Parler de sa séropositivité est toujours une prise de risque. Stigmatisation et désocialisation menacent particulièrement les personnes migrantes, homosexuelles ou âgées, ce dont témoigne la forte prévalence des troubles psychiques et/ou de la précarité dans ces groupes.
Être infecté par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) en 2021 n’a pas les mêmes conséquences médicales, psychiques ou sociales qu’au tout début de la pandémie, dans les années 1980. Mais si la prise en charge et les traitements se sont beaucoup améliorés, les conséquences de cette infection restent lourdes pour les patients. Il y a toujours un « avant » et un « après » l’annonce et la dénomination : « être » séropositif indique combien la présence du VIH dans le corps d’une personne atteint son identité, son rapport aux autres.
Il faut, encore aujourd’hui, différencier le poids de l’atteinte pour les habitants des pays du Nord et ceux issus du Sud. Les conséquences de l’annonce de la séropositivité ne sont pas les mêmes pour un jeune homosexuel parisien et une migrante nouvellement arrivée en France. Pour les uns, outre les conséquences d’une maladie chronique, les difficultés à accepter et à faire accepter son orientation sexuelle ou son désir d’opérer une transition pour changer de genre sont à l’origine d’éventuelles difficultés psychiques. Pour les autres, l’accès aux soins souvent compliqué et la précarité participent également au surgissement d’affects dépressifs et de troubles anxieux.
En 2021, la pandémie de Covid-19 a bouleversé l’existence et les repères de la population générale : atteinte physique personnelle ou perte de proches, difficultés sociales liées à certaines situations professionnelles dégradées, problèmes affectifs ou psychiques liés aux conséquences directes et indirectes des périodes de confinement. Le retentissement de cette pandémie revêt quelques spécificités chez les personnes vivant avec le VIH (PvVIH).

Covid-19 et VIH : facteurs d’aggravations réciproques

L’épidémie de Covid-19 et l’infection par le VIH s’inscrivent dans le cadre d’une syndémie, un concept anthropologique selon lequel deux ou plusieurs épidémies qui interagissent en synergie augmentent la charge de morbidité dans une population. Leurs aspects biologiques, psychologiques et sociaux se renforcent pour alimenter la maladie Covid-19 et aggraver l’infection par le VIH à travers, par exemple, les difficultés d’accès aux soins.
Une équipe du New Jersey1 détaille ces interactions négatives en rappelant que « classiquement les PvVIH ont une probabilité accrue de souffrir de troubles mentaux et de consommation de drogues illicites. Les problèmes psychosociaux se manifestent à des taux élevés dans les populations marginalisées, notamment les minorités sexuelles et de genre, les minorités raciales et ethniques et/ou les pauvres ». Les auteurs précisent que, bien qu’il n’existe pas d’ensemble standard de facteurs psychosociaux impliqués, la méfiance à l’égard du système médical, la solitude, la stigmatisation et le désespoir pèsent dans la propagation des maladies transmissibles. De surcroît, pour les personnes issues de communautés pauvres et de communautés de couleur, qui constituent la majorité des participants à cette enquête, la distanciation physique n’est pas toujours possible du fait des conditions financières, des circonstances de logement ou de travail. Enfin, et cela participe du cadre syndémique, qui inclut les questions sociales, « les disparités économiques, associées à des conditions de logement plus mauvaises et à des problèmes de santé sous-jacents, expliquent probablement les taux de mortalité plus élevés dus à la Covid-19 constatés dans les communautés de couleur ».
Dans une autre enquête internationale2, menée entre juillet et novembre 2020 auprès de 249 PvVIH, un an après l’identification du premier cas de Covid-19, la difficulté d’accès au suivi médical, aux traitements, et la détresse psychosociale étaient significativement plus élevées chez les résidents des pays à revenu faible ou intermédiaire que chez ceux des pays à revenu élevé.

