Alors qu’une première loi en faveur des personnes handicapées avait été promulguée dès 1975,1 force est de constater que ses effets dans le champ de l’éducation se sont avérés limités. On ne détaillera pas ici les motifs de cet échec relatif, on peut cependant pointer les délais et les freins qui ont conduit notamment à la création de classes d’intégration scolaire du 1er degré (CLIS) dans les années 1990, représentatives de la nouvelle politique promue par la loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989. Le droit à l’éducation y est garanti pour tous, et l’intégration des enfants handicapés dans le milieu ordinaire y est favorisée, qu’il s’agisse d’intégration individuelle en classe ordinaire ou collective dans les CLIS ou encore les unités pédagogiques d’intégration (UPI) pour le second degré. Cela impliquait déjà, ce faisant, la collaboration des ­secteurs de l’éducation, de la santé et du médicosocial.
C’est ainsi que se déploient à partir de cette même ­période les services d’éducation spéciale et de soins à ­domicile (SESSAD), dispositifs ambulatoires qui contribuent à l’intégration d’élèves jusque-là exclus du système scolaire. Pour autant, c’est bien la loi2 de 2005 qui, prolongeant les principes de celle de 1975, conduira à une accélération substantielle de l’accueil d’enfants en situation de handicap à l’école. Le fait est que cette nouvelle loi s’appuie sur une définition du handicap qui faisait défaut jusqu’ici, à savoir que « constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive, d’une ou plusieurs fonctions physiques, ­sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant ». On ­entend bien qu’il est question ici de situation de handicap, dans une vision environnementale, quand l’accent mis traditionnellement sur le déficit ou la déficience cantonnait le terme « handicap » au médical. Cela s’accompagne, dès lors, du principe du droit à la compensation et à ­l’accessibilité pour toute personne reconnue handicapée. C’est donc le droit à l’éducation, à la formation professionnelle, au travail. Dans le cadre de l’école, c’est l’inscription dans l’établissement scolaire de son secteur (inscription administrative dans un établissement de référence), l’accès aux compensations (aides financières, techniques et humaines) permettant de réaliser son projet de vie à travers la mise en œuvre d’un parcours de formation, plus individualisé et dynamique que ne l’étaient les filières relativement étanches au sein de l’Éducation nationale ou, encore une fois, dans les secteurs sanitaires et médicosociaux.
La reconnaissance de la personne handicapée, l’évaluation de ses besoins, l’ouverture de ses droits, les prises de décision la concernant relèvent désormais d’un organisme unique, la maison départementale des personnes handicapées (MDPH), administrée par une commission exécutive, la commission des droits et de l’autonomie de la personne handicapée (CDAPH), sous l’égide du conseil général. Ce sont maintenant des partenaires issus des associations des personnes handicapées, des organismes de financement, de l’État, du département qui pilotent la mise en œuvre du projet de vie de la personne handi­capée ; le projet personnalisé de scolarisation (PPS)3 en constitue l’un de ses volets.
À noter cependant que dans le cas des troubles des apprentissages, il peut être mis en place un plan d’accompagnement personnalisé (PAP), qui détermine des aménagements pédagogiques au sein de la classe lorsque le recours à la MDPH ne s’avère pas nécessaire (pour un accompagnement humain, l’octroi d’un ordinateur, l’orientation en unités localisées pour l’inclusion scolaire, ULIS [v. infra]). Le PAP est demandé par l’équipe enseignante ou la famille et est validé par le médecin scolaire qui constate les troubles après examen et, le cas échéant, le recueil d’éléments médicaux ou paramédicaux.

Et en pratique ?

