Il semble maintenant établi que seuls les enfants génétiquement prédisposés peuvent devenir obèses ;1 ainsi les autres n'ont aucun risque de le devenir, quelles que soient leur alimentation et leur activité physique. Les formes monogéniques d’obésité secondaires à des mutations de gènes impliqués dans les voies de contrôle de l’appétit hypothalamiques sont bien moins rares qu’on ne le pensait auparavant. Les découvertes futures permettront probablement de mieux individualiser les gènes ou les réseaux de gènes à l’origine de l’obésité. Le rôle d’une programmation fœtale est possible mais demande encore à être démontré.
Le rôle central de la génétique limite les facteurs prédictifs d’obésité ultérieure aux paramètres qui permettent d’appréhender cette prédisposition avant son expression phénotypique. Sans en faire une fatalité, le pronostic de l’obésité est également déterminé par son origine génétique.
Distinguer facteurs prédictifs et facteurs de risque
Les facteurs prédictifs sont ceux qui permettent d’anticiper la survenue ultérieure de l’obésité. Ils ne doivent pas être confondus avec les facteurs de risque d’obésité, qui sont statistiquement associés à une probabilité accrue de devenir obèse sans qu’une relation directe de cause à effet soit toujours formellement démontrée.
Rebond d’adiposité précoce : unique véritable facteur prédictif d’obésité
L’indice de masse corporelle (IMC) augmente de la naissance à l’âge de 1 an, puis diminue jusqu’à 5-6 ans avant de remonter. C’est le rebond d’adiposité (
Dans les obésités monogéniques ou syndromiques connues, il est fréquent qu’il n’y ait pas de rebond d’adiposité, l’IMC augmentant donc sans s’infléchir depuis la naissance (
Impact des antécédents familiaux d’obésité
Compte tenu des composantes génétiques de l’obésité de l’enfant, l’existence d’antécédents familiaux, notamment chez les parents, est un facteur de risque majeur d’obésité.4 Les lois de la transmission génétique étant complexes, les antécédents existent parfois seulement chez les parents du deuxième voire du troisième degré et épargnent ceux du premier degré. Il est même possible de ne trouver aucune surcharge pondérale parmi les ascendants, des mutations de novo ou une étiologie syndromique pouvant alors être en cause.
D’autres facteurs prédictifs liés à la prédisposition génétique
Une prise de poids excessive de la mère pendant la grossesse5 et une accélération de la prise pondérale de l’enfant au cours des premières semaines de vie6 ont été associées à un risque ultérieur accru d’obésité. Elles traduisent dans les deux cas la prédisposition génétique à l’obésité, respectivement chez la mère et l’enfant, et ne sont donc en aucun cas responsables du développement subséquent de la surcharge pondérale. Leur prévention n’est donc pas efficace pour éviter l’installation de l’obésité.
Facteurs pronostiques de l’obésité de l’enfant
Les facteurs prédictifs de l’évolution pondérale après la mise en route du traitement ainsi que les facteurs déterminant le devenir à l’âge adulte des enfants obèses sont essentiels à prendre en compte.
Le pronostic de la prise en charge thérapeutique dépend notamment de facteurs socioculturels
La majorité des enfants pris en charge médicalement pour leur surcharge pondérale restent obèses à l’âge adulte.7, 8 Contrairement à une idée préconçue largement répandue, le pronostic pondéral à l’âge adulte ne dépend ni de la précocité de la prise en charge ni de son efficacité ou de sa durée pendant l’enfance.7 Il n’est donc pas nécessaire de prendre en charge un enfant obèse le plus précocement possible, il faut au contraire savoir attendre que ses capacités cognitives et sa motivation soient suffisantes pour endurer les contraintes d’un régime restrictif et résister à la faim qu’il entraîne inéluctablement. Un travail japonais montre bien que le maintien prolongé des consignes diététiques est le meilleur facteur prédictif des succès thérapeutiques à long terme.8 Il est ainsi rassurant de savoir qu’un échec thérapeutique durant l’enfance ne grève nullement le devenir pondéral à l’âge adulte. Cependant, cette attitude ne s’applique pas aux obésités syndromiques dont la prise en charge précoce peut permettre de ralentir la prise de poids.
Le pronostic à long terme du traitement de l’obésité dépend principalement de facteurs socioculturels. Le niveau socio-économique élevé des parents et le niveau d’études élevé de l’enfant (obtention d’un baccalauréat général) sont des facteurs pronostiques favorables.7 Cela signifie que plus un individu vit dans un milieu socialement favorisé, plus il est motivé pour maigrir. Cela explique en grande partie la plus faible prévalence de l’obésité dans les catégories socioprofessionnelles avantagées, et inversement. L’origine non européenne est en revanche un facteur pronostique péjoratif.7 Ce résultat souligne l’importance de la motivation culturelle dans la réduction de l’excès pondéral. En effet, dans les cultures où la surcharge pondérale est moins dévalorisée que dans nos milieux occidentaux, voire valorisée, les adolescents et jeunes adultes sont moins motivés pour s’imposer des régimes restrictifs pénibles. Cela explique probablement pourquoi les enfants obèses sont plus nombreux dans les couches les plus aisées dans les familles noires et amérindiennes aux États-Unis, alors que c’est l’inverse dans les familles blanches.9
Pronostic à l’âge adulte de l’obésité de l’enfant, peu dépendant de la prise en charge
Un tiers seulement des enfants obèses avant 7 ans le restent à l’âge adulte, cette proportion passe à 50 % entre 7 et 12 ans, pour atteindre les deux tiers après cet âge.10, 11
Trois informations intéressantes peuvent être tirées de ces résultats :
– premièrement, la grande majorité des enfants en surcharge pondérale avant 7 ans, et notamment avant 2 ans,10 perdent spontanément leur excès de poids, il ne faut donc pas s’évertuer à systématiquement vouloir les prendre en charge ;
– deuxièmement, quel que soit l’âge, une évolution spontanément favorable est possible. Il est probable qu’elle soit aussi génétiquement déterminée dans la mesure où une telle trajectoire est plus fréquente si l’un des parents a bénéficié de la même évolution ;
– troisièmement, la proportion d’adolescents restant toujours obèses à l’âge adulte est sensiblement identique, qu’ils soient pris en charge ou pas.7, 10, 11 Cela ne signifie pas que l’obésité est « une fatalité » mais étaie l’idée selon laquelle l’évolution pondérale est génétiquement programmée et qu’il est compliqué de maintenir sur le long terme une restriction énergétique cognitive, seule susceptible de contrecarrer durablement l’évolution naturelle de l’obésité.
