Il existe deux classes d’antipsychotiques ou neuroleptiques : les conventionnels de première génération (typiques) et ceux de seconde génération (atypiques). La distinction entre les deux groupes se situe au niveau de leurs propriétés pharmacologiques. Tous les antipsychotiques bloquent le système dopaminergique D2. Cependant, contrairement aux antipsychotiques de première génération, les antipsychotiques de seconde génération ont une plus faible affinité pour les récepteurs dopaminergiques D2 et interagissent également avec d’autres récepteurs, notamment sérotoninergiques 5-HT2A, ce qui limite ainsi les effets secondaires neuromusculaires extrapyramidaux.

Une prescription qui augmente avec l’âge et plus importante chez les garçons

En France, pour l’année 2014, le taux de prévalence des prescriptions d’antipsychotique dans la tranche d’âge 0-19 ans était de 3,8 pour 1 000 (3,4-4,1).1 Quel que soit l’âge, les garçons sont toujours plus exposés que les filles (5,3/2,2) et les adolescents le sont plus que les enfants.2 Une analyse des prescriptions des antipsychotiques réalisée, entre 2006 et 2013, dans une population âgée de 0 à 25 ans révèle un taux de prévalence des prescriptions qui augmente avec l’âge quelle que soit l’année étudiée et qui est plus important pour les tranches d’âge 11-15 ans et 16-20 ans.3 Ces constatations sont comparables à celles apportées par l’analyse des prescriptions d’antipsychotiques dans la population pédiatrique sur un échantillon des données des bénéficiaires de l’Assurance Maladie au cours de l’année 2010.4 Par ailleurs, le choix thérapeutique des praticiens est celui des antipsychotiques de seconde génération. En effet, les deux études ci-dessus1, 3 montrent conjointement une augmentation des prescriptions des antipsychotiques de seconde génération et une baisse de celles des antipsychotiques de première génération. Cela peut être expliqué par le fait que les antipsychotiques de seconde génération sont associés à un taux moindre d’effets indésirables extrapyramidaux.5

Une prescription majoritairement hors AMM

Le tableau 1 indique les autorisations de mise sur le marché (AMM) des antipsychotiques de première et de seconde génération.6 L’usage croissant des antipsychotiques en pédiatrie et les autorisations réduites conduisent à une prescription majoritairement hors AMM. Une revue de la littérature, effectuée entre les années 2000 et 2015, apporte plusieurs observations au sujet de la population pédiatrique : les prescriptions hors AMM s’étendent de 36 à 93 %.7 La rispéridone est en première ligne, et les indications sont très larges avec le trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), le trouble des conduites, le trouble oppositionnel, les troubles anxieux, le trouble envahissant du développement, la dépression, les troubles bipolaires, les tics et la schizophrénie.7 Une étude parisienne prospective de 6 mois, sur l’année 2006, a analysé 1 629 prescriptions de psychotropes chez 472 patients d’un âge inférieur à 18 ans. Parmi ces prescriptions, 25 % étaient des antipsychotiques, dont 69% étaient utilisés hors AMM, représentés par la rispéridone et la cyamémazine. Les principaux motifs de prescription étaient les troubles du comportement avec agressivité, les psychoses et les manifestations anxieuses.8 Les antipsychotiques sont donc largement utilisés hors AMM pour des troubles psychotiques et non psychotiques.

Quelle efficacité ?

Une analyse comparative des résultats d’efficacité chez les enfants et les adolescents atteints de troubles psychotiques et de trouble bipolaire a montré l’absence de différence statistiquement significative des antipsychotiques de seconde génération entre eux.9 Mais aussi l’absence de différence statistiquement significative des antipsychotiques entre les antipsychotiques de seconde génération et les antipsychotiques de première géné­ration. À noter : une exception avec un avantage de la clozapine par rapport à l’halopéridol10 et l’olanzapine11, 12 chez des patients traités pour une schizophrénie résistante. Une méta-analyse réalisée sur 32 études (en double aveugle et randomisées) effectuées en population âgée de moins de 18 ans traitée par antipsychotiques de seconde génération montre l’efficacité de ces molécules sur plusieurs symptômes : la manie, la variabilité extrême de l’humeur, l’irritabilité, l’agressivité et sur les comportements perturbateurs. De plus, rispéridone et aripiprazole ont montré leur efficacité dans le syndrome de Gilles de la Tourette.13-15

