L’informatisation des établissements de santé ne cesse de gagner du terrain, des quantités suffisantes de données sont désormais disponibles et permettent à l’intelligence artificielle d’entrer en jeu. Là où l’esprit humain n’est pas adapté pour gérer de telles quantités d’informations, les algorithmes prennent le relais. Un impact possiblement fort est à attendre pour les disciplines médicales dont la « matière première » est déjà du code numérique telles que la radiologie, la dermatologie ou l’ophtalmologie. L’intelligence artificielle va ainsi bousculer le quotidien du médecin en s’emparant de plus en plus d’activités jusqu’alors réalisées par le praticien telles que le diagnostic de certaines maladies, par exemple. Cela étant, les solutions technologiques n’apparaissent pas à un niveau de maturité suffisant pour se substituer complétement à l’intervention humaine, du moins pour le moment.
Le temps libéré par l’intelligence artificielle va ainsi permettre, notamment, au médecin de consacrer plus de temps aux aspects relationnels au contact du patient. Cela nécessite de renforcer certaines compétences, déjà très développées chez certains médecins, comme l’écoute du patient, la pédagogie dans l’explication d’un diagnostic, la capacité à conseiller, et de faire de la prévention, l’éducation thérapeutique du patient... Le médecin interviendra également plus fortement dans les cas les plus complexes qui passeront à travers les canaux de l’intelligence artificielle tels que certaines maladies rares où l’on ne possède pas encore un patrimoine de données suffisant pour alimenter les algorithmes. Tel un pilote de ligne, le médecin doit être en mesure de faire les « checks » pour reprendre la main, si nécessaire.
Sur le plan des ressources humaines, il est intéressant de dissocier trois dimensions de compétences :1 le savoir, le savoir-faire et le savoir-être. Tandis que la première dimension a été profondément bouleversée avec l’apparition d’Internet, la profusion et la démocratisation de l’accès à l’information médicale qui en découle, le savoir-faire était quant à lui préservé. Le savoir-faire se définit comme une habileté à mettre en œuvre son expérience et ses connaissances acquises dans un art ou un métier quelconque, en l’occurrence le métier de médecin. Or cette dimension, jusqu’à présent réalisée exclusivement par l’homme, se trouve désormais en concurrence avec l’intelligence artificielle. Le métier de médecin va alors devoir se réinventer à travers de nouveaux savoir-faire en interaction avec la machine et un recentrage fort sur le savoir-être. Cette dernière dimension est, à ce jour, encore propre à l’homme car elle touche à ce que l’on appelle l’intelligence émotionnelle. L’intelligence artificielle mettra plus de temps à aller sur ce dernier champ.
L’intelligence artificielle crée ainsi une rupture dans l’évolution du métier de médecin. Les progrès remarquables de la médecine depuis la seconde moitié du xxe siècle ont instauré une prééminence du concept de la maladie sur celui du malade,2 autrement dit du savoir et du savoir-faire sur le savoir-être. L’une des compétences majeures du médecin est jugée comme étant sa capacité à établir le bon diagnostic pour orienter le patient vers le bon traitement. Les besoins psychiques, comportementaux et socioculturels ont été, à tort, considérés comme secondaires et vont ainsi être remis au cœur du métier. L’intelligence artificielle va tendre à homogénéiser la qualité de la plupart des diagnostics sur l’ensemble du territoire. Les attentes du patient vont ainsi migrer sur la qualité de prise en charge et de son accompagnement sur le plan humain. C’est possiblement une véritable refonte du pacte social du métier de médecin qui est en jeu, processus déjà à l’œuvre dans d’autres pays.3
Les effets profonds du recours à un dispositif d’intelligence artificielle ou de robotisation sur les conditions de l’exercice médical doivent donc être anticipés le plus possible. Des démarches spécifiques sur l’intelligence artificielle – comme celle portée par l’initiative Ethik-IA – ou plus générales sur les transformations digitales – avec notamment le travail du think tank #Leplusimportant – y contribuent. Dans ce contexte, l’investissement dans la régulation du déploiement de l’intelligence artificielle et de la robotisation doit pouvoir être reconnu, s’agissant de l’exercice en établissement, comme une nouvelle forme d’exercice de la responsabilité sociale d’entreprise4 et, plus largement, comme un engagement citoyen au service d’un développement social durable. Ce faisant, l’intelligence artificielle ne remplacera pas l’humain mais permettra de conforter sa place dans le système de santé. 
V
Références
1. MonBlogRH. Les rapports entre savoir, savoir-faire et savoir-être, mai 2012. http://blogressourceshumaines.blogspot.com/2012/05/les-rapports-entre-savoir-savoir-faire.html
2. Conseil national de l’Ordre des médecins. Évolution du métier de médecin. Commission nationale permanente adopté lors des Assises du CNOM, juin 2001. www.conseil-national.medecin.fr ou https://bit.ly/2Px3AVa
3. Association médicale du Québec (AMQ). La profession médicale : vers un nouveau contrat social ? AMQ, avril 2015. www.amq.ca ou https://bit.ly/2z4sPUr
4. Ethik-IA. Le numérique, l’IA et la robotisation responsable : pour une reconnaissance de la RSE digitale ! Note de cadrage, février 2018.