La réalité de terrain reste cependant en retrait des textes de loi, ne serait-ce que pour la rédaction du projet personnalisé. En effet, il incombe en principe à la MDPH de rédiger le PPS à destination des familles et des partenaires. L’encombrement des MDPH à la suite des demandes exponentielles et le manque de moyens invitent à déléguer cette synthèse aux acteurs de terrain que sont les « enseignants référents ». Ces derniers sont des enseignants spécialisés dont la mission est consacrée au suivi des élèves en situation de handicap sur un secteur géographique donné. Ils organisent et dirigent les réunions de suivi des élèves, qui rassemblent les partenaires qui lui sont associés (parents, professionnels du soin, de l’éducatif, du scolaire…), l’élève lui-même le cas échéant.
Ces équipes de suivi de la scolarité (ESS) se réunissent en principe une fois par an au minimum pour faire le point sur chaque situation. Elles peuvent être sollicitées par l’un ou l’autre des partenaires de l’élève. Il y est question d’apprécier les besoins éducatifs particuliers de l’enfant et de discuter de son projet scolaire, d’évaluer la mise en œuvre du PPS tel qu’il a été défini au fil de sa scolarité. Un document y est rédigé au travers d’un formulaire standardisé à destination de la MDPH, la grille d’évaluation scolaire (GEVA-Sco). On y adjoint les éléments nécessaires à l’évaluation des besoins (traces écrites de l’élève, bilans des professionnels, comptes-­rendus divers, etc.) sur la base desquels la MDPH ­prolonge, modifie ou ouvre de nouveaux droits à compensation. En amont de la reconnaissance de handicap, c’est l’équipe éducative (sous la responsabilité du directeur de l’établissement scolaire) qui assure ce travail de partenariat et d’information à destination de la MDPH, l’enseignant référent n’y est pas nécessairement impliqué. L’ensemble des pièces remontant du terrain, les éléments médicaux ou paramédicaux complémentaires pourront donner lieu : à des aides financières, allocations d’éducation (AEEH) et prestations compensatoires (PCH) ; à des aides techniques (pouvoir bénéficier d’un ordinateur en classe, par exemple) ; à des aides humaines, à savoir l’accompagnement par une auxiliaire de vie scolaire (AVS), dont le statut a évolué et qui s’appelle désormais accompagnant des élèves en situation de handicap (AESH) ;4 à des aides pédagogiques (adaptation des supports, limitation des écrits, aménagement de l’emploi du temps…) et à des orientations vers des dispositifs collectifs d’inclusion scolaire, par exemple.
Pour ce qui est de l’accueil des élèves en situation de handicap à l’école, plusieurs possibilités existent, qui se sont construites au fil du temps, oscillant entre scolarisation individuelle en classe ordinaire, scolarisation dans un établissement scolaire au sein d’un dispositif spécifique, temps de scolarisation partagés entre établissement sanitaire ou médico-social et établissement scolaire, scolarisation au sein d’un établissement sanitaire ou médicosocial.
L’inclusion individuelle en classe ordinaire est majoritaire. D’après les études statistiques de l’Éducation nationale,5, 6 sur environ 410 000 enfants et adolescents en situation de handicap en 2018, 340 000 sont scolarisés en milieu ordinaire, contre 80 000 en milieu spécialisé (établissements hospitaliers et médicosociaux), en considérant que 10 000 environ sont à temps partagé entre ces deux entités. Sur l’ensemble des élèves scolarisés en milieu ordinaire, environ 240 000 le sont en inclusion individuelle, 100 000 en ULIS. La volonté politique renouvelée de privilégier la scolarité en milieu ordinaire a conduit à créer, en sus des aménagements divers pour l’inclusion individuelle, des dispositifs permettant d’accueillir en particulier des élèves qui relevaient jusqu’alors de structures hors l’école. Cela a permis de différer dans bien des cas l’accueil d’élèves dans les structures médico-sociales, en impliquant davantage les partenaires de soins ambulatoires ; de même que cela a favorisé, plus exceptionnellement, le passage de structures médicosociales vers l’école au gré de l’évolution des enfants. On a donc vu se développer, aux côtés de la classe ordinaire, les dispositifs collectifs que sont les ULIS,7 regroupant, à l’école élémentaire, au collège et au lycée, des élèves partageant peu ou prou un handicap donné : ULIS TFC (troubles des ­fonctions cognitives ou mentales) ; ULIS TSLA (troubles spécifiques du langage et des apprentissages) ; ULIS TED (troubles envahissants du développement) ; ULIS TFM (troubles de fonctions motrices) ; ULIS TFV (troubles de la fonction visuelle) ; ULIS TFA (troubles de la fonction auditive) ; ULIS TMA (troubles multiples associés).
