L’institut Alfred-Fournier fête ses 100 ans en 2023. Créé à l’instigation de la Ligue nationale française contre le péril vénérien, initialement pour prendre en charge les patients atteints d’infections sexuellement transmissibles – et en premier lieu la syphilis –, il a depuis élargi ses activités.
La syphilis, affection connue en Europe depuis le XVe siècle, est apparue en France après les campagnes militaires en Italie. Ceci explique l’expression de « mal napolitain » qui lui est attribuée par les Français, mais aussi celle de « mal français » choisie par les Italiens. C’est Fracastor, médecin italien, qui a proposé le nom de syphilis. Au XIXe siècle, la syphilis était très répandue dans le monde, et les traitements de l’époque, basés sur le mercure et l’arsenic, avaient une efficacité modérée mais des effets indésirables assez importants. En France, les Prs Philippe Ricord, Jean-Alfred Fournier et Édouard Jeanselme ont consacré la plupart de leurs travaux à cette maladie et ont participé à la création d’organismes de recherche comme la Ligue nationale française contre le péril vénérien, qui deviendra l’institut Alfred-Fournier.
Un institut désormais centenaire
L’institut Alfred-Fournier fête ses 100 ans en 2023. En effet, il a ouvert ses portes en mai 1923, dans le but de pouvoir mieux prendre en charge les patients atteints de maladies vénériennes, qui commençaient à encombrer les consultations de l’hôpital Saint-Louis, où se trouvait le siège de la Ligue nationale française contre le péril vénérien. Mais l’inauguration officielle n’a eu lieu qu’un an après, en présence d’un grand nombre de personnalités du monde médical : représentants de l’Institut Pasteur (Pr Levaditi), de la faculté de médecine de Paris (Pr Balthazard), de l’Académie nationale de médecine (Pr Achard) ainsi que de nombreux médecins français et étrangers, spécialistes de dermatologie et de maladies vénériennes, comme Gougerot, Queyrat, Darier, Milian, Nicolas, Favre, Ehlers, von Jauregg, etc. Malgré l’invitation, aucune personnalité politique n’a pu se déplacer en raison de l’assassinat, quelques jours auparavant, de Paul Doumer, président de la République.
La syphilis, un fléau mondial
Cet institut a été créé à l’instigation de la Ligue nationale française contre le péril vénérien, émanation de la Société de prophylaxie sanitaire et morale, créée en 1901 par le Pr Jean-Alfred Fournier (fig. 1 ). La syphilis était, à l’époque, un véritable fléau, atteignant de très nombreuses personnes de tous les milieux, en particulier les militaires (fig. 2 ), les marins et les hommes politiques.1 La contamination était rapide, et les conséquences durables : « Deux minutes avec Vénus et deux ans avec le mercure ! »2 La maladie évoluait souvent vers des complications neurologiques graves, voire mortelles (tabès, paralysie générale), et les traitements par le mercure et l’arsenic étaient mal tolérés.
Créée en 1919 par les Prs Louis Queyrat, Édouard Jeanselme et Gaston Milian, la Ligue nationale française contre le péril vénérien, dont le premier président fut le Pr Jeanselme, s’est développée en installant des centres de dépistage et de traitement dans les grandes villes et en diffusant diverses affiches de prévention contre la syphilis, concernant sa mortalité (fig. 3 ) ou son retentissement sur la famille. Ses activités de dépistage, de soins, de recherche et d’enseignement se développant, la Ligue a souhaité pouvoir les regrouper en un même lieu à Paris. Après cinq ans de préparation et de construction, elle a donc proposé la création d’un bâtiment unique et a quitté l’hôpital Saint-Louis pour s’installer dans ces nouveaux locaux, qui ont coûté 100 millions de francs de l’époque, somme récoltée par le Pari mutuel. En 1995, la Ligue nationale française contre le péril vénérien a modifié ses statuts et a pris le nom d’« institut Alfred-Fournier », car la syphilis était la pathologie majeure étudiée dans ce nouveau bâtiment, et Alfred Fournier, décédé quelques années auparavant, avait consacré sa vie à cette affection. De ce fait, tous les documents du Pr Fournier (notes, articles, croquis de lésions, ouvrages) ont été transférés au sein de l’institut qui porte désormais son nom.
