Une origine infectieuse du lymphome de Hodgkin a d’abord été suspectée. La fièvre, les sueurs et l’observation de clusters auraient en effet pu être la conséquence d’un agent infectieux. Sternberg pensait qu’il s’agissait d’une forme de tuberculose, et Reed d’un processus inflammatoire plutôt que d’une maladie maligne.1 L’implication du virus d’Epstein-Barr dans la survenue du lymphome de Hodgkin a également été suspectée, mais aucun lien de causalité directe n’a été démontré. L’étude du réarrangement des gènes des immunoglobulines et la mise en évidence de mutations somatiques non fonctionnelles ont permis de démontrer le caractère monoclonal des cellules Hodgkin/Reed-Sternberg et leur origine dans des lymphocytes B du centre germinatif. Au cours des années 2000, les mécanismes oncogéniques qui concourent à la survie et à la prolifération des cellules tumorales ont été reconnus.2

De la laparotomie à la tomographie par émission de positons

La laparotomie exploratrice avec splénectomie, introduite au début des années 1960, a été développée par l’université de Stanford alors que les oncologues pensaient pouvoir guérir les stades localisés sus-diaphragmatiques par radiothérapie exclusive, en se fondant sur le concept d’extension lymphatique par contiguïté. L’exploration chirurgicale de l’abdomen a été réalisée dans les essais cliniques de stades localisés de l’European Organisation for Research and Treatment of Cancer (EORTC) de 1972 à 1988. Il a fallu encore quelques années pour que cette pratique soit abandonnée par certaines équipes en France.
Avant l’ère de la tomodensitométrie (TDM), l’évaluation intrathoracique comportait une radiographie du thorax face et profil, des tomographies du médiastin pour déceler des adénopathies. La lymphographie pédieuse bilatérale permettait d’évaluer les territoires ganglionnaires du rétropéritoine, des relais ganglionnaires du médiastin chez certains patients et la terminaison du canal thoracique dans le confluent veineux jugulo-sous-clavier. L’avènement de la TDM et la disparition des radiologues entraînés à réaliser et interpréter la lymphographie ont contribué à son abandon. La radiographie du thorax a été maintenue dans le bilan initial, pour évaluer une atteinte médiastinale volumineuse, maintenant définie comme une masse d’au moins 10 cm sur la plus grande dimension mesurée au scanner. La tomographie par émission de positons au fluorodésoxyglucose (TEP-18FDG) est nécessaire pour le bilan initial. En routine, ni la radiographie du thorax ni la biopsie ostéomédullaire ne sont plus nécessaires.

Classification évolutive des stades et des facteurs de risque

En 1965, les classifications de Paris puis de Rye ont été largement acceptées en Europe et Amérique du Nord. En 1971, la classification d’Ann Arbor des lymphomes a défini quatre stades d’extension. La réunion de Cotswolds a permis d’intégrer les signes généraux et l’atteinte volumineuse. La classification d’Ann Arbor-­Cotswolds3 (encadré) est alors devenue la référence pendant quatre décennies. En 2011, des recommandations pour l’utilisation de la TEP lors du bilan initial des lymphomes et l’évaluation de la réponse au traitement ont été résumées dans la classification de Lugano4 (tableau).
Les essais cliniques de l’EORTC ont permis de définir, pour les stades localisés sus-diaphragmatiques, des facteurs de risque et des groupes de risque favorables et défavorables, qui ont été à la base de l’actuelle stratégie adaptée au risque.

Sept décennies de progrès thérapeutiques

Les essais cliniques menés en Europe et en Amérique du Nord depuis les années 1960 ont été sources de progrès, avec trois objectifs :
– définir et faire évoluer les traitements de référence adaptés au risque ;
– abandonner certaines pratiques importées d’Amérique du Nord, comme la laparotomie avec splénectomie, la radiothérapie exclusive ;
– éviter les stratégies atypiques et permettre aux équipes spécialisées de proposer aux patients un traitement au rapport bénéfice-risque optimal, à proximité de leur lieu de vie.

