La connaissance de l’épidémiologie de l’endo­cardite infectieuse (EI) a progressé grâce à des études et à l’analyse de bases de données administratives permettant de colliger un nombre important de cas de cette pathologie relativement rare. L’incidence de l’EI est désormais mieux connue en population générale mais aussi en fonction des caracté­ristiques des patients, notamment du type de cardiopathie sous-jacente. La répartition des micro-organismes responsables a également évolué. Les modifications des modalités de prophylaxie de l’EI remontant aux années 2000 se sont généralisées et reposent désormais sur des arguments plus étayés.

Épidémiologie de l’endocardite infectieuse

L’évaluation de l’incidence de l’endocardite infectieuse nécessite de disposer de données en population générale afin d’éviter les biais de sélection rencontrés lors de l’analyse de données hospitalières. Ces analyses sont peu nombreuses en raison de la complexité du diagnostic et de la nécessité de prendre en compte des populations importantes.1-4 Récemment, le recours aux bases de données administratives a permis d’accéder plus aisément à des données quantitativement importantes, bien que moins détaillées et dépendantes de la qualité des codages diagnostiques hospitaliers.5 Malgré certaines différences méthodologiques, les études effectuées en population générale conduisent à des estimations d’incidence de l’EI assez concordantes : entre 30 et 80 cas par million d’habitants et par an (tableau 1).

Augmentation de l’incidence durant les vingt dernières années

Dans les pays industrialisés, l’incidence de l’EI augmente nettement après 60 ans et est plus élevée chez les hommes que chez les femmes dans toutes les tranches d’âge.1,5 L’augmentation de la prévalence de l’EI avec l’âge reflète l’évolution de l’épidémiologie des valvulopathies dans les pays industrialisés, caractérisée par la prédominance des valvulopathies dégénératives. Les patients atteints d’EI ont donc un âge moyen supérieur à 60 ans et une fréquence croissante d’endocardites sur prothèse (de 15 à 30 %) et sur matériel de stimulation, comme dans le registre européen EURO-ENDO portant sur plus de 3 000 cas d’EI colligées entre 2016 et 2018.6
Plusieurs études ont mis en évidence une augmentation de l’incidence de l’EI lors des deux dernières décennies.7 L’interprétation de ces tendances est difficile, car ces études reposent souvent sur des bases de données administratives dans lesquelles toutes les caractéristiques des EI ne sont pas disponibles.
Plusieurs facteurs peuvent être envisagés, notamment un meilleur diagnostic (progrès de l’imagerie, meilleure identification microbiologique) et une augmentation du nombre de patients à risque accru d’EI (porteurs de prothèses valvulaires et de matériel de stimulation). Certaines études ont mis en cause la restriction des indications d’antibioprophylaxie durant les années 2000, mais l’analyse chronologique des tendances et les données microbiologiques ne confirment pas cette hypothèse : l’incidence standardisée de l’EI ne diffère pas dans trois enquêtes françaises conduites en 1991, 1999 et 2008, et surtout l’incidence des endocardites à streptocoques – qui sont celles ciblées par l’anti­bioprophylaxie – décroît.8
La mortalité précoce demeure élevée, entre 15 et 25 % durant la période hospitalière ou les trois premiers mois.1-5

Incidence variable selon la cardiopathie sous-jacente

L’incidence de l’EI est extrêmement hétérogène. Elle a pu être précisée dans les différents groupes à risque grâce aux analyses de bases de données administratives qui permettent de colliger un nombre suffisant de cas dans les sous-groupes.
Parmi les patients avec valvulopathie native – classés à risque intermédiaire –, l’incidence de l’EI est estimée entre 1 500 et 3 000 cas par million et par an, soit près de 100 fois supérieure à l’incidence en population générale.5,9
Parmi les patients à haut risque, l’incidence de l’EI est estimée entre 4 500 et 6 000 cas par million et par an précocement après un remplacement valvulaire prothétique, et entre 14 000 et 16 000 cas par million et par an chez les patients ayant un antécédent d’EI.5,10 Il n’y a pas de différence nette d’incidence en fonction du type de prothèse lorsque les comparaisons sont ajustées sur les facteurs de risque d’EI, en particulier l’âge qui diffère selon le type de prothèse. L’incidence de l’EI semble un peu plus élevée avec les bioprothèses qu’avec les prothèses mécaniques. Parmi les bioprothèses, il n’existe pas de différence significative d’incidence selon qu’elles soient implantées chirurgicalement ou par cathéter (TAVI).11 L’incidence est plus élevée dans l’année qui suit l’implantation d’une prothèse. Le risque d’EI est plus élevé après l’implantation par cathéter des prothèses valvulaires en position pulmonaire.
Bien que la présence d’un stimulateur cardiaque ne soit pas considérée comme une condition à risque accru d’endocardite, l’incidence de l’EI y est estimée entre 500 et 2 000 cas par an, proche des chiffres rapportés pour les EI sur valvulopathie native.5,9 L’EI est le plus souvent due à une contamination lors de l’implantation ou du remplacement de boîtier. L’incidence de l’EI augmente avec le nombre de sondes de stimulation et en présence d’un défibrillateur.
Il convient de souligner l’incidence particulièrement élevée (supérieure à 1 % par an) chez les patients ayant un antécédent d’EI. Ces patients doivent faire l’objet d’une prévention particulièrement vigilante et d’une suspicion élevée d’EI devant tout signe suspect.

