Le développement de la communication orale chez l’enfant nécessite la perception d’informations auditives pertinentes. À partir de la naissance, les voies auditives centrales s’organisent par des connexions synaptiques qui sont possibles grâce aux stimulations venant des organes sensoriels auditifs. Ces connexions sont maximales dans les premières années de vie grâce à la plasticité cérébrale, qui décroît ensuite progressivement. Chez l’enfant sourd, l’absence ou le retard de la réhabilitation auditive compromet cette organisation et le développement de la communication orale. Lorsque la surdité est partielle, la réhabilitation auditive repose sur les prothèses auditives dont l’efficacité dépend de la capacité de l’oreille à coder les informations sonores amplifiées. Lorsque la surdité est importante, l’amplification acoustique n’est plus suffisante, et la réhabilitation auditive par implant cochléaire est envisagée. Ce dispositif comporte un faisceau d’électrodes placé dans la cochlée et qui stimule les voies auditives.
La première stimulation électrique de la cochlée a été réalisée à Paris en 1957, et les implantations sont devenues de pratique courante depuis les années 1990.1 L’expérience clinique montre que l’implant cochléaire permet de délivrer une information suffisamment pertinente pour qu’un enfant naissant avec une surdité profonde congénitale puisse développer une communication orale satisfaisante.

Qu’est-ce qu’un implant cochléaire ?

Il s’agit d’une prothèse implantable captant les informations sonores qui sont converties en micro-impulsions électriques délivrées dans la cochlée. L’implant cochléaire est composé d’une partie externe amovible et d’une partie implantée.
La partie externe comprend un compartiment pour piles ou batteries rechargeables, un microphone et un processeur électronique. Le processeur réalise le codage numérique des informations en découpant le signal en bandes fréquentielles, chaque bande correspondant au signal qui est délivré à chaque plot de stimulation placé dans la cochlée. Il transmet le signal codé à une antenne aimantée qui envoie le signal sonore et l’énergie à travers la peau à la partie interne sous forme d’impulsions électromagnétiques (fig. 1).
La partie implantée n’a pas de source d’énergie propre, elle est activée par la partie externe. Elle comporte un aimant qui permet la connexion avec la partie externe, un processeur qui reçoit le signal et le transforme en impulsions électriques. Ces impulsions sont délivrées à un réseau linéaire d’électrodes placées dans la cochlée. Le réseau comporte selon le type d’implant entre 12 et 22 électrodes qui stimulent les neurones du ganglion spiral dont les axones forment le nerf cochléaire. Chaque électrode délivre une stimulation correspondant à une bande fréquentielle qui a été déterminée par le processeur externe et qui respecte la tonotopie fréquentielle naturelle de la cochlée, les fréquences aiguës étant codées à la base de la cochlée, et les fréquences graves à l’apex.

Quel bilan avant l’implantation ?

Il est réalisé par l’équipe d’implantation pluridisciplinaire :
– le médecin oto-rhino-laryngologiste (ORL) mesure l’audition et entreprend le bilan étiologique de la surdité, qui comprend une tomodensitométrie des rochers pour éliminer une malformation de l’oreille interne, et une imagerie par résonance magnétique (IRM) cérébrale pour visualiser des nerfs cochléo-vestibulaires ;
– l’audioprothésiste vérifie que l’appareillage par prothèses auditives est optimisé, que le gain audioprothétique est cohérent avec la perte auditive ;
– l’orthophoniste évalue le mode de communication de l’enfant, son appétence à communiquer, son attention à l’environnement, fait un bilan vocal linguistique ;
– le psychologue évalue les prérequis de la communication de l’enfant, ses capacités cognitives, l’absence de traits psychotiques, l’adaptation des parents au handicap de l’enfant.
Une réunion de synthèse est réalisée par l’équipe, coordonnée avec le centre d’action médico-sociale précoce (CAMSP) qui prend en charge l’enfant.

Quelles indications ?

En 2009, les indications d’implantation cochléaire ont fait l’objet d’une publication au Journal officiel. Elles doivent être réalisées dans des centres référencés par les agences régionales de santé. Chez l’adulte, elle est indiquée lorsque l’intelligibilité est inférieure à 50 % à 60 dB, oreilles appareillées. Chez l’enfant sourd congénital, la compréhension ne peut pas être mesurée, et l’implantation est indiquée lorsque les prothèses auditives ne permettent pas le développement de la communication orale. Si les seuils auditifs avec prothèse auditive sont au-delà de 40 dB, ce qui correspond à une surdité sévère ou profonde, l’implant cochléaire est envisagé. Pour les surdités congénitales, l’implant doit être posé le plus tôt possible. Chez les enfants ayant une surdité évolutive et ayant développé un langage oral, il n’y a pas de limite d’âge. Lorsque les deux oreilles n’ont plus de bénéfice audioprothétique, il est possible de poser un implant bilatéral.