Créée en 1919 par les Prs Louis Queyrat, Édouard Jeanselme et Gaston Milian, la Ligue nationale française contre le péril vénérien, dont le premier président fut le Pr Jeanselme, s’est développée en installant des centres de dépistage et de traitement dans les grandes villes et en diffusant diverses affiches de prévention contre la syphilis, concernant sa mortalité (
Centre de référence des infections sexuellement transmissibles
Cet institut regroupait à l’origine des locaux de consultation, différents laboratoires de dépistage et de recherche (Dr Weismann), avec une animalerie, un amphithéâtre de cours, une salle de travaux pratiques (Dr Paris-Hamelin) et une bibliothèque. Le premier président de l’institut fut le Pr Édouard Jeanselme, dermatologue très impliqué dans le diagnostic et le traitement de la lèpre et des maladies vénériennes.3 Le directeur administratif fut le Dr Justin Sicard de Plauzoles (fig. 4 ), lui aussi très attaché à la prophylaxie de la syphilis, car, disait-il, « la contagion présente des ricochets inattendus : elle passe du lupanar infâme au foyer de la famille, au lit de la femme la plus pure et elle frappe les enfants innocents jusqu’à la deuxième ou troisième génération ».4 L’institut, reconnu d’utilité publique en 1934, devient très vite un « pôle d’excellence » sur les différents aspects de la syphilis et des maladies vénériennes. Centre collaborateur de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), son enseignement de l’immunologie et des maladies vénériennes, sous la direction du Dr Catalan, puis du Pr Coulaud, a attiré de nombreux médecins français et étrangers.
Actuellement, tout en gardant une compétence particulière sur les maladies sexuellement transmissibles, l’institut Alfred-Fournier a élargi ses champs d’action : médecine générale, infectiologie, maladies tropicales, vaccinations, dermatologie, gynécologie, gastro-entérologie, andrologie, endocrinologie, etc. Dernièrement, l’institut Alfred-Fournier a très activement participé aux campagnes de vaccinations contre le SARS-CoV-2 puis contre le virus Mpox.
L’institut compte près de 130 collaborateurs, répartis sur deux sites parisiens : l’un situé boulevard Saint-Jacques, Paris 14e (fig. 5 ), et l’autre rue Pétion, Paris 11e. Ce dernier, créé à la demande de la Mairie de Paris, regroupe des cabinets médicaux et dentaires. Ces deux centres accueillent environ 140 000 consultants chaque année. Les maladies infectieuses, et en particulier les infections sexuellement transmissibles (IST), restent la spécificité de l’institut Alfred-Fournier depuis sa création. Elles sont prises en charge par les infectiologues, les andrologues (Dr Jean-Marc Bohbot, ancien directeur médical de l’institut) et l’équipe spécialisée du centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD) – le plus grand centre privé de Paris –, assurant dépistage, traitement, prévention des IST et tout particulièrement de l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), avec la prophylaxie préexposition, et les différents aspects de la santé sexuelle. Les prélèvements et les soins sont assurés par les infirmiers et les examens biologiques par un laboratoire de haute technicité très orienté sur le diagnostic des maladies infectieuses. Ce laboratoire est dirigé par le Dr Agathe Goubard, par ailleurs directrice médicale de l’institut Alfred-Fournier.
Actuellement, tout en gardant une compétence particulière sur les maladies sexuellement transmissibles, l’institut Alfred-Fournier a élargi ses champs d’action : médecine générale, infectiologie, maladies tropicales, vaccinations, dermatologie, gynécologie, gastro-entérologie, andrologie, endocrinologie, etc. Dernièrement, l’institut Alfred-Fournier a très activement participé aux campagnes de vaccinations contre le SARS-CoV-2 puis contre le virus Mpox.
L’institut compte près de 130 collaborateurs, répartis sur deux sites parisiens : l’un situé boulevard Saint-Jacques, Paris 14e (
Jean-Alfred Fournier : premier syphiligraphe
Le Pr Jean-Alfred Fournier (1832-1914) a commencé sa carrière à l’hôpital du Midi (à l’emplacement de l’actuel hôpital Cochin), dans le service des maladies vénériennes, dirigé par le Pr Ricord. Il présente sa thèse en 1860 sur « La contagion syphilitique ». Nommé médecin des Hôpitaux, il exerce d’abord à l’Hôtel-Dieu, puis à l’hôpital pour femmes atteintes de maladies vénériennes de Lourcine (à l’emplacement de l’actuel hôpital Broca), enfin à l’hôpital Saint-Louis jusqu’en 1890.5 Il est élu à l’Académie de médecine et nommé commandeur de la Légion d’honneur. Il reçoit de nombreuses décorations françaises et étrangères.