Microbiologie : le plus souvent, des Cocci à Gram positif

L’épidémiologie microbiologique de l’EI a évolué, avec une diminution des EI causées par les streptocoques d’origine bucco-dentaire et une augmentation des EI causées par les staphylocoques (majoritairement Staphylococcus aureus) représentant environ un tiers des cas.1-4,6 L’augmentation de fréquence des staphylocoques dorés est imputée notamment à l’augmentation du nombre d’EI liées aux soins : 30 à 50 %. L’entérocoque représente le troisième micro-organisme en fréquence (autour de 10 % en population générale) mais jusqu’à 20 à 30 % chez le sujet âgé et dans les EI sur TAVI.
Les Cocci à Gram positif sont en cause dans plus de 80 % des EI. La fréquence des EI à hémocultures négatives a diminué et représente 5 à 10 % des cas dans les séries contemporaines.
Une étude ayant recherché systématiquement la porte d’entrée de l’EI a apporté des résultats concordants avec la répartition des micro-organismes. La porte d’entrée la plus fréquente était cutanée (40 %), suivie par les portes d’entrée bucco-dentaire (29 %) et digestive (23 %).12
Les EI postopératoires précoces sont définies par une survenue dans l’année qui suit un remplacement valvulaire. Elles sont surtout dues à des contaminations peropératoires et majoritairement causées par les staphylocoques dorés et à coagulase négative.

Spécificités des pays en développement

L’incidence des EI a été peu étudiée dans les pays en développement. Leur présentation diffère de celle des pays industrialisés : les patients sont nettement plus jeunes en raison de la prédominance des valvulopathies rhumatismales. Le streptocoque demeure le micro-­organisme le plus fréquent. Les EI à hémocultures négatives sont plus nombreuses.

Prévention

La gravité de l’endocardite infectieuse, avec une mortalité hospitalière autour de 20 %, justifie les efforts de prévention. Les dernières décennies ont été marquées par une restriction des indications d’antibioprophylaxie alors que les mesures d’hygiène non spécifiques sont désormais privilégiées.

Rationnel des recommandations de prévention

La justification de l’antibioprophylaxie repose sur la survenue de bactériémies lors de la réalisation de procédures dentaires invasives et la réduction de l’ino­culum bactérien par l’administration préalable d’antibiotiques. Cependant, le bien-fondé de l’antibio­-prophylaxie a été remis en cause dans les années 2000 en raison de données expérimentales et cliniques.
Outre les bactériémies transitoires consécutives aux gestes invasifs, qui sont ciblées par l’antibioprophylaxie, une attention croissante a été portée aux bactériémies de faible intensité mais de survenue beaucoup plus fréquente, souvent quotidienne, et responsables de bactériémies cumulées importantes. Des modèles animaux ont montré que des bactériémies de faible intensité mais répétées pouvaient être à l’origine d’EI. Ces bactériémies fréquentes ne peuvent pas être combattues par une antibioprophylaxie mais sont favorisées par les défauts d’hygiène, notamment bucco-dentaire. Sur le plan clinique, des études cas-témoins et des données observationnelles ont montré que le risque d’EI secondaire à des soins dentaires invasifs était très faible et que le bénéfice potentiel lié à l’antibioprophylaxie devait être mis en balance avec le risque individuel d’anaphylaxie et le risque collectif de sélection de bactéries résistantes.
La prévention de l’EI privilégie donc désormais la diminution des causes de bactériémies par des mesures d’hygiène non spécifiques. L’antibioprophylaxie reste indiquée chez les patients à haut risque d’EI en raison de son incidence accrue et d’une morbi-mortalité plus élevée ; des arguments récents suggèrent son efficacité dans cette population.13

