Une maladie fréquente et invalidante

L’arthrose est la forme la plus fréquente d’arthropathie, la gonarthrose et la coxarthrose sont considérées comme les plus invalidantes. En France, une étude réalisée entre 2007 et 2009 a estimé la prévalence de la gonarthrose clinique entre 2,1 % et 10,1 % selon l’âge pour les hommes, et entre 1,6 % et 14,9 % selon l’âge chez les femmes. La prévalence de la coxarthrose clinique était légèrement inférieure, comprise entre 0,9 % et 3,9 % chez les hommes et entre 0,7 % et 5,1 % chez les femmes.1 Du fait du vieillissement de la population et de la progression de l’obésité, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime qu'en 2050 près de 130 millions de personnes seront atteintes d’arthrose à travers le monde.
Longtemps considérée comme une maladie bénigne, l’arthrose est pourtant associée à une morbidité importante. Dans la récente étude Global Burden of Diseases menée par l’OMS, la coxarthrose et la gonarthrose se classaient au 12e rang des facteurs ayant contribué le plus aux années vécues avec un handicap au niveau mondial, en augmentation de plus de 30 % depuis 20 ans.2

Une comorbidité accrue

L’arthrose est également associée à une comorbidité accrue, notamment sur le plan cardiovasculaire. Une revue systématique a révélé que les personnes atteintes d’arthrose avaient une prévalence des maladies cardiovasculaires (toutes confondues) de 38,4 % (intervalle de confiance [IC] à 95 % : 37,2-39,6) et 3 fois plus de risque d’insuffisance cardiaque (risque relatif [RR] = 2,80 ; IC à 95 % : 2,25-3,49) ou d’ischémie cardiaque (RR = 1,78 ; IC à 95 % : 1,18-2,69), comparativement aux patients non atteints par cette maladie.3
L’obésité semble également agir de manière indirecte par les comorbidités auxquelles elle est associée au sein du syndrome métabolique. Des facteurs métaboliques tels que le diabète de type 2 ou une glycémie élevée étaient particulièrement associés à la survenue et à la progression de l’arthrose. Les produits finaux de la glycation avancée (advanced glycation end products [AGE]) seraient impliqués dans le processus de dégradation de la matrice cartilagineuse et dans l’activation des chondrocytes. Une inflammation systémique de bas grade, résultant notamment de l’accumulation de glucose, pourrait contribuer à créer un environnement défavorable et toxique qui pourrait favoriser la survenue d’arthrose. Aux États-Unis, une étude de cohorte incluant plus de 7 000 sujets a montré que la prévalence du syndrome métabolique était 2 fois plus élevée chez les patients arthrosiques par rapport à la population générale indemne d’arthrose (58,6 % et 23,1 % respectivement).4 D’autres résultats, issus de la cohorte japonaise ROAD incluant près de 3 000 sujets, ont montré que le risque de survenue de gonarthrose était significativement augmenté en présence d’une hypertension artérielle (odds ratio [OR] = 2,57 ; intervalle de confiance [IC] à 95 % : 1,22-5,42) ou d’une intolérance au glucose (OR = 1,99 ; IC à 95 % : 1,07-3,70). La présence d’une gonarthrose radiographique augmentait le risque de survenue d’une hypertension artérielle (OR = 1,84 ; IC à 95 % : 1,09-3,12) et d’une dyslipidémie (OR = 1,66 ; IC à 95 % : 1,05-2,61).5 L’étude de l’influence des comorbidités est donc d’autant plus difficile que l’arthrose et les comorbi­dités semblent avoir une association double, l’une accélérant la progression de l’autre et réciproquement. La production d’adipokines et de cytokines pro-inflammatoires produites par le tissu adipeux souvent excédentaire chez les patients arthrosiques pourrait aussi favoriser la survenue de maladies cardiovasculaires. L’arthrose, qu’elle soit métabolique ou non, est associée à une surmortalité par maladies cardiovasculaires,6 qui pourrait s’expliquer par l’exacerbation de la sédentarité chez les patients atteints d’arthrose des membres inférieurs mais aussi par les facteurs de risque communs ainsi que par l’inflammation de bas grade, présente en cas de maladie métabolique.7