La stigmatisation aboutit à la discrimination

Dès 1987, Jonathan Mann, alors directeur du programme mondial de lutte contre le sida de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), expliquait que la stigmatisation et les discriminations auraient d’importantes conséquences sur la prise en charge du sida et parlait de la « troisième épidémie ». De facto, cette situation semble avoir très peu évolué, avec de lourdes conséquences pour les PvVIH en termes d’altération de la qualité de vie et de souffrance psychique.
La stigmatisation se construit par référence à une norme, repérée comme une caractéristique valorisée de la majorité. Elle est produite par un groupe dominant et s’applique à une population cible. L’appartenance à des groupes marginalisés (les travailleurs du sexe, les migrants, les consommateurs de produits illicites…) peut être à l’origine de ce que l’on appelle la stigmatisation intersectionnelle. Dans certains pays, l’infection par le VIH est un motif qui révèle des discriminations antérieures, par exemple la condamnation morale, religieuse et judiciaire qui frappe la prostitution, l’homosexualité, la transsexualité.
La stigmatisation aboutit à de la discrimination (mise à l’écart, perte des droits humains, difficultés d’accès aux soins, voire violences et agressions), à une perte de pouvoir social et à l’autostigmatisation.

La stigmatisation induit l’autostigmatisation, qui impacte la santé

L’autostigmatisation (internalized stigma) consiste à intérioriser l’étiquette péjorative posée par l’autre sur soi-même. Par exemple, certaines patientes considèrent leur corps comme impur, souillé, après avoir appris leur contamination… D’autres PvVIH vivent leur séropositivité comme la punition divine d’une conduite sexuelle considérée comme anormale (adultère, orientation sexuelle minoritaire), qu’elles sont elles-mêmes amenées à condamner. La personne adhère ainsi à la dépréciation dont elle est l’objet, elle partage les croyances, représentations et opinions qui justifient les mesures discriminatoires prises à son encontre. L’impact négatif de l’auto­discrimination sur l’observance au traitement antirétroviral (ARV) et l’incidence de la dépression sont significatifs. Il est difficile d’investir sa propre existence, donc de se soigner quand « on ne vaut rien », ou « moins que les autres ». La stigmatisation ou l’autostigmatisation génèrent des difficultés d’investissement dans les domaines affectif, amoureux, professionnel. D’autres enjeux apparaissent tellement importants – avoir un toit, être « toléré » dans la société –, que, pour ne pas être rejetés, certains patients ne peuvent pas se rebeller.3
Cela contribue au maintien du secret sur sa séropositivité, parfois auprès du conjoint ou du personnel soignant, ce qui rend le travail des médecins plus difficile et aléatoire, et favorise des erreurs ou des retards de diagnostic. Le droit à la discrétion peut être compromis par les modalités d’administration du traitement, en comprimés par exemple. L’arrivée des injections d’antirétroviraux de longue durée d’action pourrait participer à une meilleure confidentialité.

Migrants : les états de stress post-traumatique sont fréquents

Un certain nombre de patients sont issus de la migration. Les migrants constituent un ensemble hétérogène comprenant non seulement des personnes arrivées en France depuis une ou plusieurs décennies mais également des hommes et des femmes qui ont récemment « pris la route » pour l’Europe, à travers un périple souvent chargé d’expériences dramatiques. Rappelons qu’au 6 janvier 2020, selon l’Organisation internationale des migrations (OIM), 20 014 personnes ont trouvé la mort en mer depuis 20144, souvent anonymement, c’est-à-dire sans avoir été identifiées.5 Au cours de leur trajet migratoire, dans certains pays comme la Libye, les patients ont été victimes de traite, d’abus sexuels, d’utilisation de leur personne comme d’une chose. Parfois, les femmes arrivent enceintes après avoir été victimes de viols. L’occurrence des états de stress post-traumatique (ESPT) est importante, qu’il s’agisse des femmes ou des hommes. Avoir contracté le VIH dans de telles circonstances est un traumatisme majeur.
En France, la découverte de la séropositivité pour le VIH est bien documentée. Entre le 1er janvier 2019 et le 30 septembre 2020, les personnes hétérosexuelles nées à l’étranger totalisaient 37 % des découvertes de séropositivité déclarées.6
L’enquête Parcours a livré des résultats très importants : « Parmi 898 adultes infectés par le VIH nés dans un pays d’Afrique subsaharienne, nous avons estimé que 49 % d’entre eux en scénario médian et 35 % en scénario conservateur ont acquis le VIH après leur arrivée en France. Cette proportion était plus basse pour les femmes que pour les hommes (dans le scénario conservateur) et augmentait avec la durée du séjour en France. […] il apparaît nécessaire […] de mieux comprendre les déterminants de ces infections survenues en France ».7