Mise en place, activation et suivi de l’implant cochléaire

Du fait de la proximité des liquides labyrinthiques avec les espaces méningés, une vaccination antipneumococcique est recommandée avant la chirurgie. L’intervention consiste à placer l’implant sous la peau rétro-auriculaire, à fraiser la mastoïde pour permettre un accès à la caisse du tympan, à insérer l’électrode dans la fenêtre ronde de la cochlée pour permettre son placement dans la rampe tympanique. L’insertion est le plus atraumatique possible pour éviter les lésions vestibulaires et parfois pour préserver certaines fréquences acoustiques encore fonctionnelles. Des tests électrophysiologiques vérifient la bonne impédance de chaque électrode et la bonne activation de la cochlée. Un cliché radiographique contrôle la position des électrodes (fig. 2). L’hospitalisation est ambulatoire ou de courte durée.
L’implant est activé entre 10 jours et 1 mois après l’intervention. L’activation consiste à placer la partie externe, et régler le processeur en affectant à chaque électrode une bande fréquentielle, et en déterminant une valeur minimale et une valeur maximale de stimulation, la différence entre les deux déterminant la dynamique. Plus la dynamique est importante, plus l’enfant peut utiliser une gamme d’intensité importante et recevoir un signal pertinent. Lors des premiers réglages, les niveaux d’intensité sont fixés à des valeurs faibles afin que la stimulation ne soit pas désagréable. Au fur et à mesure des réglages, les valeurs sont augmentées progressivement. Une dizaine de réglages sont nécessaires la première année, ils sont ensuite réalisés tous les 6 mois, puis tous les ans. L’enfant sera suivi toute sa vie. Si la partie interne présente une panne ou subit un traumatisme, elle doit être changée lors d’une réintervention. La durée de vie moyenne de la partie implantée est estimée entre 20 et 25 ans.
La réussite d’une implantation cochléaire est indissociable du travail de rééducation orthophonique qui doit l’accompagner. Ce travail doit débuter dès le diagnostic de la surdité, avant l’implantation, et se poursuivre pendant toute la scolarité de l’enfant. Il s’organise en coordination avec les équipes pluridisciplinaires des CAMSP. L’implantation s’inscrit dans un projet de développement d’une langue orale qui permet à l’enfant de percevoir et comprendre la parole et développer une expression orale. Pour quelques enfants implantés très précocement, l’oralisation se fait naturellement. Dans la majorité des cas, il faut du temps pour que l’implantation puisse donner une information auditive pertinente, et un soutien par une communication non auditive peut être utile. Il peut s’agir d’un appui par les signes de la « langue des signes française » ou par le « langage parlé complété » (LPC) qui utilise un code fait par les mains placées près du visage et qui exprime chaque phonème. Il permet une transition progressive vers l’oralisation.
Les équipes pluridisciplinaires des CAMSP entreprennent un travail de guidance parentale qui consiste à accompagner la famille sur la connaissance de la surdité, à adapter leur communication à son handicap.