Chimiothérapie : des agents alkylants seuls aux protocoles multimolécules

La chimiothérapie par agents alkylants seuls a été utilisée entre 1943 et le début des années 1960. En 1963, des études cliniques avec vinca-alcaloïdes, procarbazine et la première combinaison de plusieurs médicaments changent la donne. En 1967, les premiers résultats du MOPP (méthylchloréthamine, vincristine [Oncovin], procarbazine, prednisone) montraient 80 % de rémission complète, mais environ 35 % de rechute à cinq ans ; un deuxième traitement par MOPP chez les patients en rechute a mis en évidence le concept de résistance. Au début des années 1970, la collaboration entre le National Cancer Institute à Bethesda et l’Institut du cancer de Milan a permis de développer l’ABVD (doxorubicine [Adriamycine], bléomycine, vinblastine, dacarbazine)sans résistance croisée avec le MOPP. L’alternance MOPP/ABVD développée par le groupe de Milan au début des années 1980, et le protocole MOPP/ABV hybride (doxorubicine, bléomycine, vinblastine à J8) développé par l’université de Vancouver ont été abandonnés en raison des risques de complications tardives. L’ABVD, avec un rapport bénéfice-risque élevé, lié au faible risque d’infertilité et de seconds cancers, est resté longtemps le seul protocole de référence. En 2003, le BEACOPP renforcé (bléomycine, étoposide, doxorubicine, cyclophosphamide, vincristine, procarbazine, prednisone), développé avec le concept de dose-intensité de la chimiothérapie initiale, est devenu un deuxième protocole de référence pour les stades localisés avec facteurs de risque et pour les formes avancées.

Optimisation de la radiothérapie

La radiothérapie a connu de nombreux progrès, avec l’amélioration des sources de radiations ionisantes et des techniques aujourd’hui sophistiquées, assistées par ordinateur. La réduction des volumes irradiés s’est faite en plusieurs étapes : arrêt de l’irradiation ganglionnaire totale ou subtotale sans le pelvis, puis sous-diaphragmatique et du mantelet, abandonnée depuis la fin des années 1990, pour ne traiter, après chimiothérapie, que les territoires initialement atteints. L’irradiation limitée aux ganglions initialement atteints, de développement plus récent, nécessite d’être mise en œuvre avec la TEP avant traitement, pour permettre le contourage précis des volumes cibles. Lorsque les techniques optimales d’imagerie (TEP avant traitement en position de radiothérapie) ne sont pas disponibles, l’irradiation des sites initialement atteints est recommandée.5 La réduction des doses initiales de 36 à 44 Gy a été possible après obtention d’une bonne réponse induite à la chimiothérapie. Une dose standard de 30 ou 20 Gy selon les situations est actuellement recommandée.

Stratégies évolutives pour une désescalade thérapeutique

Pendant sept décennies, la chimiothérapie et la radiothérapie ont été utilisées selon différentes stratégies. Les choix des équipes nord-américaines et européennes, d’abord très différents, ont évolué vers des consensus fondés sur les essais cliniques. La radiothérapie exclusive développée à l’université de Stanford a trouvé place dans les essais cliniques de l’EORTC pour les stades localisés sus-diaphragmatiques, puis abandonnée en 1999. La chimiothérapie exclusive a été réservée aux formes étendues et n’a pas été confirmée comme un standard pour toutes les formes localisées dans les essais récents comportant un traitement guidé par la TEP. Le traitement combinant chimiothérapie et radiothérapie a connu une histoire par étapes. Les stades localisés sus-diaphragmatiques ont été traités au début par les équipes outre-Atlantique par radiothérapie première et chimiothérapie adjuvante. Cette stratégie, adoptée dans l’essai EORTC-H1 avec la vinblastine après irradiation en mantelet, a laissé la place à la séquence chimiothérapie suivie de radiothérapie. Les stades étendus ont été traités en Europe pendant la période 1985-2000 par chimiothérapie suivie de radiothérapie selon diverses modalités. Pour les patients ayant une bonne réponse à la chimiothérapie, l’absence de bénéfice de la radiothérapie et ses risques à long terme ont conduit à définir la chimiothérapie seule comme traitement de référence.
La stratégie de traitement actuelle est adaptée aux facteurs de risque initiaux et à la réponse à la chimiothérapie, évaluée par la TEP précoce, permettant une désescalade thérapeutique dans les essais cliniques récents.