Difficile accès aux soins dans les pays à revenu faible ou intermédiaire

La situation de la prise en charge des PvVIH issues de l’immigration dans leur pays d’origine est un facteur déterminant pour appréhender l’annonce de la séropositivité. Les difficultés d’accès aux soins et la persistance des phénomènes de stigmatisation/discrimination compliquent considérablement leur retour au pays.
En effet, dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, les conditions d’accès aux soins restent souvent très problématiques. En 2020, une équipe d’anthropologues de la santé a lancé un cri d’alarme.8 Devant la dégradation de la prise en charge de l’infection par le VIH en Afrique subsaharienne, ils évoquent une « quatrième épidémie » : fréquence des échecs thérapeutiques, manque de personnels formés et d’acteurs associatifs, diminution des moyens internationaux. Les conséquences en sont évidentes et connues par la population ; ces auteurs rappellent que, depuis quelques années, on observe en Afrique subsaharienne une progression constante des échecs thérapeutiques, souvent liés au développement de résistances virales. Au Cameroun, une étude menée en 2018 à l’échelon national9 a montré que 30 % des personnes traitées par ARV étaient en échec thérapeutique.
Lors de l’annonce du diagnostic, les discours médicaux qui consistent à mettre l’accent sur l’efficacité de la prise en charge en France, sur le caractère intransmissible du virus avec une charge virale indétectable et sur la possibilité de procréer sans que l’enfant soit contaminé se heurtent souvent à une sidération. En effet, les conséquences pour les personnes concernées, issues en particulier de l’Afrique subsaharienne, sont tout autres : difficulté à rencontrer un conjoint, inquiétude pour le statut sérologique d’enfants restés au pays, préoccupations liées à des grossesses entachées par la nécessité d’une prise en charge précise et spécialisée. Beaucoup de familles sont décomposées par la migration et/ou recomposées. Les enfants laissés derrière soi sont élevés par les proches, mais les structures familiales sont bousculées par la pauvreté et les évolutions sociétales, et leur situation est souvent fragile.

Les troubles psychiques compromettent l’intégration

Outre l’atteinte même par le VIH, d’après les travaux du Comité pour la santé des exilés (Comede)10, la prévalence globale des troubles psychiques graves s’élève à 16,6 % dans la population migrante, plus importante chez les femmes (23,5 %) que chez les hommes (13,8 %). Les deux tiers de ces troubles sont constitués de syndromes psychotraumatiques (60 %) et de traumatismes complexes (8 %), formes cliniques plus fréquentes parmi les demandeurs d’asile et les victimes de violences intentionnelles. Les symptômes gênent, voire empêchent, l’intégration : « Le retentissement fonctionnel de certains symptômes est très important. Plus de la moitié des exilés concernés, et particulièrement des demandeurs d’asile, sont handicapés dans leur vie quotidienne et leurs démarches administratives par des troubles de la concentration, de l’attention et/ou de la mémoire. »
Peu d’études se sont spécifiquement intéressées aux troubles anxieux chez les migrants, mis à part aux états de stress post-traumatique (ESPT). Un travail suisse11 a été mené chez différentes catégories de migrants : des demandeurs d’asile (n = 65), des réfugiés régularisés (n = 34), des migrants illégaux (n = 21). Des migrants de travail (n = 26) et des résidents suisses (n = 56) ont complété un questionnaire explorant les symptômes de stress post-traumatique, d’anxiété et de dépression ; 54 % des demandeurs d’asile et 41,1 % des réfugiés remplissent des critères d’ESPT. Les demandeurs d’asile rapportent plus souvent des symptômes d’anxiété (63,1 %) et de dépression (84,6 %), tout comme les migrants illégaux (47,6 % pour ces deux pathologies).
Une étude belge12 souligne que des femmes issues de l’immigration n’évoquent leur séropositivité qu’avec leurs soignants, en vue d’obtenir des soins et des traitements adéquats. Cette divulgation très sélective est principalement due aux tabous concernant le VIH en Afrique subsaharienne. La stigmatisation persiste, entraînant notamment une importante autostigmatisation. Surtout, cela met en relief des problèmes liés à la révélation d’une séropositivité, comme la violence du partenaire, l’abandon, l’humiliation et le rejet.

