L’information, concept essentiel

Plus que toute autre révolution issue de l’innovation, la transformation numérique modifie profondément et particulièrement rapidement les contextes politiques, sociaux, scientifiques technologiques, culturels, éthiques et moraux qui nous entourent.
De tout temps, sciences et technologies se sont fondées sur les concepts fondamentaux de la matière, de l’énergie et du vivant, donnant lieu à des innovations et des progrès issus principalement de la physique, de la chimie, de la médecine, de la biologie et des mathématiques. Curieusement, alors que le concept d’information est central et omniprésent, la science de l’information et de ses traitements, l’informatique, n’est apparue en tant que telle que récemment.1 En fait, toute entité reçoit, transmet, transforme et stocke de l’information. Or cette information peut être représentée numériquement de manière uniforme, et les traitements que nous pouvons lui appliquer sont à l’origine de la révolution numérique dans laquelle nous sommes plongés. Le terme « numérique » désigne donc génériquement l’ensemble des éléments issus des sciences, technologies, innovations et usages intégrant en particulier l’informatique, la robotique et de larges parts des mathématiques et de l’électronique.
L’information est un concept essentiel également au cœur de l’humain : nous sommes un système de traitement de l’information et bien sûr nous ne sommes pas que cela. Depuis l’ADN en passant par nos cellules, nos organes, nos corps, nos organisations, nous mémorisons, communiquons et traitons de l’information. Typiquement, la lecture de ce texte, le fonctionnement d’un organe, un raisonnement mené pour comprendre une situation sont des traitements, souvent absolument non élémentaires, d’information. Le numérique est donc fondamentalement et de plus en plus pratiquement au cœur même de l’ensemble du système de santé. Cette situation absolument nouvelle de partenariat entre deux systèmes de traitement de l’information, l’humain et – celui que nous avons créé – le numérique, explique l’importance donnée dans les propositions de l’avis 129 du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) aux interactions entre numérique et santé et aux enjeux éthiques qui en découlent.

Algorithme, programme et ordinateur

Un algorithme est la description d’une suite d’actions. Une recette de cuisine est un algorithme, exprimée avec plus ou moins de précision. L’école nous a appris à calculer le résultat de la multiplication de 123 par 321 par un algorithme précis. Un algorithme peut être exprimé en langage naturel, par des schémas ou des diagrammes décrivant par exemple le montage d’un meuble acheté en kit, ou dans des formalismes spécifiques plus ou moins formels.
Lorsque l’on souhaite exprimer un algorithme pour qu’il soit mis en œuvre par un ordinateur, on utilise un langage de programmation. Il existe des milliers de ces langages dont quelques dizaines comme Java, Caml, Python, Fortran ou C sont largement utilisés aujourd’hui pour exprimer des programmes.
Ces programmes permettent de décrire à un ordinateur, idéalement sans ambiguïté, la suite des traitements élémentaires qu’il doit exécuter. On exprime ainsi des traitements de l’information simples comme calculer 1+1 et d’autres sophistiqués comme le pilotage d’un avion de ligne, la gestion des flux sur le réseau internet ou la visualisation et l’analyse du résultat d’une imagerie par résonance magnétique
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Intelligences : humaine, artificielle, logicielle

Tout algorithme contient des connaissances : elles peuvent être élémentaires comme dans « Imprime Hello World », assez simples comme dans la description d’une recette de cuisine, ou beaucoup plus élaborées comme pour les algorithmes décrivant le pilotage d’un avion. Elles sont issues de l’intelligence humaine, dans laquelle l’apprentissage, l’élaboration et l’utilisation de connaissances jouent un rôle majeur.
Dans ce contexte, définir le terme « intelligence artificielle » initialement introduit par John McCarthy en 1956 en particulier à la suite des travaux fondateurs d’Alan Turing2 « n’est pas une chose simple et si l’on prend une approche large, elle couvre une très grande partie de l’informatique. L’ambiguïté commence avec le mot intelligence. Ce terme peut être pris en référence à l’intelligence humaine, faisant de l’intelligence artificielle la science de l’imitation du raisonnement humain, ou dans une acceptation performative celle de prendre des bonnes décisions en fonction d’une reconnaissance efficace d’un environnement ».3
Les connaissances utilisées ou élaborées par les systèmes numériques découlent des connaissances initialement implantées dans un algorithme et des informations captées dans l’environnement du système. Comme pour l’humain, l’apprentissage peut être utilisé pour adapter l’algorithme à sa mission. On parle alors d’apprentissage machine ou de machine learning. Si ce concept existe depuis le début de la science informatique, sa mise en œuvre s’est aujourd’hui considérablement étendue du fait de l’amélioration remarquable des capacités logicielles et matérielles des ordinateurs et des réseaux de communication, de la disponibilité de données en qualité et en quantité et enfin des avancées scientifiques sur la conception des algorithmes d’apprentissage.
Ces évolutions et leurs conséquences sont remarquablement décrites dans le livre blanc publié par l’Institut national de recherche en informatique et en automatique et dans le rapport de Cédric Villani.3, 4 Elles sont sources de résultats importants dans des domaines spécialisés tels que le jeu de go ou la reconnaissance faciale, et on vise à les appliquer pour programmer des véhicules complètement autonomes. Elles sont utilisées en médecine pour l’aide au diagnostic où un système comme Watson est intensivement développé par IBM. Elles sont aussi centrales pour l’interprétation d’images médicales, avec des résultats qui sont maintenant jugés, dans plusieurs domaines, d’une qualité au moins aussi bonne que l’expertise humaine directe. Par exemple, la start-up Therapixel développe un tel système numérique permettant de détecter les cancers du sein (www.therapixel.com) et la Food and Drug Administration américaine a délivré en avril 2018 la première autorisation officielle de mise en place opérationnelle d’une solution numérique applicable à l’analyse d’images pour le diagnostic des rétinopathies diabétiques.
Les conséquences des avancées en sciences et technologies du numérique dans le domaine de la santé sont fondamentales comme le souligne l’avis 129 du CCNE, elles révolutionnent en profondeur l’ensemble du système de santé. Les avancées permises plus spécifiquement par l’apprentissage machine sont particulièrement prometteuses et porteuses de défis scientifiques, technologiques et sociétaux. En particulier, si on comprend bien comment fonctionnent les algorithmes d’apprentissage dans leurs différentes instances (profonde, supervisée ou non, renforcée ou pas), on ne sait actuellement pas bien expliquer les résultats obtenus par l’utilisation de ces algorithmes. L’explicabilité et la transparence algorithmique restent donc actuellement pour les systèmes numériques utilisant ces techniques un sujet d’attention et de recherche intense. 
Références
1. Wiener N. “Information is information, not matter or energy. No materialism which does not admit this can survive at the present day. In: Cybernetics: or control and communication in the animal and the machine (1st ed. 1948). Cambridge (MA): MIT Press, p. 132.
2. Turing A. Computing machinery and intelligence. Mind 1950;59:433-60.
3. Académie des technologies. Renouveau de l’intelligence artificielle et de l’apprentissage automatique. Rapport, 2018. www.academie-technologies.fr ou https://bit.ly/2RO5MUG
4. Institut national de recherche en informatique et en automatique. Intelligence artificielle. Les défis actuels et l’action d’INRIA. Livre blanc, INRIA, septembre 2016.
5. Villani C. Donner un sens à l’intelligence artificielle : pour une stratégie nationale et européenne. Rapport mars 2018. whttps://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/184000159/index.shtml

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