1950-2050 : un siècle de traitement de l’hypertension artérielle

En 2030, dans une petite ville des bords de Loire, 3 000 habitants dispersés sur 100 km2 vivent en paix. Ils n’ont plus qu’un seul médecin d’une quarantaine d’années, une femme, très gentille, dit la rumeur. L’autre médecin a pris sa retraite à 65 ans dans une petite maison assez près du fleuve dont il aime regarder les allures changeantes avec les saisons. Boueuse et impétueuse en hiver, la Loire est quasi immobile en été, quand le sable est plus visible que l’eau et que les barrages sont à sec.

Sur la place du village, à côté de l’église au clocher pointu sur lequel tourne un coq au gré des vents, le pharmacien a installé dans sa pièce de confidentialité un appareil de mesures répétées automatiques de la pression artérielle. Une personne est assise tranquillement, seule, dans cette pièce, petite mais claire. Dans le silence, après 5 minutes de repos dans un fauteuil confortable à côté d’une petite table, l’appareil oscillométrique automatiquement programmé se déclenche 6 fois toutes les minutes après un repos de 5 minutes. Il fait la moyenne des 5 dernières mesures et les télétransmet au dossier du médecin et au dossier pharmaceutique où sont enregistrées pendant une année les dispensations de tous les médicaments. Sexe, âge, taille et poids sont enregistrés.



Un jour où il passait à la pharmacie pour acheter une brosse à dents, Monsieur X., âgé de 48 ans, s’est offert la mesure tensionnelle remboursée 10 euros à chaque assuré social français une fois tous les 5 ans à partir de l’âge de 20 ans, et une fois tous les 2 ans à partir de 50 ans. Les valeurs sont anonymisées et transmises pour un suivi continu de la pression artérielle en France, qui remplace les enquêtes périodiques antérieures, massivement utiles mais insuffisantes. Cet homme est très fier de ne jamais aller chez un médecin : solide, un roc ! Pas comme sa mère qui est morte subitement la nuit à 72 ans, sans que personne ne sache exactement de quoi ! À sa grande surprise, l’appareil inscrit une moyenne de 148/92 mmHg, et le pharmacien lui propose la transmission des chiffres au médecin.

Quand elle reçoit Monsieur X., quelques mois plus tard (il était trop occupé pour venir tout de suite), le médecin a déjà les chiffres de pression artérielle, suffisamment élevés dans les circonstances de cette mesure en pharmacie pour qu’elle fasse un interrogatoire et un examen d’une vingtaine de minutes avec son échoscope, tandis qu’une photographie des fonds d’yeux est prise et lue à distance. Elle ne mesure pas elle-même la pression artérielle avec l’appareil qui lui sert pour les urgences et demande quelques examens de sang et d’urines. Elle prescrit une autre séance de mesures tensionnelles chez le pharmacien, dans les mêmes conditions, à 15 jours d’intervalle. Cette mesure, comme celles qui pourront s’avérer nécessaires ensuite, est prise en charge par l’Assurance maladie, comme tous les autres examens. Une deuxième consultation est réalisée. Aucun signe anormal clinique et biologique n’est trouvé, hors cette tension à 150/96 mmHg pour la deuxième fois chez le pharmacien. Monsieur X. a bien une hypertension artérielle permanente. Il est alors inclus dans un programme automatique de traitement et de dispensation des médicaments, qui propose à Monsieur X. le programme de bithérapie initiale à très faible dose qu’a choisi le médecin, avec la possibilité de doubler les doses tous les mois en 3 paliers successifs. La doctoresse a laissé le choix à Monsieur X. pour son suivi. Elle lui a conseillé une mesure de la pression artérielle tous les trois mois chez le même pharmacien, par la même machine automatique, dans les mêmes conditions, avec la possibilité de monter les doses selon les paliers possibles après la première ordonnance. L’alternative proposée a été l’automesure tensionnelle à la maison, pratiquée au repos, en position assise 3 fois de suite le matin, 3 fois de suite le soir, pendant 3 jours consécutifs, tous les mois, comme le décrit la vidéo disponible sur le site automesure.com créé en 1998. Monsieur X. a estimé que la première méthode couplant mesure et dispensation lui convenait mieux. La suite, tolérance et efficacité, est toujours imprévisible, mais Monsieur X. n’est pas homme à se plaindre d’effets secondaires minimes, réels ou imaginés.