Mais les troubles du psychisme, bien que reconnus par la loi de 2005 et relativement fréquents dans le champ du handicap, n’ont pas fait l’objet d’une catégorie d’ULIS (exception faite à Paris), ce qui ne laisse pas d’interroger la difficulté dans laquelle l’institution scolaire se trouve à travailler avec ce public particulier. Ces unités sont sous la responsabilité d’un enseignant spécialisé, qui coordonne les activités pédagogiques des élèves qui y sont accueillis avec l’aide d’un accompagnant collectif, et parfois d’accompagnants individuels supplémentaires. Ces dispositifs ont vocation à favoriser l’inclusion de tous les élèves au sein des classes ordinaires de l’école selon des objectifs et des modalités individualisés. Au lycée, certaines ULIS sont implantées dans des lycées professionnels, elles proposent de rendre accessibles pour les élèves qui y sont accueillis les formations ­professionnelles dudit lycée et d’un ou plusieurs autres lycées professionnels alentour, d’assurer un accompagnement vers l’insertion professionnelle.8
À ces unités d’inclusion scolaire relevant de l’Éducation nationale, il faut ajouter les unités d’enseignement (UE) du secteur médicosocial et sanitaire,9 dispositifs de scolarisation soit internes à ces établissements, soit externalisés dans les établissements scolaires. Elles existent depuis un décret de 2005 mais peinent à se conformer aux attendus de l’enseignement ordinaire et à mettre en œuvre de véritables projets de scolarisation des enfants concernés. Un rapport datant de 2014 a pointé ces difficultés et proposé des préconisations,10 la situation évolue favorablement, avec en particulier la création d’unités d’enseignement externalisées TED (troubles envahissants du développement) prévues lors du 3e Plan autisme. Elles sont le fruit d’une coopération entre les établissements sanitaires et médicosociaux (ESMS) et l’Éducation nationale, elles permettent une prise en charge conjointe et précoce de ces troubles, assurant un meilleur pronostic dans l’évolution de ces enfants ayant d’importants retards dans la communication.
Dans le même esprit, les établissements accueillant des enfants et des adolescents ayant des troubles du comportement, mais dont les aptitudes cognitives sont préservées, les instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (ITEP),11 ont vocation à travailler avec les établissements scolaires de leur secteur afin de favoriser l’inclusion scolaire de leurs élèves dans les meilleures conditions pour les réinscrire dans un parcours qui leur permettra de préparer leur insertion professionnelle future. Ces multiples avancées dans le domaine de la scolarité des élèves en situation de handicap ont certes contribué à une augmentation très importante de leur accueil au sein des établissements ­scolaires, mais beaucoup reste à faire cependant pour que la qualité de cet accueil soit à la hauteur des attentes des familles et des élèves, mais aussi du corps enseignant.