Résultats des implants cochléaires chez l’enfant

L’expérience clinique de ces 25 dernières années a montré que lorsque l’implant est posé dans des indications favorables, il permet à l’enfant de développer la communication orale. Pour les surdités sévères profondes, les résultats de l’implant sont très nettement supérieurs à ceux des prothèses conventionnelles. Il permet de comprendre la voix, d’acquérir la parole, et l’insertion dans un cursus scolaire traditionnel. Dès l’activation, l’enfant perçoit des informations sonores. Les bruits de la vie quotidienne commencent à être reconnus après quelques semaines. Les éléments suprasegmentaux de la parole (rythme, durée, intensité) sont reconnus après quelques mois d’implantation. Après un an, l’enfant implanté reconnaît des syllabes et des mots proposés dans une liste fermée, puis progressivement la compréhension des mots et phrases devient possible hors contexte en liste ouverte.2
L’implant permet la mise en place de la boucle audiophonatoire et le développement progressif de la production vocale. Les études ont montré que les caractéristiques acoustiques de la voix d’enfants implantés précocement sont meilleures que celles d’enfants réhabilités par prothèses auditives et sont proches de celles d’enfants normo-entendants.3
Les progrès de la communication des enfants implantés leur permettent une intégration scolaire dans un cursus traditionnel pour 80 % d’entre eux, et la moitié accèdent à un cursus universitaire.4 Le niveau lexical, le décodage, la lecture, l’orthographe, la compréhension des tâches sont proches de ceux des enfants normo-entendants.5, 6
Il existe cependant une grande variabilité interindividuelle de résultats, et plusieurs facteurs expliquent ces différences. Les résultats à long terme de la compréhension, de la production vocale et de la scolarisation dépendent de l’âge d’implantation. Les études sont toutes convergentes et montrent des différences importantes entre chaque tranche d’âge d’implantation entre 1 et 5 ans, les enfants implantés plus jeunes ayant des résultats meilleurs.2 Après 5 ans, l’implant ne permet plus d’accéder à une communication orale de bonne qualité.
Les autres facteurs influençant les résultats sont les facteurs environnementaux comme les facteurs sociaux et l’investissement de l’entourage familial, qui est positivement corrélé aux scores perceptifs et d’intelligibilité. La rééducation orale précoce ou en LPC a également un effet positif.6
Outre le bénéfice en termes de communication, l’implant permet le développement cognitif de l’enfant, et notamment son quotient intellectuel. Il permet l’acquisition de compétences sociales comme l’appétence à la communication, la socialisation et l’autonomie.7 La mesure des scores de qualité de vie montre que ceux des enfants implantés sont proches de ceux des normo-entendants dans le domaine du bien-être physique, de la vie de famille, de la vie scolaire. Ils restent plus faibles pour l’humeur générale et la relation avec les amis.8
Lorsque l’implantation est bilatérale, la stimulation binaurale peut favoriser le développement de la stéréophonie, avec une meilleure localisation sonore spatiale et une meilleure compréhension dans le silence et dans le bruit par rapport à une stimulation unilatérale.9

Quelles en sont les limites ?

Le faisceau d’électrodes qui est placé dans la cochlée comporte entre 12 et 22 électrodes et remplace les milliers de cellules ciliées. L’implant ne peut pas donner une audition aussi naturelle qu’une cochlée fonctionnelle et délivre une sensation sonore plus artificielle.
Alors que les résultats sont très favorables chez les enfants sourds profonds implantés jeunes, sans anomalie associée, certaines situations cliniques comme les malformations, les neuropathies auditives, les fibroses ou l'ossification de la cochlée, les handicaps associés, les difficultés sociales peuvent contre-indiquer l’implant ou limiter les résultats.
L’aplasie de Michel est une malformation où la cochlée est totalement absente, ce qui interdit l’insertion du réseau d’électrodes. Dans les malformations mineures de la cochlée, les résultats sont proches de ceux des enfants implantés sur une cochlée morphologiquement normale. Dans les malformations majeures, les résultats sont sensiblement inférieurs. La cochlée peut être de taille insuffisante pour recevoir le faisceau d’électrodes, et le couplage entre les électrodes et le tissu sensoriel peut être aléatoire. Certaines communications entre le fond de la cochlée et le conduit auditif interne exposent au risque opératoire de fuite de liquide cérébrospinal lors du geste opératoire.10 Lorsque l’IRM montre une agénésie du nerf cochléaire, l’implant est contre-indiqué. Si le nerf est hypoplasique, une implantation peut se discuter, mais les résultats perceptifs sont habituellement dégradés.
Une fibrose ou une ossification de la cochlée peuvent survenir rapidement après une méningite bactérienne. L'implantation doit alors être réalisée avant l’obstruction complète de la cochlée. Il s’agit de la seule indication d’implantation en urgence. Si les électrodes ont pu être placées correctement, les résultats sont satisfaisants. Si l’ossification est avancée, l’insertion des électrodes peut être partielle, et les résultats sont habituellement décevants. Lorsque l’ossification est complète, l’insertion est impossible, et la question se pose de l’implant du tronc cérébral ; ce dispositif comporte un faisceau d’électrodes qui est placé au contact du noyau cochléaire sur le plancher du quatrième ventricule ; les résultats sont sensible­ment moins bons que ceux de l’implant cochléaire et ses indications sont très rares chez l’enfant.
La surdité profonde peut être associée à d’autres handicaps. S’il s’agit d’un trouble visuel, celui-ci conforte l’indication d’implantation pour permettre à l’enfant de développer la perception spatiale de son environnement sonore. Dans les situations de retard mental, de trouble psychologique ou psychiatrique, les troubles cognitifs peuvent limiter les résultats. Lorsque le retard est modéré, l’implant peut aider la communication de l’enfant. Dans les retards sévères, le bénéfice peut être inexistant.
Ces situations doivent être examinées au cas par cas par l’équipe pluridisciplinaire. Lorsque des résultats limités sont attendus, l’indication doit être bien discutée avec la famille et le CAMSP. L’implant peut donner des informations partielles permettant d’identifier l’environnement sonore et aider à une communication visuelle, mais l’implantation et ses limites doivent rester en cohérence avec le projet global de communication de l’enfant.