« Ah ! dira Monsieur X. 30 ans après, j’ai déjà épuisé deux médecins mais je continue sur le même rythme les mesures tensionnelles exactement comme on me l’a dit. Je consulte maintenant le jeune docteur qui a succédé à ma Doctoresse. Il a bien besoin de temps pour parler de toutes mes petites misères. Et elles s’additionnent ! Une opération de la cataracte des deux côtés, l’opération d’une maladie de Dupuytren invalidante de la main droite, car trois de mes doigts se repliaient sur la paume. Pourtant, je ne suis pas assez vieux pour avoir été cocher de fiacre ! Et les dents ! et l’oreille ! Le cabinet médical n’est plus un cabinet. C’est une grande maison, avec des noms sur les plaques et deux étages, avec un dentiste, une infirmière, une kinésithérapeute, une psychologue, un orthophoniste et un psychomotricien. Le docteur a encore plus d’appareils aux ultrasons que n’avait pas ma doctoresse, et dans la salle d’attente, on projette des petits films de 2 à 5 minutes. »

Un monde nouveau existe grâce à la mise au point de logiciels d’aide à la décision attachés aux tensiomètres automatiques connectés. Après de longues discussions entre l’Assurance maladie, les syndicats de médecins et de pharmaciens, la grande distribution, et les plateformes Amazon et Alibaba, des équilibres financiers ont été trouvés. Chacun a lutté sauvagement pour défendre ou étendre son marché, et plusieurs systèmes différents sont maintenant offerts pour pacifier des intérêts contradictoires et diversifier l’offre sur les mêmes bases scientifiques.

Dans chaque région, l’épidémiologie s’est développée pour structurer des politiques régionales de santé qui organisent et suivent des prises en charge différentes pour les situations aiguës, les maladies rares et les maladies chroniques. Les maîtres de conférences et les professeurs de santé publique ne sont plus utilisés comme aides-comptables des hôpitaux universitaires, ou responsables des diverses vigilances indispensables à l’hôpital public et aux cliniques privées. Ils travaillent sur l’organisation régionale de la santé publique et participent à une recherche et un enseignement hors les murs de l’hôpital. Assimilées à une participation aux soins, leurs activités sont rémunérées par l’agence régionale de santé. Les postes de responsabilité mis au choix dans les agences de santé ou dans les directions d’administration exigent une expérience de terrain de plus de 10 ans.

En 2050, les objectifs imaginés pour l’hypertension artérielle en 1970, modifiés et souhaités pour 2030, seront atteints ; 90 % des hommes et des femmes connaîtront leurs chiffres tensionnels mesurés par des méthodes indépendantes de l’observateur, aussi bien que leur taille et leur poids enregistrés sur leurs smartphones ; 90 % de ceux qui ont eu en permanence une telle pression artérielle au-dessus de 135/85 mmHg par mesures répétées en l’absence d’observateur chez le médecin ou le pharmacien ou par automesure à la maison seront traités, en prenant aussi en compte leur risque cardiovasculaire global ; 90 % de ceux qui sont traités seront normotendus, sous traitement triple si nécessaire, mais jamais avec plus de deux comprimés à prendre chaque jour. La télétransmission anonymisée des mesures tensionnelles et les bases de données administratives remplaceront les enquêtes périodiques. Les résultats seront comparés au niveau régional, national et international. L’incidence des découvertes de causes d’hypertension artérielle secondaire sera monitorée dans les bases de données et publiée annuellement, avec les taux de réhospitalisations à 1 mois. Les changements de société incluront la généralisation de l’usage du NutriScore et de diverses « applis » pour guider les achats alimentaires. Les politiques municipales faciliteront les activités physiques pour tous les âges. La diminution des inégalités, financières et éducationnelles, locales et régionales, environnementales et professionnelles, sera reconnue comme aussi importante que la médecine pour améliorer l’état de santé des populations et prévenir ainsi le nombre de personnes malades. Pour l’hypertension artérielle, vivre comme en l’an 2000 ou soigner comme en l’an 2000 sera rendu impossible par les évolutions de la société et, pourquoi pas, par de nouvelles découvertes issues, entre autres, de l’imagerie, de la génétique, des dispositifs médicaux, toujours relayées par la physiologie et la pharmacologie et rendues possibles par l’effort global de recherche du pays à 3 % de son produit intérieur brut.