Inclusion scolaire, un parcours en devenir

À une logique d’intégration qui invitait l’enfant ou l’adolescent à se faire une place au sein d’un environnement scolaire globalement inchangé, indifférent aux différences, se substitue aujourd’hui le principe général de l’école inclusive.12 En d’autres termes, cette école se veut apte à offrir à chacun la possibilité de s’y développer, avec ses besoins éducatifs particuliers, et ce au-delà même du champ du handicap, afin d’accéder au même titre que ses camarades à une citoyenneté pleine et entière. Cela ne va pas sans quelques contradictions dans les faits, sinon dans les termes. L’inclusion est à proprement parler l’envers de l’exclusion, elle suppose une vigilance et des ­modalités pratiques à tous les niveaux du tissu social et institutionnel. Les enseignants sont confrontés chaque jour à la difficulté de prendre en compte les besoins d’un nombre grandissant d’élèves en situation de handicap ou simplement en difficulté ; le manque de formation, la rigidité et les exigences des programmes et des évaluations, la médicalisation croissante des problématiques d’apprentissage et/ou de développement qui échappent en grande partie à leurs référentiels professionnels,13 l’absence de modalités d’échange avec les partenaires de soin ou sociaux sont autant de freins à un processus d’inclusion que chacun peut souhaiter.
L’ensemble des dispositifs décrits plus avant14 ne saurait suffire, c’est maintenant dans la communauté des pratiques, dans une coopération de terrain favorisée entre les différentes sphères de l’éducatif et du soin, que peuvent se dessiner des parcours de vie plus harmonieux. 
Références
1. Loi n° 1975-534 du 30 juin 1975, loi d’orientation en faveur des personnes handicapées.
2. Loi n° 2005-102 du 11 février 2005, loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation à la citoyenneté des personnes handicapées.
3. Circulaire n° 2006-126 du 17 août 2006, mise en œuvre et suivi du projet personnalisé de scolarisation. Elle est abrogée et remplacée par la circulaire 2016-117 du 8 août 2016.
4. Art. 124 de la loi de finances 2014 modifiant le code de l’éducation.
5. Ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse. Pour la première fois, un regard sur les parcours à l’école primaire des élèves en situation de handicap. DEPP, rapport 2016. www.education.gouv.fr ou https://bit.ly/3fRQyLs
6. Les principales filières de la rentrée 2018. https://bit.ly/2yYUSI3
7. Circulaire 2015-129 du 21 août 2015 relative aux unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS), pour la scolarisation des élèves en situation de handicap dans le premier et le second degré.
8. Circulaire n° 2016-186 du 30-11-2016. La formation et l’insertion professionnelle des élèves en situation de handicap.
9. Décret n° 2005-1752 du 30 décembre 2005 relatif au parcours de formation des élèves présentant un handicap (article 14).
10. Les unités d’enseignement dans les établissements médicosociaux et de santé. Rapport, décembre 2014. https://bit.ly/2LrEjHd Unités d’enseignement en établissement ou service médicosocial ou établissement sanitaire. Décret n° 2009-78 du 2-4-2009. Arrêté du 2-4-2009.
11. Décret 2005-11 du 6 janvier 2005 fixant les conditions techniques d’organisation et de fonctionnement des instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques ; art. D. 312-59-1.
12. Loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République. Art. L. 111-1 du code de l’éducation.
13. Morel S. La médicalisation de l’échec scolaire. Paris : La Dispute, coll. L’enjeu scolaire, 2014.
14. Caraglio M. Les élèves en situation de handicap. Paris : PUF, coll. Que sais-je ?, 2017.

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Résumé

L’école inclusive suppose un processus général d’adaptation du milieu scolaire mais aussi sanitaire et médicosocial, aux besoins éducatifs particuliers des élèves dans la perspective de leur participation citoyenne à notre société. Cela s’est construit dans le champ du handicap dès la promulgation de la loi du 11 février 2005, qui a mis en place les bases de l’accompagnement des élèves dans leur parcours scolaire et de formation professionnelle. L’Éducation nationale a déployé de nombreux dispositifs à chaque échelon de son organisation pour accueillir un nombre toujours croissant d’élèves jusque-là exclus du système. C’est désormais à des changements structurels sur le plan des relations entre les secteurs sanitaire, médicosocial et de l’Éducation nationale que dépend le devenir de ce processus d’inclusion que chacun appelle de ses vœux.