Comme l’a rappelé Mme Agnès Buzyn, alors ministre de la Santé, « la feuille de route s’inscrit dans la suite du rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) remis en janvier 2018 sur la chirurgie de l’obésité, pour améliorer la pertinence des interventions ainsi que le suivi des personnes opérées au regard des complications postopératoires ». Dans son discours fondateur du 8 octobre 2019 (lors de la 5e Journée régionale de l’obésité des centres spécia­lisés d’obésité d’Île-de-France, Paris), Mme la ministre a dévoilé clairement les intentions de son ministère : « encadrement de la chirurgie, recours raisonnable et raisonné à la chirurgie bariatrique, qu’il convient de réguler plus efficacement ». Les inspecteurs de l’IGAS1 avaient souligné que « le développement de la chirurgie bariatrique pose de sérieuses questions : une part des indications sans doute excessive ou mal posée, des lacunes significatives dans la préparation des personnes et dans le suivi postopératoire ». Ce rapport bien documenté présente un état des lieux de la prise en charge de l’obésité en France, bien au-delà de la seule chirurgie. Ses recommandations ont largement été reprises dans la feuille de route,2 et en particulier dans son axe 2 consacré à la chirurgie bariatrique et reprenant sept actions ciblées (encadré). Les deux messages en sont « régulation » et « pertinence ».

Principaux leviers

Réforme du régime des autorisations

Cette réforme, qui concerne l’ensemble de la chirurgie, permettra d’établir les critères d’autorisation des centres à exercer la chirurgie bariatrique. Seront ainsi définies des obligations en termes d’organisation de l’amont et de l’aval, des spécificités concernant le plateau médico-technique, l’environnement, les ressources humaines, le volume d’activité, le recueil de données et une gradation spécifique en fonction de la complexité de la prise en charge. Il est vraisemblable que ces critères se rapprochent de ceux demandés pour l’obtention du label SOFFCO-MM (Société française et francophone de chirurgie de l’obésité et des maladies métaboliques). Le plus impactant en est le nombre d’interventions en chirurgie de l’obésité (au moins 50 patients par an et par centre).

Rôle des centres spécialisés de l’obésité (CSO)

La formulation de l’action 10 est explicite : « Renforcer le rôle d’appui des centres spécialisés de l’obésité dans la chirurgie bariatrique, notamment pour l’organisation des réunions de concertation pluridisciplinaire de recours, afin de réguler les indications ». Le rapport de l’IGAS1 avait souligné que la gradation des soins était loin d’être une réalité. Chaque CSO aura une zone géographique précise à couvrir, sous l’autorité de son agence régionale de santé (ARS). Les CSO représentent le recours dans plusieurs situations :
– situations complexes (par exemple, les patients atteints d’obésité sévère et polycompliquée, transplantés ou dialysés, en situation de handicap, atteints d’obésité rare [notamment obésité monogénique], patient adolescent) ;
– prise en charge des complications chirurgicales graves.
Ils ont un rôle d’animation et de structuration de la filière « Obésité » sous l’égide des ARS. Ils pourront faciliter la formation continue des équipes chirurgicales et établir des partenariats reposant sur des conventions et des chartes de bonnes pratiques. Cette deuxième mission sera précisée et amplifiée dans le cahier des charges, en cours de révision (action 5, axe 1).

Parcours gradués, avant et après l’intervention chirurgicale

L’axe 1 est centré sur la structuration de parcours de soins gradués et coordonnés (action 3). Le chantier est complexe, car il s’agit de définir et de financer des parcours types en fonction des typologies de situation et selon de multiples critères. De nombreuses questions se posent : le modèle économique de ces parcours doit-il être global, incluant l’amont et l’aval ainsi que l’intervention chirurgicale elle-même ? Faut-il une coordination spécifique de ces parcours au niveau local ou faut-il les inclure dans une approche régionale ? Comment créer et gérer des forfaits de soins adaptés à la réalité du terrain ? Comment aborder en même temps la problématique des perdus de vue ?
Les expérimentations en cours dans le cadre de l’article 51 permettent de tester en vie réelle de nouveaux protocoles et schémas d’organisation. En cas de succès, ils sont destinés à être généralisés. Sur les dix projets financés à ce jour, trois sont consacrés à la chirurgie bariatrique et un propose une offre médicale et chirurgicale (Espace médical nutrition et obésité [EMNO]).3 Leur budget est conséquent : BARIA-UP (4 470,7 k€ par le Fonds pour l’innovation du système de santé [FISS]), OBEPAR (11 M€ par le FISS), PACO (3 877,5 k€ par le FISS et 655 k€ par le Fonds d’intervention régional [FIR]), EMNO (771 k€ par le FISS et 337,5 k€ par le FIR). Sans entrer dans les détails, ces projets fourniront des éléments majeurs pour analyser les aspects suivants :
– problématique de la coordination (solutions connectées, digitalisation du parcours, plateforme de coordination) ;
– accès à l’éducation thérapeutique ;
– participation et information du patient via une plateforme ;
– gestion des alertes (perte de poids trop rapide, reprise de poids, risque de carences nutritionnelles, compli­cations, perte de vue).
Chaque région choisira la solution la plus adaptée en fonction des moyens existants, de ses pratiques, des priorités de son ARS et des financements disponibles.

