Les graisses ont mauvaise presse. Leur lien potentiel avec les maladies cardiovasculaires, majoré par l’avis défavorable que leur accordent le Nutri-Score et certaines applications à la mode, ont entraîné une véritable phobie des lipides. Si une réduction des apports lipidiques est justifiée dans certaines situations chez l’adulte, elle ne l’est qu’exceptionnellement chez le nourrisson. Cette crainte infondée conduit de plus en plus de parents à restreindre les graisses pour leur enfant, qu’ils exposent ainsi au risque d’altération du développement neurologique et de la maturation du système immu­nitaire.
Il est donc essentiel d’assurer un apport quantitatif et qualitatif optimal en lipides au cours de la première année de vie. Comment y parvenir en pratique ?

L’alimentation doit impérativement apporter les acides gras essentiels

Les principaux lipides ingérés sont les acides gras, qui peuvent être saturés ou insaturés. La quasi-totalité de ces acides gras peut être synthétisée par les êtres humains, excepté les acides gras essentiels (AGE), l’acide linoléique (AL) et l’acide α-linolénique (AAL), que l’alimentation doit donc impérativement apporter.
À partir des AGE sont synthétisés les acides gras polyinsaturés à longue chaîne (AGPILC), dérivés indispensables pour, notamment, le développement des structures cérébrales et du système immunitaire. L’AL est ainsi le précurseur de l’acide arachidonique (ARA) dans la série des oméga 6 et l’AAL le précurseur de l’acide eico­sapentaénoïque, à partir duquel est fabriqué l’acide docosahexaénoïque (DHA), dans la famille des oméga 3 (figure). La synthèse de ces AGPILC étant insuffisante chez l’enfant, un apport minimal est recommandé, compte tenu de leur importance dans le développement neurologique.1

Ne pas limiter les apports en graisses chez le nourrisson

Avant la diversification de l’alimentation, les apports lipidiques doivent représenter 50 % des apports énergétiques quotidiens.1 Ils sont facilement assurés par une alimentation lactée exclusive, au sein ou au biberon.2
Après la diversification, les lipides doivent couvrir au moins 40 % des apports énergétiques totaux.1 Seul l’ajout systématique de graisses (beurre, crème, huile, margarine) dans tous les plats salés, faits maison ou en petits pots industriels, permet d’atteindre cet objectif.2
En dehors d’exceptionnelles indications médicales, il n’y a aucune raison de limiter les graisses chez le nourrisson.

Comment assurer les besoins qualitatifs en lipides ?

On distingue les acides gras essentiels, d’une part, des acides docosahexaénoïque et arachidonique, d’autre part.

Les acides gras essentiels, avant ou après la diversification

Avant la diversification de l’alimentation, les besoins en acides gras essentiels sont presque toujours couverts car le lait de la mère (dont ils proviennent des ingesta) et les préparations infantiles 1er âge en contiennent suffisamment.
Après la diversification, le nourrisson doit ingérer environ 700 mL de formule 2e âge par jour, soit 3 biberons, pour couvrir la totalité de ses besoins en AGE.2 Si ce volume n’est pas atteint, il est nécessaire d’ajouter 2 cuillères à café par jour d’huile végétale pour compenser le déficit.2 Si toutes les huiles végétales peuvent être utilisées, les huiles de colza, soja et noix sont les mieux équilibrées.

Acides docosahexaénoïque et arachidonique

Toutes les formules 1er et 2e âge sont maintenant réglementairement enrichies en acide docosahexaénoïque.3 Comme pour les acides gras essentiels, un volume quotidien d’environ 700 mL permet d’en combler les besoins. Si le nourrisson boit des quantités moindres, la consommation d’une ou deux portions hebdomadaires de poisson complète les apports en DHA.
Pour des raisons obscures, la réglementation européenne n’a pas imposé l’ajout d’acide arachidonique dans les formules infantiles. Les experts estiment qu’il s’agit d’une erreur, susceptible d’induire des carences.4 Seules les formules contenant à la fois du DHA et de l’ARA, avec un rapport ARA/DHA ≥ 1, devront donc être prescrites. Rappelons que le lait de mère contient 1,5 à 2 fois plus d’acide arachidonique que d’acide docosahexaénoïque.

carences lipidiques et déficits cognitifs sont liés

Chez le nourrisson, les carences lipidiques, notamment en acides gras essentiels, acides docosahexaénoïque et arachidonique, entraînent des déficits cognitifs, des troubles de la vision et augmentent probablement les risques infectieux et de manifestations allergiques.4 L’ajout systématique de graisses dans tous les plats salés et la consommation d’environ 700 mL de formule infantile par jour, soit 3 biberons, permettent de couvrir l’inté­gralité des besoins lipidiques. 

Références

1. European Food Safety Authority (EFSA). Scientific opinion on nutrient requirements and dietary intakes of infants and young children in the European Union. EFSA Journal 2013;11(10):3408.
2. Tounian P, Javalet M, Sarrio F. Alimentation de l’enfant de 0 à 3 ans. Masson, coll. Pédiatrie au quotidien, 3e édition, 2017.
3. Journal officiel de l’Union européenne L25/1. Règlement délégué (UE) 2016/127 de la commission du 25 septembre 2015 complétant le règlement (UE) n° 609/2013 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les exigences spécifiques en matière de composition et d’information applicables aux préparations pour nourrissons et aux préparations de suite et les exigences portant sur les informations relatives à l’alimentation des nourrissons et des enfants en bas âge.
4. Koletzko B, Bergmann K, Brenna JT, Calder PC, Campoy C, Clandinin MT, et al. Should formula for infants provide arachidonic acid along with DHA? A position paper of the European Academy of Paediatrics and the Child Health Foundation. Am J Clin Nutr 2020;111:10-6.

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