En numérisant et dématérialisant les échanges, les nouvelles technologies de l’information et de la communication, dont Internet et les smartphones, modifient le secteur de la santé. La prise en charge de l’hypertension artérielle est concernée par cette mutation dans deux cadres distincts : la télémédecine et l’e-santé.1 Dans le premier cas, l’organisation des soins est centrée autour de pratiques professionnelles encadrées par une réglementation stricte ; dans le second, les consommateurs de soins prennent des initiatives échappant volontiers aux acteurs de soins traditionnels. Par ailleurs, la mesure de la pression artérielle est en passe d’être bouleversée avec l’apparition de nouvelles techniques de mesure n’utilisant pas le classique brassard de Riva-Rocci. Dans cet univers mouvant, le médecin doit orienter les patients vers les pratiques validées.

Technologies de mesure de la pression artérielle : nouveauté n’est pas synonyme de fiabilité

Les nouvelles technologies permettent le recueil, la mesure, l’enregistrement et la transmission des données du patient, en particulier les chiffres de pression artérielle. La transmission peut se faire soit par implémentation manuelle des chiffres par le patient via une application (App) soit par l’utilisation d’un appareil connecté (lui-même lié à une App). Dans les deux cas, le médecin doit vérifier que le tensiomètre porte bien le marquage CE attestant de sa validité métrologique et recommander au patient l’usage d’un brassard huméral (qui doit être de taille adaptée au périmètre brachial) en déconseillant les appareils de poignet, sauf situation particulière. De plus, il doit enseigner au patient le protocole d’automesure décrit dans les recommandations,2, 3 dont le respect est indispensable pour disposer de mesures cliniquement interprétables.
A contrario, il faut expliquer au patient que les nouvelles méthodes de mesure de pression artérielle n’utilisant pas de tensiomètres à « brassard » huméral ou radial (cuff-less devices) ne sont pas recommandées et qu’elles doivent donc être évitées. Il s’agit des App qui par l’intermédiaire de l’objectif électronique du smartphone utilisent la technologie d’imagerie optique digitale (méthode photopléthysmographique) ou faciale transdermique (méthode d’analyse du flux sanguin facial)4 couplée à des algorithmes dédiés et des bracelets de poignet dits « intelligents » (smart wrist watch).5 Leur évaluation, disponible sur Internet pour une vingtaine d’euros, montre leur manque de fiabilité.6 Si, à l’avenir, des progrès techniques dans ce domaine sont possibles (une première validation par la Food and Drug Administration a été communiquée le 29 août 2019 et d’autres sont attendues), il est nécessaire d’appréhender que la fiabilité d’un capteur ne constitue qu’une première étape de validation ; même si le dispositif est jugé fiable, nous manquons pour l’instant de connaissances sur l’interprétation diagnostique ou pronostique des chiffres de pression artérielle relevés en continu et en vie réelle. Le clinicien ne peut donc pas conseiller ses appareils à ses patients.

Télésurveillance : une utilité démontrée mais un bénéfice économique incertain

Encadrée par la loi (article L6316-1 du code la santé publique), la télémédecine est une pratique médicale à distance avec trois types d’utilisations : la télé-expertise, la téléconsultation et la télésurveillance. Dans ce cadre, patients et professionnels de santé sont en contact à distance au moyen de techniques assurant l’identification des acteurs, la sécurisation et le traçage des échanges qui doivent être archivés chez un hébergeur agréé par les autorités de santé.
De nombreuses expériences de télémédecine concernant l’hypertension artérielle sont décrites dans la littérature. Il s’agit de programmes hétérogènes impliquant les patients à des degrés divers : pratique de l’automesure tensionnelle télésurveillée, mise à disposition de modules éducatifs dont l’aide à l’observance, et/ou interventions à distance de professionnels de santé (infirmières, pharmaciens ou médecins). Ces différents essais de télésurveillance ont cherché à démontrer l’obtention d’un meilleur contrôle tensionnel, voire d’une meilleure observance. Plusieurs méta-analyses ou revues montrent une diminution plus marquée de la pression artérielle (de quelques mmHg) chez les patients télésuivis par rapport aux groupes contrôles.7 Toutefois, un essai récent de grande envergure n’a pas montré de différence tensionnelle entre le groupe automesure conventionnelle sans avis médical à distance et le groupe bénéficiant du télémonitoring.8 Le bénéfice tensionnel retrouvé par les premières études avec télémonitoring serait dû à l’impact positif de la rétroaction télétransmise (feedback) sur l’observance du patient et/ou sur l’inertie thérapeutique des médecins. En d’autres termes, l’information du contrôle insuffisant de la pression artérielle motive, d’une part, le patient à être plus observant et, d’autre part, le médecin à renforcer le traitement. Il a été mis aussi en évidence le bénéfice tensionnel du « télémonitoring tensionnel avec auto-adaptation du traitement antihypertenseur » chez des hypertendus non contrôlés par rapport aux « soins courants », puis un bénéfice tensionnel encore plus grand chez des patients à haut risque (maladie cardiovasculaire, diabète ou maladie rénale chronique).9 Cependant, l’importance des moyens et du temps médical mobilisés pour cette approche rend peu claire son utilité médico-économique, si bien qu’actuellement la télésurveillance des patients hypertendus reste rarement utilisée en pratique courante.