Les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes sujets à la dépression

Depuis le début de l’épidémie, les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) restent très impactés par l’infection par le VIH. Ils ont totalisé 43 % des découvertes de séropositivité entre le 1er janvier 2019 et le 30 septembre 2020.6 Par ailleurs, 13 % des séropositivités sont découvertes chez les jeunes (personnes de moins de 25 ans) et 21 % chez des personnes de 50 ans et plus.
Santé publique France a également recensé 185 découvertes de séropositivités entre 2012 et septembre 2018 chez des transgenres, dont 66 % en Île-de-France. La majorité (71 %) de ces personnes était née en Amérique du Sud (Brésil et Pérou), et 26 % de ces infections ont été découvertes à un stade avancé. Dans cette population également, le recours au diagnostic est insuffisant : 36 % des patients n’avaient jamais effectué de test de dépistage.
Dans le monde, le risque de contracter le VIH est 35 fois plus élevé pour les usagers de drogues injectables, 34 fois plus élevé pour les femmes transgenres, 26 fois plus élevé pour les travailleurs et travailleuses du sexe et 25 fois plus élevé pour les HSH que dans la population générale.13
Dans la plupart des travaux de recherche, l’étude des groupes témoins, appariés par des variables socio­démographiques et les autres facteurs de risque (addictions…), montre une prévalence élevée de la dépression chez les HSH, qu’ils soient séronégatifs ou séropositifs : comparée aux hommes de la population générale, elle est en effet multipliée par 17,2.14 D'autre part, une étude concernant les transgenres compte 62 % de personnes déprimées.15

Conséquences indirectes du Covid-19

L’enquête « Rapport au sexe » (ERAS), menée par Santé publique France du 30 juin au 15 juillet 2020, s’est intéressée à l’impact perçu de la crise sanitaire actuelle sur les conditions de vie, le recours aux soins spécifiques et les comportements sexuels des HSH durant la période du confinement.16 Au total, 8 345 HSH résidant en France ont été inclus dans l’analyse. Des impacts négatifs ont été observés au niveau économique, avec une dégradation de la situation financière de certains répondants.
L’impact est également perçu au niveau des consommations de produits psychoactifs et de la santé mentale, davantage que dans la population générale. Parmi les répondants, 35 % ont renoncé à des soins et 28 % ont reporté leurs dépistages de l’infection à VIH et des autres infections sexuellement transmissibles (IST). Enfin, 60 % des répondants n’ont pas eu de relations sexuelles avec des partenaires occasionnels et 59 % des utilisateurs de la prophylaxie préexposition (PrEP) l’ont arrêtée du fait d’une diminution de leurs rapports sexuels, indiquant non seulement le respect des mesures de distanciation sociale mais également l’interruption brutale des sociabilités sexuelles. Parmi les HSH séropositifs, un tiers (34 %) a reporté ou annulé une consultation spécialisée dans la prise en charge de l’infection par le VIH.