Des effets indésirables nombreux

Une attention toute particulière doit être portée à la tolérance de la population pédiatrique à ces molécules. En effet, cette population serait plus à risque de développer certains effets indésirables par rapport aux patients adultes. C’est ce que montre une étude faite à partir de données de surveillance de l’administration américaine, la Food and Drug Administration (FDA), entre les années 1996 et 2000 sur les effets indésirables de plus de 4 millions de sujets, dont des enfants, des adolescents et des adultes traités par olanzapine.16 Ainsi, pour l’augmentation de l’appétit et du poids, le risque relatif était multiplié respectivement par 24 et 4,3 chez l’enfant et par 6 et 3 chez l’adolescent par rapport à ceux retrouvés chez l’adulte. D’autre part, les effets indésirables sont nombreux.17 Une méta-analyse réalisée en 2012 en popu­lation pédiatrique18 montre que les effets extrapyramidaux, les perturbations métaboliques (cholestérol, triglycérides, glycémie), les variations du taux de prolactine, la prise de poids et la somnolence sont plus importants sous antipsychotiques de seconde génération (aripiprazole, olanzapine, quétiapine, rispéridone, ziprasidone, clozapine) que sous placebo. De plus, une revue de la littérature a schématisé de manière quantitative les profils d’effets indésirables des principales molécules antipsychotiques de seconde génération (tableau 2).19 D’autres effets indésirables sévères moins connus peuvent survenir. C’est ce que révèle le rapport de déclaration des effets indésirables de la FDA entre 1997 et 2011 en population pédiatrique sous antipsychotique. Le syndrome malin des neuroleptiques, l’allongement du QT, la leucopénie et des tentatives de suicide étaient recensés.20 La présence d’effets indésirables peut engager la poursuite du traitement antipsychotique selon sa gravité, son impact dans la vie et/ou sur la santé du jeune patient. Il est à souligner que la survenue d’effets indésirables peut compromettre la prise du traitement, et donc le pronostic. Aussi, l'information du patient et de son entourage sur le traitement, et la surveillance de la tolérance régulière sont requises lors de la prescription d’un traitement antipsychotique. En outre, le rapport bénéfice-risque doit toujours être questionné, surtout dans le cadre de prescriptions hors AMM où les données scientifiques sont encore à développer.

Résultats de l’étude ETAPE

L’Étude de la tolérance des antipsychotiques chez l’enfant (ETAPE ; NCT02007928) est une étude naturaliste, nationale, multicentrique et prospective, sur 12 mois, financée par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM, n° 2012-004546-15). Les critères d’inclusion concernaient des enfant et adolescents âgés de 6 à 18 ans exposés depuis moins de 28 jours à un antipsychotique et/ou ayant un antécédent d’exposition de moins de 3 mois avec un arrêt de plus de 6 mois avant l’inclusion dans l’étude. Quinze centres hospitaliers ont ainsi inclus 200 patients, dont 190 ont été pris en compte dans l’analyse statistique. L’âge moyen était de 12 ± 3 ans. Tous les effets indésirables potentiellement attribuables à l’antipsychotique par le praticien ont été relevés au cours du suivi. Les résultats permettent plusieurs constats sur leur survenue en population pédiatrique traitée par un antipsychotique.17 La rispéridone (50 %) et l’aripiprazole (30 %) étaient les deux antipsychotiques les plus prescrits. Près de 80 % des prescriptions étaient hors AMM. Le taux d’incidence d’effets indésirables était élevé à 11,52 personnes-années (intervalle de confiance à 95 % : 9,83-13,20). Les plus fréquents étaient neuromusculaires (15,4 %), gastroentérologiques (14,8 %), métaboliques (12,2 %) et les symptômes généraux (11,8 %). Le poids, l’indice de masse corporelle (IMC) et le z-score de l'IMC ont augmenté de manière significative, respectivement de 5,9 (± 5,04), 1,54 (± 1,84) et 0,53 (± 0,69) chez les 108 patients ayant complété le suivi de 12 mois.
Enfin, le taux d’apparition d’effets indésirables était plus important au premier trimestre d’exposition, mais il s’est maintenu tout au long des 12 mois de suivi. De plus, l’apparition de nouveaux effets indésirables a été observée pendant toute la durée de l’étude.