Développer la communication orale

L’implant cochléaire permet chez l’enfant sourd de délivrer une stimulation acoustique suffisamment pertinente pour développer la communication orale. Sa mise en place nécessite un bilan et une prise en charge multidisciplinaire et doit être suivie de réglages et d’une rééducation prolongés. L’implant permet la compréhension du langage, le développement de la parole et la scolarisation. La précocité de la mise en place est un élément essentiel de bon pronostic. Dans les malformations du nerf ou de la cochlée, les ossifications de la cochlée, certains handicaps associés, l’implant peut donner des résultats limités ou être contre-indiqué.
Références
1. Chouard CH. The early days of the multi channel cochlear implant: efforts and achievement in France. Hear Res 2015;322:47-51. 2. Dettman SJ, Dowell RC, Choo D, et al. Long-term communication outcomes for children receiving cochlear implants younger than 12 months: a multi-center study. Otol Neurotol 2016;37:e82-e95.3. Guerrero Lopez HA, Mondain M, Amy de la Bretèque B, Serrafero P, Trottier C, Barkat-Defradas M. Acoustic, aerodynamic, and perceptual analyses of the voice of cochlear-implanted children. J Voice 2013;27:523. 4. Venail F, Vieu A, Artieres F, Mondain M, Uziel A. Educational and employment achievements in prelingually deaf children who receive cochlear implants. Arch Otolaryngol Head Neck Surg 2010;136:366-72.5. Blanchard M, Célerier C, Parodi M, et al. Long-term results after cochlear implantation: Schooling and social insertion of teenagers and young adults. Eur Ann Otorhinolaryngol Head Neck Dis 2016;133:S40-3.6. Colin S, Ecalle J, Truy E, Lina-Granade G, Magnan A. Effect of age at cochlear implantation and at exposure to Cued Speech on literacy skills in deaf children. Res Dev Disabil 2017;71:61-9.7. Le Maner-Idrissi G, Barbu S, Bescond G, Godey B. Some aspects of cognitive and social development in children with cochlear implant. Dev Med Child Neurol 2008;50:796-7. 8. Razafimahefa-Raoelina T, Farinetti A, Nicollas R, Triglia JM, Roman S, Anderson L. Auto et hétéroévaluation de la qualité de vie des enfants implantés cochléaire. Eur Ann Otorhinolaryngol Head Neck Dis 2016;133:31-5.9. Vincent C, Bébéar JP, Radafy E, et al. Bilateral cochlear implantation in children: localization and hearing in noise benefits. Int J Pediatr Otorhinolaryngol 2012; 76:858-64.10. Loundon N, Rouillon I, Munier N, Marlin S, Roger G, Garabedian EN. Cochlear implantation in children with internal ear malformations. Otol Neurotol 2005;26:668-73.

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Résumé

Depuis la naissance, le développement des centres auditifs centraux n’est possible que grâce aux stimulations sensorielles provenant des cochlées. Chez un enfant ayant une surdité congénitale sévère ou profonde, la pose d’un implant cochléaire peut être envisagée lorsque les seuils auditifs sont trop bas pour permettre une réhabilitation par prothèses auditives conventionnelles. Ce dispositif comporte une partie externe qui capte et analyse le signal sonore, le transmet à une partie interne implantée chirurgicalement qui comporte un faisceau d’électrodes placées dans la cochlée, et permettant l’activation des voies auditives centrales. L’implantation est réalisée dans un centre multidisciplinaire. Elle est suivie de nombreuses séances de réglages permettant d’augmenter progressivement l’intensité de la stimulation. Elle est accompagnée d’une rééducation orthophonique prolongée. L’expérience clinique depuis 25 ans a montré que l’implant cochléaire permet de développer une communication orale et de permettre une insertion scolaire traditionnelle dans la majorité des surdités sévères et profondes congénitales. L’implantation précoce est un facteur important de bon résultat. L’implant donne des résultats limités ou peut être contre-indiqué en cas d’ossification ou fibrose de la cochlée, de malformation complexe de l’oreille interne, de neuropathie auditive, de handicaps associés.