Jean Deleuze
La fiction n’est pas le seul ressort de la bande dessinée. Nombreux sont désormais les témoignages qui utilisent cette forme d’expression pour magnifier un récit qui aurait pu sembler banal ou maladroit ou peu susceptible de toucher le plus grand nombre sans le secours d’un scénario et d’un graphisme efficaces. Le domaine de la santé au sens large en est un parfait exemple qu’illustrent trois récentes publications.
« Yuan, Journal d’une adoption » raconte le parcours autobiographique d’un jeune couple bruxellois qui, dans les années 1990, n’arrive pas à avoir d’enfants et décide officiellement d’en adopter un. Aidés par une association, leur choix se porte vers la Chine, qui n’est pas alors le pays le plus facile pour ce type de démarche, tant la procédure y est tatillonne et l’acceptation par les autorités soumise à des difficultés obéissant à des logiques dont la nature échappe aux futurs parents. La procédure nécessite d’abord l’agrément de l’administration belge, ce qui implique des enquêtes de police, sociale et psychologique ainsi que de nombreux certificats attestant l’infertilité du couple ou des revenus suffisants, les autorités chinoises exigeant, pour leur part, que chaque membre de la famille rédige une lettre indiquant qu’il approuve l’adoption. Mais l’agrément chinois est d’emblée plus incertain. Les parents potentiels auront été prévenus : un coût d’adoption élevé, un très possible handicap de l’enfant et dans tous les cas une fille, la quasi-totalité des abandons en Chine concernant le sexe féminin. La réponse chinoise se fait attendre des mois, puis elle arrive positive. Le couple doit se rendre en Chine pour recueillir une petite fille dont ils ne savent rien : elle aurait un pied bot ? est-elle séro- positive ? Dans son hôtel, au fin fond du pays, le couple étroitement cornaqué est informé un soir que l’enfant est arrivé. Les quelques pages qui racontent l’échange expéditif entre la nourrice qui élève l’enfant depuis son abandon (et qui va partir en pleurant) et le couple aba- sourdi et pétrifié à qui on tend tout d’un coup dans les bras un bébé inconnu sont bouleversantes…
On reste dans l’enfance avec « L’Onde Dolto » qui raconte avec brio le phénomène de société que fut, sur France Inter, l’émission « Lorsque l’enfant paraît ». La célèbre psychanalyste avait beaucoup hésité avant d’accepter cette collaboration en 1976. Avec l’aide active de sa fille Catherine, son duo avec l’animateur Jacques Pradel eut un succès considérable, attirant des millions d’auditeurs et des milliers de lettres de parents en difficulté. L’album met en scène une François Dolto spontanée, ingénue, pleine de bon sens et parfois provocatrice répondant à un flot ininterrompu de questions écrites préalablement triées et regroupées par Catherine, Françoise Dolto ne souhaitant répondre qu’aux lettres, car « en écrivant, les parents prennent le temps de réfléchir ». Comment gérer un enfant qui refuse de se laver, qui n’est pas propre, qui ne parle plus, qui dit des gros mots, qui ne veut pas se coucher, dont les parents sont dépassés ? Que répondre à un enfant qui interroge sur la mort, sur de futurs petits frères ou petites sœurs, qui est jaloux ou violent. Sans cesse, François Dolto martèle qu’il faut parler avec l’enfant sans l’infantiliser et explique, pour les cas qui lui sont présentés, sur quoi il ne faut pas buter pour avancer. Les auditeurs ne sont pas forcément d’accord et quand un jour elle s’exclame qu’une grand-mère ne doit pas dormir avec sa petite-fille, car ce n’est pas une poupée et que cela peut paraître pervers, les lettres de protestation affluent, ce qui ne lui déplaît pas forcément tant elle aime qu’on lui porte la contradiction…
Le troisième album, « Te dire merci » vient du Japon et semble s’enraciner également dans une histoire vécue. Une mère autoritaire, indépendante et ayant un fichu caractère est atteinte, encore jeune, d’un cancer du pancréas. La communication est difficile avec sa fille qui la soutient et l’adore et voudrait lui dire sa reconnaissance. Mais rien n’y fait, le chapitre émotion n’est pas le registre de la mère (« Yukari occupe-toi de tes affaires, dessine ton manga ! ») qui réussit même à mourir pendant le seul court moment où elle est restée seule… C’est le journal d’une maladie et des remaniements qu’il entraîne chez les proches entre épuisement et culpabilité, jusqu’à une forme de sérénité qui apparaît progressivement lorsque, plus tard, la fille croise de temps à autre une personne qui ressemble vaguement à sa mère défunte et qui, à ce moment-là, fait systématiquement le vœu que cette inconnue puisse vivre en bonne santé, heureuse et plus longtemps que sa mère…
La fiction n’est pas le seul ressort de la bande dessinée. Nombreux sont désormais les témoignages qui utilisent cette forme d’expression pour magnifier un récit qui aurait pu sembler banal ou maladroit ou peu susceptible de toucher le plus grand nombre sans le secours d’un scénario et d’un graphisme efficaces. Le domaine de la santé au sens large en est un parfait exemple qu’illustrent trois récentes publications.