Téléconsultation et télé-expertises : encore embryonnaires

Depuis peu, la loi française autorise les patients à demander un avis par téléconsultation et les médecins par télé-expertise spécialisée sur dossier (loi HPST n° 2009-879 du 21 juillet 2009). À ce jour, le stade expérimental n’est pas encore dépassé en matière d’hypertension artérielle en France. Cette offre est en évaluation dans le centre d’excellence en hypertension artérielle à l’Hôpital européen Georges-Pompidou (HEGP). Il sera nécessaire de mettre en place des évaluations sur la pertinence, les coûts et la fiabilité de ces échanges en vie réelle.

e-santé : très utilisée par les patients mais trop peu d’applications validées

Les échanges électroniques (courriels, chats, messages sur les réseaux sociaux, partage de documents, visioconférences, mesures de constantes corporelles via les objets connectés librement vendus sur Internet) sont de plus en plus utilisés par les patients et/ou consommateurs de soins. Quel-ques outils sont validés pour la prise en charge de l’hypertension artérielle (tableau 1) :
– application de préparation à la consultation pour hypertension artérielle ; cette application mise au point par le centre d’hypertension artérielle de l’HEGP permet au patient de préparer son dossier médical avant la rencontre avec le médecin ;10
– applications et objets connectés (App/Oc) dédiés à la mesure de la pression artérielle ; ils sont très nombreux mais on ne dispose que de très peu de données sur la fiabilité des algorithmes gérant les résultats de pression artérielle. Une revue systématique a identifié près de 850 applications pour smartphones en anglais consacrées à la mesure de la pression artérielle.11 L’analyse des 107 premières applications smartphone pour l’hypertension artérielle a montré que seules trois d’entre elles avaient été développées par des professionnels de santé alors que d’autres transformaient des smartphones en dispositifs médicaux sans réglementation par des autorités de santé. À ce jour, seules deux applications conçues en respect des recommandations de la Société européenne d’hypertension (ESH) et de la Société française d’hypertension artérielle (SFHTA) ont été présentées dans des revues à comité de lecture : ESH Care et Hy-Result. Ces outils délivrent une éducation sur les méthodes et protocoles fiables d’automesure et encouragent l’autonomisation des patients. ESH Care est une plateforme accessible aux médecins,6 Hy-Result communique aux patients (traités ou non) une interprétation automatique personnalisée de leurs résultats d’automesure de pression artérielle.12 Elles sont disponibles gratuitement sur Internet et peuvent être conseillées aux patients, bien distinctes donc des outils déconseillés (tableau 2). 
Encadre

À retenir

Télésuivi, téléconsultation et télé-expertise dédiés à la prise en charge de l’hypertension artérielle ne sont pas encore de pratique courante.

Les nouvelles technologies d’information et de communication peuvent aider les patients à gagner en autonomie avec un autosuivi au long cours de leurs automesures tensionnelles et/ou de leurs traitements.

Les professionnels de santé sont invités à guider les patients dans le choix des applications : il faut recommander en priorité les applications validées.

Les applications proposant des mesures de pression artérielle faites à l’aide d’un appareil de mesure brachiale non validé ne doivent pas être utilisées.

Références
1. Postel-Vinay N, Bobrie G, Savard S, et al. Home blood pressure measurement and digital health: communication technologies create a new context. J Hypertens 2018;36:2125-3.
2. Williams B, Mancia G, Spiering W, et al. Practice guidelines for the management of arterial hypertension of the European Society of Hypertension and the European Society of Cardiology: ESH/ESC Task Force for the Management of Arterial Hypertension 2018. J Hypertens 2018;36:2284-309.
3. Société française d’hypertension artérielle. Recommandation, mesure de la pression artérielle. SFHTA, décembre 2018. http://bit.ly/2O4vvrV
4. Luo H, Yang D, Barszczyk A, et al. Smartphone-based blood pressure measurement using transdermal optical imaging technology. Circ Cardiovasc Imaging 2019;12(8):e008857.
5. Plante TB, Urrea B, MacFarlane ZT, et al. Validation of the Instant Blood Pressure Smartphone App. JAMA Intern Med 2016;176:700-2.
6. Parati G, Torlasco C, Omboni S, Pellegrini D. smartphone applications for hypertension management: a potential game-changer that needs more control. Curr Hypertens Rep 2017;19:48.
7. Omboni S, Gazzola T, Carabelli G, et al. Clinical usefulness and cost effectiveness of home blood pressure telemonitoring: meta-analysis of randomized controlled studies. J Hypertens 2013;31:455-67.
8. McManus RJ, Mant J, Franssen M, et al; TASMINH4 investigators. Efficacy of self-monitored blood pressure, with or without telemonitoring, for titration of antihypertensive medication (TASMINH4): an unmasked randomised controlled trial. Lancet 2018;391:949-59.
9. McManus RJ, Mant J, Haque MS, et al. Effect of self-monitoring and medication self-titration on systolic blood pressure in hypertensive patients at high risk of cardiovascular disease. The TASMIN-SR randomized clinical trial. JAMA 2014;312:799-808.
10. Postel-Vinay N, Bobrie N, Steichen O, Sosner P, Gosse Ph, Plouin PF. HY-Quest, standardized patient questionnaire to be completed at home before a first visit for hypertension: a validation study in specialized centres in France. J Hypertens 2014;32:693-8.
11. Kumar N, Khunger M, Gupta A, Garg N. A content analysis of smartphone-based applications for hypertension management. J Am Soc Hypertens 2015;9:130-6.
12. Postel-Vinay N, Bobrie G, Ruelland A, et al. Automated interpretation of home blood pressure assessment (Hy-Result software) versus physician’s assessment: a validation study. Blood Press Monit 2016;21:111-7.

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