Travail en cours

Chirurgie métabolique : traitement chirurgical du diabète de type 2

La Haute Autorité de santé (HAS) s’est autosaisie de cette question (action 14) dont la légitimité repose sur de nombreuses études et sur des consensus d’experts internationaux. Une note de cadrage vient d’être publiée à ce sujet.4 Après en avoir établi le cahier des charges, il s’agit de définir la population potentiellement éligible (diabète de type 2 associé à une obésité modérée ou à un surpoids), estimée à environ 2 millions de personnes. La sécurité et l’accès à cette chirurgie sont les deux enjeux majeurs.

Réinterventions

La feuille de route demande une meilleure régulation des réinterventions rendues nécessaires du fait d’un échec (perte de poids insuffisante ou reprise pondérale) ou de complications. On voit ici le rôle de l’équipe médico-chirurgicale, comprenant un psychiatre spécialisé dans ce domaine et capable de proposer un parcours spécifique.

Actes innovants

Le but est d’« évaluer chaque acte innovant avant qu’il n’entre dans le panier de soins » mais aussi d’« enregistrer chaque acte au moyen d’un code spécifique ».

Points de vigilance

La chirurgie de l’obésité pour les moins de 18 ans « n’est à envisager que dans des cas très particuliers », comme l’a établi la HAS. La question pratique consistera à définir des centres de référence au niveau national ou dans chaque grande région.
Le partenariat patient-professionnels de santé est mentionné à différentes reprises dans la feuille de route. Il reste à lui donner une réalité.

Limites et perspectives

Les pièces du puzzle sont identifiées et presque toutes disponibles. Il reste à les assembler pour que la chaîne de soins soit cohérente, pertinente et efficiente. Cependant, le nombre de médecins compétents formés chaque année par le diplôme d’études spécialisées endocrinologie-diabétologie-­nutrition (DES EDN) est très insuffisant. Augmenter leur nombre est indispensable pour que se développent les équipes pluriprofessionnelles nécessaires pour le suivi au long cours des patients, en appui aux médecins traitants. Le développement rapide de nouveaux métiers (infirmier en pratique avancée) ou de nouvelles fonctions (infirmier de coordination) est également une nécessité.
La France a un taux de recours à la chirurgie bariatrique élevé, mais elle n’a pas encore mis en place les moyens indispensables à une prise en charge optimale. La structuration de l’offre de soins est devenue primordiale.5 La réduction du nombre de centres autorisés, le financement des parcours à l’issue de l’article 51 et la définition claire des bonnes pratiques (HAS) permettront des progrès majeurs. Comme le faisait remarquer le Pr Laurent Brunaud, le risque de réintervention après un bypass gastrique est 1,37 fois moindre si les patients sont opérés dans un centre réalisant au moins 200 chirurgies bariatriques annuelles.5 
Encadre

Actions de l’axe 2 de la feuille de route « Obésité » : renforcer la régulation de la chirurgie bariatrique pour une meilleure pertinence

Action 8 : mieux informer le patient de la nécessité d’une période de préparation avant chirurgie et d’un suivi postopératoire à vie, en cas de chirurgie bariatrique.

Action 9 : intégrer la chirurgie bariatrique et la chirurgie reconstructrice après chirurgie bariatrique aux travaux engagés dans le cadre de la réforme des autorisations.

Action 10 : renforcer le rôle d’appui des centres spécialisés de l’obésité dans la chirurgie bariatrique, notamment pour l’organisation des réunions de concertation pluridisciplinaire de recours, afin de réguler les indications.

Action 11 : rendre effectif un suivi médical au long cours après chirurgie bariatrique.

Action 12 : évaluer et valider, avant qu’il n’entre dans le panier de soins, chaque acte innovant.

Action 13 : décrire et adapter un parcours spécifique des patients réopérés en cas d’échec après chirurgie bariatrique.

Action 14 : actualiser les recommandations et préciser celles portant sur des cas spécifiques, en particulier la chirurgie chez les seniors, la chirurgie métabolique, mais aussi l’adaptation du suivi aux différentes techniques chirurgicales.

Références
1. Inspection générale des affaires sociales, Emmanuelli J, Maymil V, Naves P, Thuong CT. Situation de la chirurgie de l’obésité. Rapport. Tome I. Paris : IGAS, 2018. https://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/2017-059R_Tome_I_.pdf ; https://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/2017-059-resume_chir_obesite-D.pdf
2. Ministère des Solidarités et de la Santé. Prise en charge des personnes en situation d’obésité 2019-2022. Feuille de route. Paris : ministère des Solidarités et de la Santé, 2019. https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/feuille_de_route_obesite_2019-2022.pdf
3. Atlas du 51. Les expérimentations par région. Actualisation juin 2021. https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/atlas_du_51-_juin_2021.pdf
4. Haute Autorité de santé. Parcours obésité. Note de cadrage. Saint-Denis La Plaine : HAS, 2020. https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2020-03/note_de_cadrage_obesite.pdf
5. Brunaud L. Chirurgie bariatrique : les chirurgiens sont-ils responsables mais pas coupables ? Journal de chirurgie viscérale, 2017;154:234-5.

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