Recommandations de prévention de l’endocardite infectieuse

Les recommandations les plus récentes sont celles de la Société européenne de cardiologie (European Society of Cardiologie [ESC]) de 2023, endossées par la Société française de cardiologie et s’appliquant donc en France.14
Des recommandations sur la prise en charge bucco-­dentaire des patients à risque d’endocardite viennent d’être publiées par la Haute Autorité de santé et concernent, outre la prophylaxie, le diagnostic des foyers infectieux et leur traitement, consacrant une large place à la possibilité de traitements conservateurs et à l’implantologie.15
 

Patients à risque d’endocardite infectieuse

Les patients à haut risque d’EI sont les patients ayant un antécédent ou une prothèse valvulaire implantée (chirurgicalement ou par cathéter) ou un matériel prothétique utilisé pour une réparation valvulaire (plastie mitrale avec anneau), les patients présentant une cardiopathie congénitale cyanogène non opérée ou une cardiopathie congénitale corrigée avec du matériel prothétique, le plus souvent pour une période temporaire (tableau 2).
Les patients à risque intermédiaire d’EI sont ceux avec une valvulopathie native, une cardiopathie congénitale avec shunt gauche-droit à l’exception de la communication interauriculaire et les cardiomyopathies hypertrophiques obstructives. L’antibioprophylaxie n’est pas indiquée chez les patients à risque intermédiaire d’EI, mais ils doivent être informés de l’importance des mesures d’hygiène non spécifiques.
 

Procédures à risque d’endocardite infectieuse

Les procédures justifiant une antibioprophylaxie chez les patients à haut risque d’EI sont les soins dentaires comportant un risque d’hémorragie ou de bactériémie à partir de la cavité buccale (tableau 3). Cette recommandation a été renforcée par l’ESC en 2023, la passant d’une classe IIa à une classe I.
L’ESC établit une recommandation faible d’anti­bioprophylaxie (classe IIb) avant des procédures diag­nostiques invasives interventionnelles non dentaires (respiratoires, gastro-intestinales, génito-urinaires, cutanées ou musculosquelettiques). Ceci repose sur des études méthodologiquement critiquables, car l’association entre ces procédures et le risque d’endocardite peut être due à des facteurs de confusion, en particulier la pathologie causale ayant conduit aux procédures en question.
 

Modalités de l’antibioprophylaxie

Chez l’adulte, l’antibioprophylaxie consiste en l’administration de 2 g d’amoxicilline en une seule prise par voie orale une heure avant les soins dentaires invasifs.14 En cas d’allergie aux bêtalactamines, l’amoxicilline est remplacée par la céphalexine, l’azithromycine, la doxycycline ou la céfazoline. Le recours à la voie intraveineuse n’est justifié que si la voie orale n’est pas utilisable.
 

Mesures de prévention non spécifiques de l’endocardite infectieuse

Ces mesures devraient s’appliquer en population générale, mais elles sont particulièrement importantes pour les patients à risque intermédiaire ou à haut risque d’endocardite infectieuse (encadré). Le traitement des foyers infectieux bucco-dentaires a profondément évolué, et des soins conservateurs sont désormais possibles chez les patients à risque d’endocardite infectieuse.15 Les professions médicales et paramédicales doivent être sensibilisées à l’importance des mesures d’asepsie chez les patients à risque d’endocardite infectieuse. Des cartes de prévention de l’endocardite infectieuse prenant en compte les recommandations de l’ESC 2023 seront disponibles en France dans le courant de l’année 2024. 
  • Maintien d’une bonne hygiène bucco-dentaire
  • Maintien d’une bonne hygiène cutanée
  • Vigilance vis-à-vis des infections
  • Ne pas recourir à l’automédication par antibiotiques
  • Montrer la carte de prévention aux médecins avant toute intervention
Encadre

Éducation à la prévention de l’endocardite infectieuse chez les patients à haut risque

