Après la publication en 2019 de l’étude concernant la présentation clinique, l’étiologie et le devenir de l’endocardite infectieuse de la cohorte prospective EURO-ENDO (European Infective Endocarditis Registry, registre européen des endocardites infectieuses ayant recruté 3 115 patients),1 une analyse a porté sur la sous-population des patients porteurs d’un cancer.2 En effet, l’hypothèse est que ceux-ci sont plus à risque de contracter une endocardite infectieuse du fait d’une immunité réduite (éventuellement en lien avec le traitement), de la présence de dispositifs comme les chambres à cathéter implantables ou des voies veineuses centrales, et enfin des points d’entrée liés au cancer pour certains micro-organismes (par exemple, les cancers du côlon sont associés à une haute prévalence de Streptococcus bovis ou S. agalactiae ; de ce fait, selon les recommandations européennes, leur présence dans les hémocultures doit inciter les cliniciens à rechercher ce type de cancer, qui constitue une porte d’entrée pour ce micro-organisme).
Les patients atteints d’un cancer pourraient représenter une population spécifique, avec des caractéristiques cliniques et pronostiques différentes.
Cette sous-population correspond à 359 patients, soit 11,6 % de l’ensemble de la population du registre.

Population âgée

La population ayant à la fois un cancer et une endocardite est plus âgée : 53 % ont plus de 65 ans et 22 % plus de 80 ans. Un quart des endocardites dans cette population est associé aux soins médicaux : nosocomiales dans 18,6 % des cas et non nosocomiales dans 6,6 % des cas.
Dans cette catégorie, la prévalence des différents types d’endocardite est la suivante : 60 % sont des endocardites natives et 28 % des endocardites sur prothèse ; les 12 % restants concernent des patients porteurs de dispositifs médicaux ou ayant subi une réparation valvulaire. La majorité des cancers est de type solide : cancers prostatiques (dans 20 % des cas), cancers digestifs (16 %), cancers du sein (12 %), lympho­mes (8 %), cancers de la vessie (8 %) et cancers du poumon (5 %).

Prédominance des entérocoques et de Streptococcus gallolyticus

En matière de bactériologie, il existe une prédominance des entérocoques et de Streptococcus gallolyticus.
De manière surprenante, on observe moins d’endocardites à culture négative que dans le groupe d’endo­cardites non associées à un cancer.

Imagerie

Une échographie transthoracique (ETT) est réalisée dans environ 94 % des cas et une échographie transœsophagienne (ETO) dans environ 82 % des cas.
Une imagerie par émission de positons couplée à la tomographie (TEP-CT) est effectuée dans 20 % des cas. Cet examen est positif chez 55 patients atteints à la fois de cancer et d’endocardite, soit 69 % (souvent associés à des lésions extracardiaques) comparé à 54 % chez les patients exempts de tout cancer. On peut cependant supposer qu’une partie de ces atteintes extra­cardiaques sont liées à des lésions secondaires du cancer.
L’imagerie par scanner réalisée chez 58 % des patients atteints de cancer montre des lésions valvulaires dans 16 % des cas. On observe significativement davantage d’abcédation péri­valvulaire chez les patients atteints de cancer (78,6 % versus 50,5 %).
L’imagerie par résonance magnétique (IRM), réalisée pour 24 % de l’ensemble des patients, montre des signes d’endocardite infectieuse chez 64 patients atteints de cancer. Il n’y a aucune différence concernant la valeur diagnostique ajoutée de l’IRM comparée à la population libre de cancer.

Des complications plus nombreuses

Il est observé une plus faible prévalence d’embolie pulmonaire chez les patients atteints de cancer (probablement parce qu’ils sont traités plus souvent par des traitements préventifs antithrombotiques). En revanche, insuffisance cardiaque, choc cardiogénique, insuffisance rénale aiguë et thrombopénie sont plus fréquents dans le groupe des patients atteints de cancer.

Importance de la réalisation de la chirurgie quand elle est indiquée

Mais les résultats les plus intéressants sont assurément ceux concernant la chirurgie chez les patients atteints de cancer. Selon les recommandations de l’European Society of Cardiology (ESC), l’indication théorique de la chirurgie cardiaque n’est pas significativement différente entre les groupes avec ou sans cancer (65,5 % versus 69,8 %). Mais l’intervention est nettement moins souvent réalisée si les patients sont porteurs d’un cancer durant leur hospitalisation (65,5 % versus 75 %, ce qui est hautement significatif). Cela a pour conséquence une mortalité à l’hôpital significativement plus élevée en cas de cancer (23,4 % versus 16,1 %)mais aussi à un an de suivi (18 % versus 10,2 %), chiffre également très significatif. Les courbes de survie (figure) montrent que les patients avec un cancer ayant une indication pour la chirurgie, qui est effectivement réalisée (courbe rouge), ont une survie à long terme proche de la survie des patients sans cancer (courbe rose, flèche bleue). À l’inverse, pour les patients cancéreux ayant une indication pour la chirurgie mais qui n’est pas réalisée, la mortalité est dramatique (60 % à un an) [courbe bleue, flèche rouge].
Dans l’analyse multivariée des facteurs prédicteurs de mortalité, les plus puissants sont une insuffisance rénale avec une créatininémie supérieure à 2 mg/dL, une insuffisance cardiaque chronique et l’absence de chirurgie alors qu’elle est indiquée.

Particularités des patients atteints d’un cancer et d’une endocardite infectieuse

Ainsi, les cancers sont fréquents chez les patients traités pour une endocardite infectieuse (prévalence d’environ 12 %) et leur pronostic est moins bon. Les patients qui ont un cancer et une endocardite infectieuse sont plus âgés et ont un profil de risque cardiovas­culaire plus élevé. Ils sont plus souvent porteurs d’un cathéter intraveineux et reçoivent davantage de corticothérapies et d’immunosuppresseurs comparativement aux patients sans cancer. La bactérie la plus fréquemment identifiée est l’entérocoque. L’insuffisance rénale aiguë est la complication la plus fréquente pendant l’hospitalisation, suivie par les événements emboliques et l’insuffisance cardiaque chronique. Lorsqu’il y a une indication théorique pour la chirurgie cardiaque et que celle-ci est réalisée, il n’y a pas de différence pronostique significative entre les deux groupes durant l’hospitalisation et à un an. À l’inverse, en cas d’indication mais de non-réalisation de la chirurgie, le pronostic est nettement plus altéré que dans le groupe sans cancer. Dès lors, une attitude plus agressive en matière de traitement chirurgical devrait être adoptée dans cette population spécifique. 
Références
1. Habib G, Erba PA, Iung B, Donal E, Cosyns B, Laroche C, et al. Clinical presentation, aetiology and outcome of infective endocarditis. Results of the ESC-EORP EURO-ENDO (European infective endocarditis) registry: A prospective cohort study. Eur Heart J 2019;40(39):3222-32.
2. Cosyns B, Roosens B, Lancellotti P, Laroche C, Dulgheru R, Scheggi V, et al. Cancer and infective endocarditis: Characteristics and prognostic impact. Front Cardiovasc Med 2021;8:766996.

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