Précautions d’emploi en pédiatrie

À ce jour, les données de la littérature nous permettent de proposer un calendrier de surveillance lors de l’introduction et du suivi d’un traitement antipsychotique chez l’enfant et l’adolescent (tableau 3).
La prescription d’un traitement doit s’intégrer dans une prise en charge globale de l’enfant et de sa famille. Pour cela, les facteurs de risque et antécédents individuels et familiaux sont à prendre en compte avant toute introduction de l’antipsychotique (obésité, surpoids, diabète, troubles cardiovasculaires, anomalie du rythme cardiaque, etc.) compte tenu des profils d’effets indésirables connus des molécules antipsychotiques. La surveillance doit intégrer le relevé de paramètres somatiques, biologiques et électrocardiographiques avant l’exposition à l’antipsychotique et se poursuivre tout au long de l’exposition au traitement. L’examen clinique comprendra au minimum le relevé du poids et de la taille (avec calcul de l’IMC), de la pression artérielle ainsi que la recherche des effets indésirables neuromusculaires (rigidité, tremblements, dystonie, akathisie, par exemple). Les feuilles standardisées de courbe de croissance et notamment de l’IMC sont une aide précieuse pour évaluer si le développement du patient est harmonieux et conforme à son âge et son sexe. Le bilan sanguin est réalisé à jeun et devrait comprendre : hémogramme, glycémie, bilan lipidique (triglycérides, cholestérol lié aux lipoprotéines de haute et de basse densité, total), créatine phosphokinase, thyréostimuline. Un dosage de la vitamine D peut mettre en évidence un déficit, à traiter par supplémentation tous les 3 mois.21 Le bilan sanguin est à renouveler de manière trimestrielle la première année, puis tous les 6 mois les années suivantes. L’électro­cardiogramme est à réaliser tous les 6 mois la première année, puis annuellement et en cas de changement de molécule antipsychotique. La fréquence des bilans de contrôle doit être adaptée aux résultats des examens complémentaires effectués et à l’évolution clinique (insuli­némie et HOMA-IR à discuter en cas d’apparition d’une obésité, par exemple).

Une grande vigilance est nécessaire

À ce jour, il est important de souligner que si certains effets indésirables des antipsychotiques sont mieux identifiés, ils restent mal connus dans leur fréquence et leur évolution pour la population pédiatrique. Cela nécessite une attention particulière sur leur tolérance, avec une vigilance accrue sur les effets indésirables neuromusculaires, cardiométaboliques et hormonaux. La surveillance de la tolérance est recommandée tout au long du traitement avec un relevé régulier de paramètres cliniques et paracliniques (biologiques et électrocardiographiques).
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Résumé

En France, comme dans le reste du monde, les prescriptions d’antipsychotiques augmentent chez l’enfant et l’adolescent. Les antipsychotiques sont fréquemment prescrits chez l’enfant et l’adolescent pour des troubles psychotiques et non psychotiques. Le taux de prescription effectué hors autorisation de mise sur le marché (AMM) s’étend de 36 à 93 % dans cette population. De plus, un nombre important d’effets secondaires sous antipsychotiques ont été rapportés dans la littérature. Les conséquences de ces effets secondaires sont encore insuffisamment documentées. En France, une étude nationale prospective sur 12 mois (ETAPE) réalisée en population pédiatrique exposée pour la première fois à un antipsychotique a montré un taux d’incidence d’effets secondaires élevé, une sévérité et la persistance de ces effets pendant toute la durée du suivi. Aussi une surveillance attentive et régulière, clinique et biologique, pendant toute la durée d’exposition au traitement est nécessaire afin d’adapter les décisions thérapeutiques en fonction de la balance bénéfice-risque.