Maintien d’une bonne hygiène bucco-dentaire

Maintien d’une bonne hygiène cutanée

Vigilance vis-à-vis des infections

Ne pas recourir à l’automédication par antibiotiques

Montrer la carte de prévention aux médecins avant toute intervention

D’après les recommandations 2023 de la Société européenne de cardiologie14

Références
1. Selton-Suty C, Celard M, Le Moing V, Doco-Lecompte T, Chirouze C, Iung B, et al. Preeminence of Staphylococcus aureus in infective endocarditis: A 1-year population-based survey. Clin Infect Dis 2012;54(9):1230-9.
2. Sy RW, Kritharides L. Health care exposure and age in infective endocarditis: Results of a contemporary population-based profile of 1536 patients in Australia. Eur Heart J 2010;31(15):1890-7.
3. Fedeli U, Schievano E, Buonfrate D, Pellizzer G, Spolaore P. Increasing incidence and mortality of infective endocarditis: A population-based study through a record-linkage system. BMC Infect Dis 2011;11:48.
4. Toyoda N, Chikwe J, Itagaki S, Gelijns A, Adams DH, Egorova NN. Trends in infective endocarditis in California and New York State, 1998-2013. JAMA 2017;317(16):1652-60.
5. Thornhill MH, Jones S, Prendergast B, Baddour LM, Chambers JB, Lockhart PB, et al. Quantifying infective endocarditis risk in patients with predisposing cardiac conditions. Eur Heart J 2018;39(7):586-95.
6. Habib G, Erba PA, Iung B, Donal E, Cosyns B, Laroche C, et al. Clinical presentation, aetiology and outcome of infective endocarditis. Results of the ESC-EORP EURO-ENDO (European Infective Endocarditis) Registry: A prospective cohort study. Eur Heart J 2019;40(39):3222-32.
7. Talha KM, Baddour LM, Thornhill MH, Arshad V, Tariq W, Tleyjeh IM, et al. Escalating incidence of infective endocarditis in Europe in the 21st century. Open Heart 2021;8(2):e001846.
8. Duval X, Delahaye F, Alla F, Attevin P, Obadia JF, Le Moing V, et al. Temporal trends in infective endocarditis in the context of prophylaxis guideline modifications: Three successive population-based surveys. J Am Coll Cardiol 2012;59(22):1968-76.
9. Østergaard L, Valeur N, Wang A, Bundgaard H, Aslam M, Gislason G, et al. Incidence of infective endocarditis in patients considered at moderate risk. Eur Heart J 2019;40(17):1355-61.
10. Østergaard L, Valeur N, Ihlemann N, Bundgaard H, Gislason G, Trop-Pedersen C, et al. Incidence of infective endocarditis among patients considered at high risk. Eur Heart J 2018;39(7):623-9.
11. Summers MR, Leon MB, Smith CR, Kodali SK, Thourani VH, Herrmann HC, et al. Prosthetic valve endocarditis after TAVR and SAVR: Insights from the PARTNER trials. Circulation 2019;140(24):1984-94.
12. Delahaye F, M’Hammedi A, Guerpillon B, de Gevigney G, Boibieux A, Dauwalder O, et al. Systematic search for present and potential portals of entry for infective endocarditis. J Am Coll Cardiol 2016;67(2):151-8.
13. Thornhill MH, Gibson TB, Yoon F, Dayer MJ, Prendergast BD, Lockhart PB, et al. Antibiotic prophylaxis against infective endocarditis before invasive dental procedures. J Am Coll Cardiol 2022;80(11):1029-41.
14. Delgado V, Ajmone Marsan N, de Waha S, Bonaros N, Brida M, Burri H, et al. 2023 ESC Guidelines for the management of endocarditis. Eur Heart J 2023;44(39): 3948-4042.
15. Haute Autorité de santé. Recommandations sur la prise en charge bucco-dentaire des patients à haut risque d’endocardite infectieuse. Avril 2024. https://vu.fr/PPLcN

Dans cet article

Ce contenu est exclusivement réservé aux abonnés

Résumé

L’incidence de l’endocardite infectieuse est estimée entre 30 et 80 cas par million d’habitants et par an en population générale dans les pays industrialisés. Cette incidence est hétérogène et augmente très nettement dans certaines cardiopathies sous-jacentes : elle dépasse 1 % par an chez les patients ayant un antécédent d’endocardite. L’incidence est majorée après 60 ans, et le staphylocoque est désormais la bactérie la plus souvent en cause. L’antibioprophylaxie n’est indiquée que chez les patients ayant un risque élevé d’endocardite infectieuse et soumis à des soins dentaires invasifs. Les recommandations publiées en 2023 par l’European Society of Cardiology soulignent l’importance des mesures non spécifiques d’hygiène bucco-dentaire et cutanée dans la prévention.