Les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles ou trans plus exposées aux addictions

La consommation de produits psycho­actifs et les addictions constituent des problèmes majeurs chez les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles ou trans (LGBT+). Selon une étude récente17, les personnes qui s’identifient comme LGBT+ seraient ainsi 2 à 5 fois plus susceptibles de consommer des drogues, de l’alcool ou du tabac que les personnes hétérosexuelles. Certains hommes gays pratiquent également le « chemsex », notamment en groupe. Contraction des termes anglais « chemical », produit chimique, et « sex », sexe, cette pratique allie consommation de produits psychoactifs et activités sexuelles, dans l’objectif de les prolonger et/ou de les intensifier. Les drogues du chemsex sont le plus souvent la cocaïne, le GHB/GBL, la kétamine, des méthamphétamines (crystal meth) ou des cathinones (méphédrone, 4-MEC, 4-MMC, etc.). On parle de « slam » quand les produits sont consommés par voie intraveineuse.
Une étude2 s’est notamment penchée sur la consommation récente de substances à usage récréatif par les PvVIH ; celle-ci a été signalée par 119 (48,2 %) des participants, dont 84 (70,6 %) consommant de l’alcool, 62 (52,1 %) du tabac, 29 (24,4 %) de la marijuana et 19 (16,0 %) de la cocaïne. La consommation de substances psychoactives a augmenté de 58,6 % à 67,2 % (p < 0,001) par rapport à avril 2020.

Des patients vivant avec le VIH de plus en plus âgés

En France, 21 % des personnes qui ont découvert leur séropositivité pour le VIH entre le 1er janvier 2019 et le 30 septembre 2020 étaient âgées de 50 ans et plus.6 La population séropositive est vieillissante et une étude néerlandaise18 estime en effet qu’en 2030, 39 % des PvVIH auront plus de 60 ans et 12 % plus de 70 ans. Du 1er juillet au 4 octobre 2015, un autoquestionnaire était accessible sur les sites internet de Sida Info Service et de Sida Info Plus, concernant la vie après 40 ans avec le VIH19 : 194 questionnaires ont été reçus et validés. Il faut noter que 91,7 % des participants sont préoccupés par la question du vieillissement, 96,4 % par l’impact des médicaments anti-VIH sur leur corps, et que certains ont des stigmates d’atteintes somatiques passées (stigmate : « marque durable que laisse sur la peau une maladie, une plaie. Toute marque, toute trace qui révèle une dégradation » [Larousse]).

La question de l’accueil en maison de retraite évoquée spontanément

Les témoignages font état d’une angoisse généralisée face « au traitement des personnes âgées ». Cette angoisse est accentuée par le fait de vivre avec le VIH, les représentations que l’infection draine, le tabou de la sexualité des personnes âgées, l’ignorance de beaucoup de personnels des modes de transmission du VIH, ce à quoi peut éventuellement s’ajouter une stigmatisation du fait de l’orientation sexuelle des PvVIH vieillissantes. L’affaiblissement des fonctions neuro­cognitives et l’augmentation de la charge de morbidité mentale des PvVIH âgées peuvent entraver l’efficacité des soins auto-administrés et diminuer l’autonomie.1

Précarité et difficultés financières majorent l’anxiété liée au vieillissement

Si les problématiques financières et la précarité ne sont pas l’apanage des PvVIH, elles peuvent être amplifiées par la pathologie (situation professionnelle impactée par des arrêts de travail pour maladie, stigmatisation et autodiscrimination aggravant l’isolement, etc.). Dans ces conditions, la question de « l’accès aux soins » se pose, bien sûr. À ce sujet, de nombreux témoignages soulignent une dégradation de la prise en charge (médicale, financière et sociale).