La Revue du Praticien fut créée en 1951, 2 ans après les premiers succès thérapeutiques de l’hypertension artérielle grâce à l’impraticable régime de restriction salée et protidique de Walter Kempner. On trouvera dans ses archives, sur près de 60 ans, toute une série d’articles écrits en français et périodiquement demandés par le comité scientifique de la rédaction. Ils démontrent à ceux et celles qui voudraient les relire qu’on peut préparer l’avenir, à condition de prévoir où l’on va et de le vouloir ensemble.
Voir aussi, page 1154, “ 1953-1973 : vingt ans qui virent le traitement de l’hypertension artérielle changer de paradigme ”.

Au sommaire

Prise en charge de l’HTA en France : où en est-on ?

L’hypertension artérielle est la première maladie chronique en France et dans le monde, et l’un des principaux facteurs de risque vasculaire.1 Une prise en charge efficace par des traitements (médicamenteux ou non) diminue non seulement le risque de complications cardiovasculaires mais également rénales et cognitives et contribue…

Quelles méthodes de mesure de la pression artérielle choisir ?

En 2019, quatre méthodes de mesure de la pression artérielle peuvent être utilisées par les médecins. Deux méthodes sont utilisées au cabinet : la mesure clinique conventionnelle et la mesure, moins connue, sans surveillance. Deux méthodes sont utilisées en dehors du cabinet : l’automesure tensionnelle et la mesure ambulatoire de la…

Hypertension artérielle, télémédecine et e-santé : que retenir en pratique ?

En numérisant et dématérialisant les échanges, les nouvelles technologies de l’information et de la communication, dont Internet et les smartphones, modifient le secteur de la santé. La prise en charge de l’hypertension artérielle est concernée par cette mutation dans deux cadres distincts : la télémédecine et l’e-santé.1 Dans le…

Diagnostic et traitement de l’hypertension artérielle : normes et divergences internationales

L’hypertension artérielle est la première cause évitable de décès cardiovasculaire dans le monde. En 2010, on estimait que 1,4 milliard de personnes étaient atteintes d’hypertension artérielle, soit 31 % de la population adulte mondiale.1 Or la tendance n’est malheureusement pas à la baisse, particulièrement du fait des pays…

Traitement antihypertenseur : le facteur humain

L’hypertension artérielle a été la première maladie chronique dans laquelle, il y a exactement 50 ans, un effet bénéfique d’un traitement médicamenteux a été démontré dans un essai clinique randomisé :1 sur 143 hommes inclus, ayant une hypertension permanente sévère et dont l’observance au traitement était monitorée, un…

Analyse critique de l’examen clinique d’un patient hypertendu

Le premier livret connu sur ce sujet, « Interrogatoire et examen de l’hypertendu en 30 étapes », publié en 1977 par le Pr Joël Ménard et édité par les laboratoires Roussel, comportait 25 pages (format A3) dédiées à l’interrogatoire et à l’examen clinique…Que reste-t-il 40 ans plus tard ? Le clinicien a-t-il…

Prescription des associations fixes d’antihypertenseurs

Le contrôle de l’hypertension artérielle en France est encore insuffisant malgré une progression régulière. Il existe un paradoxe entre, d’un côté, le rôle central du médicament dans la stratégie thérapeutique de l’hypertension et sa grande disponibilité (quasi-gratuité des soins et grand nombre de médicaments disponibles et bon…

Qu’est-ce que l’hypertension artérielle résistante et comment l’objectiver ?

L’hypertension artérielle est un facteur de risque cardiovasculaire majeur.1 En dépit des multiples recommandations, du nombre de classes d’antihypertenseurs et de principes actifs autorisés et remboursés, elle est insuffisamment contrôlée dans la population mondiale2 et en France en particulier.3 Une partie des patients non…

HTA : 10 messages clés

1 Les enquêtes périodiques nationales sont indispensables pour suivre la prise en charge de l’hypertension artérielle dans un pays, et les résultats français sont inférieurs à ceux d’autres pays. Avec une puissance statistique et une périodicité à discuter, les enquêtes seraient utiles au niveau régional, dans la mise en place des…

Les messages clés

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