Il a institué le nom de syphiligraphe pour les médecins s’occupant particulièrement de cette affection6 et a démontré le rôle de la syphilis dans le tabès et la paralysie générale,7 s’opposant sur ce sujet aux neurologues de l’époque, comme Charcot ou Duchenne de Boulogne. Il décrit la syphilis congénitale en 1883, mais est persuadé, à tort, de l’existence de la syphilis héréditaire, qui, selon lui, serait responsable de « la dégénérescence de l’espèce humaine ».8 Cette notion de syphilis héréditaire n’est pas retenue dans les années suivantes. Par ailleurs, il a précisé les notions d’infection grave des parties génitales, qui deviendra la « gangrène de Fournier ».9 Il a publié de nombreux articles et ouvrages sur la syphilis, et en particulier le Traité de la syphilis, en trois volumes,10 considéré longtemps comme l’ouvrage de référence sur cette maladie.
En 1946, un timbre avec son portrait est édité (fig. 6 ), avec une surtaxe de 3 francs destinés à la lutte contre les maladies vénériennes.
Ainsi, tout en conservant sa vocation première de prévention, diagnostic et traitement des infections sexuellement transmissibles, l’institut Alfred-Fournier s’est largement diversifié pour s’adapter aux pathologies actuelles et il accueille quotidiennement des patients atteints de maladies diverses.
Il a institué le nom de syphiligraphe pour les médecins s’occupant particulièrement de cette affection6 et a démontré le rôle de la syphilis dans le tabès et la paralysie générale,7 s’opposant sur ce sujet aux neurologues de l’époque, comme Charcot ou Duchenne de Boulogne. Il décrit la syphilis congénitale en 1883, mais est persuadé, à tort, de l’existence de la syphilis héréditaire, qui, selon lui, serait responsable de « la dégénérescence de l’espèce humaine ».8 Cette notion de syphilis héréditaire n’est pas retenue dans les années suivantes. Par ailleurs, il a précisé les notions d’infection grave des parties génitales, qui deviendra la « gangrène de Fournier ».9 Il a publié de nombreux articles et ouvrages sur la syphilis, et en particulier le Traité de la syphilis, en trois volumes,10 considéré longtemps comme l’ouvrage de référence sur cette maladie.
En 1946, un timbre avec son portrait est édité (
Ainsi, tout en conservant sa vocation première de prévention, diagnostic et traitement des infections sexuellement transmissibles, l’institut Alfred-Fournier s’est largement diversifié pour s’adapter aux pathologies actuelles et il accueille quotidiennement des patients atteints de maladies diverses.
Références
1. Thibierge G. La syphilis et l’armée, Masson, 1917.
2. O’Shea JG. Two minutes with Venus, two years with mercure as an antisyphilitic chemotherapeutic agent. J Roy Soc Med 1990;83:392-5.
3. Tilles G, Wallach D. Edouard Jeanselme (1858-1935). Bull Soc Hist Med 1943;27:195-200.
4. Sicard de Plauzoles J. La lutte contre les maladies vénériennes, Publications sociales agricoles, 1943.
5. Gougerot H, Brodier L. L’hôpital Saint-Louis et la clinique d’Alfred Fournier. Peyronnet 1932, 140 p.
6. Androutsos G, Vladimiros L. Le fondateur de la syphiligraphie Alfred Fournier (1832-1914) et sa lutte contre la syphilis. Andrologie 2007;17(1):80-7.
7. Todoyan N. Jean-Alfred Fournier (1832-1914): his contribution to dermatology. Our Dermatol Online 2015;4:486-91.
8. Waugh MA. Alfred Fournier, 1832-1914. His influence on venereology. Brit J Vener Dis 1974;50(3):232-6.
9. Fournier JA. Gangrène foudroyante de la verge. Semin Med 1883;3:345-8.
10. Fournier JA. Traité de la syphilis. Rueff, 1898-1906.
2. O’Shea JG. Two minutes with Venus, two years with mercure as an antisyphilitic chemotherapeutic agent. J Roy Soc Med 1990;83:392-5.
3. Tilles G, Wallach D. Edouard Jeanselme (1858-1935). Bull Soc Hist Med 1943;27:195-200.
4. Sicard de Plauzoles J. La lutte contre les maladies vénériennes, Publications sociales agricoles, 1943.
5. Gougerot H, Brodier L. L’hôpital Saint-Louis et la clinique d’Alfred Fournier. Peyronnet 1932, 140 p.
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9. Fournier JA. Gangrène foudroyante de la verge. Semin Med 1883;3:345-8.
10. Fournier JA. Traité de la syphilis. Rueff, 1898-1906.