Premier cancer guérissable

Le lymphome de Hodgkin classique est un modèle en oncohématologie. Il a été l’un des premiers cancers guérissables. Les progrès résultent de sept décennies d’essais cliniques, avec un taux de guérison de l’ordre de 80 %, tous stades confondus. Les bases de données des essais cliniques ont permis les premières études de qualité de vie après cancer et sont analysées pour mieux comprendre les conséquences de la pathologie et des traitements sur la vie personnelle, familiale, sociale et professionnelle des survivants. Les possibles complications tardives cardiovasculaires, les seconds cancers, les risques infectieux ont été pris en compte dans les stratégies de traitement et la surveillance à long terme, qui ne doit plus s’interrompre à cinq ans. Les formes graves, réfractaires au traitement, représentent 2 à 10 % des cas selon les stades ; les rechutes, qui surviennent chez 10 à 30 % des patients, mobilisent les personnels soignants et la recherche. 
Encadre

Classification d’Ann Arbor – Cotswolds

Stade I : Atteinte d’une seule aire ganglionnaire ou d’une seule structure lymphoïde extra-ganglionnaire (IE)

Stade II : Atteinte de 2 aires ganglionnaires ou plus du même côté du diaphragme, éventuellement associée à une seule atteinte extra-ganglionnaire de contiguïté (IIE)

Stade III : Atteintes ganglionnaires de part et d’autre du diaphragme, éventuellement associée à une atteinte splénique (III S), atteinte d’un seul organe extra-ganglionnaire de contiguïté (IIIE)

Stade IV : Atteintes extra-ganglionnaires distinctes d’une localisation extra-ganglionnaire contiguë

A : Signes généraux absents

B : Présence d’un ou plusieurs signes généraux :

- Fièvre supérieure à 38 °C pendant plus d’une semaine sans infection documentée

- Amaigrissement de plus de 10 % du poids du corps au cours des six derniers mois

- Sueurs nocturnes profuses obligeant le patient à se changer

X : Masse tumorale volumineuse :

- Masse médiastinale de diamètre égal ou supérieur au tiers du diamètre transverse thoracique au niveau du disque intervertébral T5-T6 (rapport MT > 0,33 sur un cliché thoracique de face)

- Ou masse ganglionnaire égale ou supérieure à 10 cm

E : Atteinte d’un seul viscère contigu ou situé à proximité d’un territoire ganglionnaire atteint

Références
1. Kaplan HS. Hodgkin’s disease. 2nd ed. Cambridge, MA: Harvard University Press, 1983.
2. Mathas S, Hartmann S, Küppers R. Hodgkin lymphoma: Pathology and biology. Semin Hematol 2016;53(3):139-47.
3. Lister TA, Crowther D, Sutcliffe SB, Glatstein E, Canellos GP, Young RC, et al. J Clin Oncol 1989;7(11):1630-6. https://www.lymphoma-care.fr/boite-a-outils/classification-dann-arbor-costwolds/
4. Cheson BD, Fisher RI, Barrington SF, Cavalli F, Schwartz LH, Zucca E, et al. Recommendations for initial evaluation, staging, and response assessment of Hodgkin and non-Hodgkin lymphoma: The Lugano classification. J Clin Oncol 2014 ;32(27) :3059-68. https://www.lymphoma-care.fr/boite-a-outils/classification-dann-arbor-modifiee-par-lugano/
5. Specht L, Yahalom J, Illidge T, et al. Modern radiation therapy for Hodgkin lymphoma: Field and dose guidelines from the International Lymphoma Radiation Oncology Group (ILROG). Int J Radiat Oncol Biol Phys 2014;89(4):854-62.

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Résumé

Une origine infectieuse du lymphome de Hodgkin a été initialement suspectée. L’origine des cellules tumorales, les mécanismes oncogéniques permettant leur survie et leur prolifération sont de connaissance plus récente. Après l’abandon de la laparotomie exploratrice, les progrès de l’imagerie médicale ont été continus. Pendant sept décennies, les essais cliniques ont permis de définir les facteurs de risque, d’améliorer les traitements de référence avec une utilisation optimale de la chimiothérapie et de la radiothérapie. La stratégie adaptée au risque et à la réponse précoce à la chimiothérapie est nécessaire pour limiter les conséquences tardives des traitements.