« Yuan, Journal d’une adoption » raconte le parcours autobiographique d’un jeune couple bruxellois qui, dans les années 1990, n’arrive pas à avoir d’enfants et décide officiellement d’en adopter un. Aidés par une association, leur choix se porte vers la Chine, qui n’est pas alors le pays le plus facile pour ce type de démarche, tant la procédure y est tatillonne et l’acceptation par les autorités soumise à des difficultés obéissant à des logiques dont la nature échappe aux futurs parents. La procédure nécessite d’abord l’agrément de l’administration belge, ce qui implique des enquêtes de police, sociale et psychologique ainsi que de nombreux certificats attestant l’infertilité du couple ou des revenus suffisants, les autorités chinoises exigeant, pour leur part, que chaque membre de la famille rédige une lettre indiquant qu’il approuve l’adoption. Mais l’agrément chinois est d’emblée plus incertain. Les parents potentiels auront été prévenus : un coût d’adoption élevé, un très possible handicap de l’enfant et dans tous les cas une fille, la quasi-totalité des abandons en Chine concernant le sexe féminin. La réponse chinoise se fait attendre des mois, puis elle arrive positive. Le couple doit se rendre en Chine pour recueillir une petite fille dont ils ne savent rien : elle aurait un pied bot ? est-elle séro- positive ? Dans son hôtel, au fin fond du pays, le couple étroitement cornaqué est informé un soir que l’enfant est arrivé. Les quelques pages qui racontent l’échange expéditif entre la nourrice qui élève l’enfant depuis son abandon (et qui va partir en pleurant) et le couple aba- sourdi et pétrifié à qui on tend tout d’un coup dans les bras un bébé inconnu sont bouleversantes…
On reste dans l’enfance avec « L’Onde Dolto » qui raconte avec brio le phénomène de société que fut, sur France Inter, l’émission « Lorsque l’enfant paraît ». La célèbre psychanalyste avait beaucoup hésité avant d’accepter cette collaboration en 1976. Avec l’aide active de sa fille Catherine, son duo avec l’animateur Jacques Pradel eut un succès considérable, attirant des millions d’auditeurs et des milliers de lettres de parents en difficulté. L’album met en scène une François Dolto spontanée, ingénue, pleine de bon sens et parfois provocatrice répondant à un flot ininterrompu de questions écrites préalablement triées et regroupées par Catherine, Françoise Dolto ne souhaitant répondre qu’aux lettres, car « en écrivant, les parents prennent le temps de réfléchir ». Comment gérer un enfant qui refuse de se laver, qui n’est pas propre, qui ne parle plus, qui dit des gros mots, qui ne veut pas se coucher, dont les parents sont dépassés ? Que répondre à un enfant qui interroge sur la mort, sur de futurs petits frères ou petites sœurs, qui est jaloux ou violent. Sans cesse, François Dolto martèle qu’il faut parler avec l’enfant sans l’infantiliser et explique, pour les cas qui lui sont présentés, sur quoi il ne faut pas buter pour avancer. Les auditeurs ne sont pas forcément d’accord et quand un jour elle s’exclame qu’une grand-mère ne doit pas dormir avec sa petite-fille, car ce n’est pas une poupée et que cela peut paraître pervers, les lettres de protestation affluent, ce qui ne lui déplaît pas forcément tant elle aime qu’on lui porte la contradiction…
Le troisième album, « Te dire merci » vient du Japon et semble s’enraciner également dans une histoire vécue. Une mère autoritaire, indépendante et ayant un fichu caractère est atteinte, encore jeune, d’un cancer du pancréas. La communication est difficile avec sa fille qui la soutient et l’adore et voudrait lui dire sa reconnaissance. Mais rien n’y fait, le chapitre émotion n’est pas le registre de la mère (« Yukari occupe-toi de tes affaires, dessine ton manga ! ») qui réussit même à mourir pendant le seul court moment où elle est restée seule… C’est le journal d’une maladie et des remaniements qu’il entraîne chez les proches entre épuisement et culpabilité, jusqu’à une forme de sérénité qui apparaît progressivement lorsque, plus tard, la fille croise de temps à autre une personne qui ressemble vaguement à sa mère défunte et qui, à ce moment-là, fait systématiquement le vœu que cette inconnue puisse vivre en bonne santé, heureuse et plus longtemps que sa mère…