avoir cette utilité. L’utilisation de mesures objectives telle que la vitesse de l’onde de pouls (VOP) pourrait changer la façon de prendre en charge nos patients : en effet, la VOP intègre l’ensemble des facteurs de risque cardiovasculaire, parmi eux l’hypertension artérielle.9, 10 Le fait de disposer d’une mesure objective permet de construire avec le patient un objectif thérapeutique afin de normaliser la VOP, de pallier les erreurs diagnostiques (hypertension « blouse blanche », hypertension masquée), et de dépister le mauvais contrôle tensionnel. Est-ce que normaliser la VOP améliore le contrôle tensionnel et diminue le nombre d’événements cardiovasculaires graves ? L’étude française multicentrique SPARTE a pour objectif de répondre à cette question.11

Nouveauté et insuffisances

L’hypertension artérielle touche plus de 1,5 milliard de personnes dans le monde, et ce chiffre ne fait qu’augmenter. Les recommandations internationales utilisent des seuils différents pour définir le patient hypertendu et sous-estiment les problèmes métrologiques. La principale nouveauté des recommandations internationales est la possibilité d’introduire une bithérapie pharmacologiquement complémentaire lors de l’initiation du traitement. Le glissement sémantique de l’hypertension prise isolément vers l’hypertension s’intégrant dans un tableau plus large de facteurs de vieillissement cardiovasculaire précoce est en cours,12 mais insuffisamment repris par les recommandations, qui restent très conservatrices. 
Références
1. Mills KT, Bundy JD, Kelly TN, et al. Global disparities of hypertension prevalence and control: a systematic analysis of population-based studies from 90 countries. Circulation 2016;134:441-50.
2. Williams B, Mancia G, Spiering W, et al. 2018 ESC/ESH Guidelines for the management of arterial hypertension. Eur Heart J 2018;39:3021-104.
3. Whelton PK, Carey RM, Aronow WS, et al. 2017 ACC/AHA/AAPA/ABC/ACPM/AGS/APhA/ASH/ASPC/NMA/PCNA Guideline for the prevention, detection, evaluation, and management of high blood pressure in adults: executive summary: a report of the American College of Cardiology/American Heart Association Task Force on Clinical Practice Guidelines. Hypertension. 2018 Jun;71(6):1269–324.
4. Leung AA, Daskalopoulou SS, Dasgupta K, et al. Hypertension Canada’s 2017 guidelines for diagnosis, risk assessment, prevention, and treatment of hypertension in adults. Can J Cardiol 2017;33:557-76.
5. SPRINT research group, Wright JT Jr, Williamson JD, Whelton PK, et al. A randomized trial of intensive versus standard blood-pressure control. N Engl J Med 2015;373:2103-16.
6. Wald DS, Law M, Morris JK, Bestwick JP, Wald NJ. Combination therapy versus monotherapy in reducing blood pressure: meta-analysis on 11,000 participants from 42 trials. Am J Med 2009;122:290-300.
7. Li EC, Heran BS, Wright JM. Angiotensin converting enzyme (ACE) inhibitors versus angiotensin receptor blockers for primary hypertension. Cochrane Hypertension Group, editor. Cochrane Database Syst Rev 2014;8:CD009096.
8. 2013 ESH/ESC Guidelines for the management of arterial hypertension: the task force for the management of arterial hypertension of the European Society of Hypertension (ESH) and of the European Society of Cardiology (ESC). Eur Heart J 2013;34:2159-219.
9. Ben-Shlomo Y, Spears M, Boustred C, et al. Aortic pulse wave velocity improves cardiovascular event prediction: an individual participant meta-analysis of prospective observational data from 17,635 subjects. J Am Coll Cardiol 2014;63:636-46.
10. Laurent S, Boutouyrie P, Asmar R, et al. Aortic stiffness is an independent predictor of all-cause and cardiovascular mortality in hypertensive patients. Hypertens 2001;37:1236-41.
11. Laurent S, Briet M, Boutouyrie P. Arterial stiffness as surrogate end point: needed clinical trials. Hypertension 2012;60:518-22.
12. Olsen MH, Angell SY, Asma S, et al. A call to action and a lifecourse strategy to address the global burden of raised blood pressure on current and future generations: the Lancet Commission on hypertension. Lancet 2016;388:2665-712.

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Résumé

L’hypertension artérielle touche plus de 1,5 milliard de personnes dans le monde, et ce chiffre ne fait qu’augmenter. Trois recommandations internationales ont été publiées entre 2017 et 2018. L’hypertension artérielle essentielle est définie différemment d’une recommandation à l’autre ; les recommandations AHA-ACC retiennent 130/80 mmHg, abou- tissant à une prévalence plus élevée de l’hypertension, contre 140/90 mmHg pour le Canada et l’Europe. La prise en charge des patients hypertendus repose sur deux axes : un axe non pharmacologique qui doit être rappelé à chaque consultation, et un axe pharmacologique, pour lequel les recommandations américaines et européennes recommandent l’introduction d’une bithérapie, pharmacologiquement complémentaire, lors de l’initiation du traitement chez les patients hypertendus. Les objectifs tensionnels sont plus bas aux États-Unis qu’au Canada et en Europe.