Si les lésions artérielles pré-athéroscléreuses existent dès l’enfance chez l'obèse,12 elles sont réversibles et n’augmentent le risque d’accident vasculaire à l’âge adulte que si l’obésité persiste après l’adolescence.13, 14 Cela signifie que ni le traitement précoce des facteurs de risque vasculaires secondaires à l’obésité (insulinorésistance, intolérance au glucose, dyslipidémies) ni la réduction pondérale durant l’enfance n’influent sur le pronostic cardiovasculaire à l’âge adulte. Seule la perte de poids à l’âge adulte est susceptible de réduire ce risque vasculaire. Ces résultats, associés à ceux précédemment développés sur le pronostic pondéral, confirment qu’il n’y a aucune urgence à prendre en charge les enfants obèses, et donc à les dépister précocement.
Les recherches s’orientent vers les neuromédiateurs contrôlant l’appétit
Il existe des facteurs prédictifs fiables d’obésité ultérieure comme le rebond d’adiposité précoce, surtout en présence d’antécédents familiaux, mais la prise en charge thérapeutique n’influe pas sur le pronostic à l’âge adulte, quel que soit l’âge auquel elle est mise en place. Si on ajoute à ce constat les difficultés de maintenir sur le long terme un régime restrictif, seul moyen efficace pour combattre l’obésité, il semble indispensable de développer de nouveaux traitements. Compte tenu du rôle central de la génétique des neuromédiateurs qui contrôlent l’appétit, l’avenir repose indiscutablement sur la découverte de molécules corrigeant les effets de ces variants génétiques. Les premiers résultats dans cette voie sont particulièrement encourageants.3, 15
1. Tounian P. Programming towards childhood obesity. Ann Nutr Metab 2011;58 (Suppl. 2):30-41.
2. Rolland-Cachera MF, Deheeger M, Bellisle F, Sempé M, Guilloud-Bataille M, Patois E. Adiposity rebound in children: A simple indicator for predicting obesity. Am J Clin Nutr 1984;39:129-35.
3. Dubern B, Mosbah H, Pigeyre M, Clement K, Poitou C. Rare genetic causes of obesity: Diagnosis and management in clinical care. Ann Endocrinol 2022;83:63-72.
4. Aris IM, Bernard JY, Chen LW, Tint MT, Pang WW, Soh SE, et al. Modifiable risk factors in the first 1000 days for subsequent risk of childhood overweight in an Asian cohort: Significance of parental overweight status. Int J Obes (Lond) 2018;42(1):44-51.
5. Li S, Qiu Y, Yuan X, Zhang Q, Kilby MD, Saffery R, et al. Impact of maternal gestational weight gain in twin pregnancies on early childhood obesity risk: A longitudinal birth cohort study. Front Pediatr 2022;10:906086.
6. Elks CE, Loos RJ, Sharp SJ, et al. Genetic markers of adult obesity risk are associated with greater early infancy weight gain and growth. PLoS Med 2010;7(5):e1000284.
7. Ficheux L, Boelle P, Achtari O, Santos L, Tounian P. Facteurs prédictifs de l’évolution à long terme de l’obésité de l’enfant. Nutr Clin Metab 2009;23 (Suppl. 1):S58-9.
8. Togashi K, Masuda H, Rankinen T, Tanaka S, Bouchard C, Kamiya H. A 12-year follow-up study of treated obese children in Japan. Int J Obes Relat Metab Disord 2002;26:770-7.
9. Rubin R. Obesity tied to income, education, but not in all populations. JAMA 2018;319:540.
10. Whitaker RC, Wright JA, Pepe MS, Seidel KD, Dietz WH. Predicting obesity in young adulthood from childhood and parental obesity. N Engl J Med 1997;337:869-73.
11. Simmonds M, Llewellyn A, Owen CG, Woolacott N. Predicting adult obesity from childhood obesity: A systematic review and meta-analysis. Obes Rev 2016;17:95-107.
12. Tounian P, Aggoun Y, Dubern B, Varille V, Guy-Grand B, Sidi D, et al. Presence of increased stiffness of the common carotid artery and endothelial dysfunction in severely obese children: A prospective study. Lancet 2001;358:1400-4.
13. Juonala M, Magnussen CG, Berenson GS, Venn A, Burns TL, Sabin MA, et al. Childhood adiposity, adult adiposity, and cardiovascular risk factors. N Engl J Med 2011;365:1876-85.
14. Fan H, Zhu Q, Zhang X. Child excess weight status, adult excess weight status, and cardiometabolic risk profile. Front Pediatr 2020;8:301.
15. Clement K, Biebermann H, Farooqi IS, Van der Ploeg L, Wolters B, Poitou C, et al. MC4R agonism promotes durable weight loss in patients with leptin receptor deficiency. Nat Med 2018;24:551-5.