L’âgisme, manifestation de stigmatisation et de discrimination

Un concept qui date d’une cinquantaine d’années, « l’âgisme », précise la stigmatisation et la discrimination qui se construisent autour de l’âge, le plus souvent à l’égard des « jeunes » et des « vieux ». « L’âgisme est un processus par lequel des personnes sont stéréotypées et discriminées en raison de leur âge (jeunes ou vieux) et qui s’apparente à celui du racisme et du sexisme », expliquait le gérontologue Robert Butler, qui, en 1975, construisit ce concept.
L’âgisme se manifeste par divers éléments : des attitudes ou préjugés envers les personnes âgées ou le processus du vieillissement, des pratiques discriminatoires visant l’exclusion des aînés, des pratiques institutionnelles et politiques qui perpétuent les stéréotypes sur la base de l’âge. L’âgisme est souvent causé par un mécanisme de protection contre l’angoisse de la mort, qui crée un fossé social entre le « nous » et le « eux » (les vieux).
Un travail de chercheurs de Boston en évoque les conséquences.20 L’âgisme intériorisé peut altérer la santé mentale et physique, de même que les stéréotypes négatifs associés au vieillissement sont vécus comme une prophétie autoréalisatrice… Les auteurs recommandent de la prévention, de l’éducation des personnels et un travail social de proximité, mais surtout l’engagement des communautés. « La manière dont nous abordons les questions concernant le vieillissement des PvVIH pourrait alors servir de modèle pour traiter le vieillissement dans notre société en général », précisent-ils.

Différents facteurs fragilisent la santé mentale des aînés gays et lesbiennes

L’exposition à diverses formes de préjudices au cours de la vie, la gestion continue du dévoilement ou de la dissimulation de l’orientation sexuelle, le degré d’homophobie intériorisée ainsi que la solitude peuvent fragiliser la santé mentale des aînés gays et lesbiennes. Une étude américaine concernant 299 PvVIH âgées de plus de 50 ans21 incrimine également la solitude et la honte dans la genèse de la dépression et l’altération de la qualité de vie.
Une autre étude, menée à New York22 dans le cadre de la Research on Older Adults with HIV (ROAH), avec 914 séropositifs âgés de 50 ans ou plus, montre que 39,1 % des participants décrivent des symptômes de syndrome dépressif majeur (échelle de dépression CES-D [Center for Epidemiologic Studies-Depression], score supérieur ou égal à 23). Celui-ci était significativement associé à la stigmatisation liée au VIH, à une solitude accrue, à une atteinte cognitive et à de bas niveaux d’énergie.

Des évolutions insuffisantes

En 2021, bientôt quarante ans après l’apparition de l’infection par le VIH, la prise en charge des personnes atteintes nécessite non seulement une bonne connaissance de la maladie (constants progrès biomédicaux) mais également une sensibilisation aux difficultés spécifiques que rencontrent les PvVIH dans divers domaines.
Une dimension commune à tous les patients reste la stigmatisation et les discriminations. Comment comprendre qu’il n’y ait pas d’évolution significative dans ce domaine ? Parler de sa séropositivité constitue toujours une prise de risque quant aux réactions de l’interlocuteur. La situation des migrants, en particulier de ceux qui sont arrivés récemment en France, comporte souvent des difficultés sociales et psychiques.
Le parcours des personnes LGBT+ est également régulièrement semé d’embûches, qu’il s’agisse de l’acceptation de leur propre identité (genre, orientation sexuelle) ou de la persistance d’une stigmatisation à leur égard. Les progrès constatés relèvent souvent d’un engagement des communautés, dont la voix est indispensable.
Connaître les parcours de vie de nos patients, leurs problèmes sociaux, leurs troubles psychiques spécifiques enrichit la qualité de la prise en charge. Depuis son émergence, l’infection par le VIH a d’ailleurs été appréhendée par les médecins, plus généralement par les soignants, les travailleurs sociaux, les associations et les patients, dans toute sa complexité : médicale, psychique, sociologique et politique.
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Résumé

De tous ces éléments découlent de fortes prévalences des troubles psychiques et une éventuelle précarité sociale. La prise en charge des PvVIH doit être globale, elle nécessite de prendre en compte tous ces aspects, médicaux, psychiques, sociaux, et d’y associer les patients.