Arthrose et mortalité

Bien que plusieurs études aient été menées dans ce cadre, l’association entre l’arthrose et la mortalité toutes causes confondues reste actuellement à confirmer.8 Une étude américaine récente menée sur près de 52 000 patients suivis pendant 20 ans a montré que l’arthrose rapportée par le patient n’était pas associée à une hausse de la mortalité. Les sujets atteints de gonarthrose radiographique à un stade précoce ou ceux atteints de gonarthrose radiographique qui étaient obèses avaient un risque plus élevé de mortalité toutes causes confondues que ceux diagnostiqués après l’âge de 40 ans et ceux qui n'avaient pas d’obésité.9 D’autres études menées en Angleterre et aux États-Unis ont démontré l’existence d’une mortalité accrue chez les patients souffrant de douleur au genou, seule ou avec une gonarthrose confirmée.10, 11 Les effets étaient particulièrement importants chez les sujets obèses.12

Quel est l'impact de l’arthroplastie sur la mortalité ?

En 2014, une revue systématique a estimé que l'incidence combinée de la mortalité au cours des 30 et 90 premiers jours suivant l’arthroplastie de hanche était de 0,30 % (IC à 95 % : 0,22-0,38) et 0,65 % (IC à 95 % : 0,50-0,81), respectivement. Les auteurs notaient une tendance de réduction du taux de mortalité postopératoire, même chez des patients ayant des comorbidités.12 Cette réduction de risque (de l’ordre de 30 %) a récemment été confirmée par une autre étude menée sur 28 000 patients atteints de gonarthrose. Néanmoins, les auteurs ont souligné le fait que l’effet protecteur de l’arthroplastie sur la mortalité toutes causes pouvait être surestimé, notamment du fait de l’existence d’un biais de sélection des patients (par rapport au pronostic de la chirurgie) et d’un biais d’indication.13

Rôle prédictif des comorbidités sur la mortalité postopératoire

Par ailleurs, les conclusions concernant le rôle prédictif des comorbidités sur la mortalité postopératoire restent controversées. Dans une étude menée sur près de 2 000 sujets atteints de gonarthrose ou de coxarthrose, la présence de comorbidités et de limitations fonctionnelles avant la chirurgie était associée à une mortalité plus élevée.14 En 2016, une étude menée sur près de 30 000 sujets a montré que la combinaison de trois mesures des comorbidités pouvait prédire la mortalité après une arthroplastie de la hanche et du genou.15 À l’inverse, une étude menée sur 120 000 patients ayant subi une arthroplastie de la hanche a trouvé un faible rôle prédictif des indices de comorbidité sur la mortalité. Ces indices étaient moins prédictifs que d’autres facteurs comme le sexe et l’âge, et leur pouvoir prédictif diminuait avec le temps.16

L’arthrose, une maladie grave

Souvent considérée avec fatalisme et comme bénigne, l’arthrose peut être diverse7 et présenter un caractère grave chez certains patients. En août 2018, la Food and Drug Administration a d’ailleurs reconnu pour la première fois l’arthrose comme une maladie sévère au vu des données issues de la littérature, c’est-à-dire « une maladie ou un état associé à la morbidité qui a un impact important sur la vie quotidienne. Une morbidité de courte durée et autolimitée ne sera généralement pas suffisante, mais la morbidité n’est pas nécessairement irréversible si elle est persistante ou récurrente. La gravité d’une maladie ou d’un état est une question de jugement clinique, fondée sur son impact sur des facteurs tels que la survie, la vie quotidienne ou la probabilité que la maladie, si elle n’est pas traitée, évolue d’un état moins grave vers un état plus grave ».

PRÉVENIR LE RISQUE CARDIOVASCULAIRE

Les patients arthrosiques ont un risque considérablement accru d’incapacité progressive, et cette progression est associée à une mobilité réduite et à une augmentation de la mortalité par maladies cardiovasculaires. Le diagnostic d’arthrose doit donc être posé précocement, le plus souvent par un médecin généraliste, et le suivi des patients doit être coordonné entre médecins généralistes et spécialistes. Les comorbidités alourdissent le fardeau de la maladie et devraient constituer un élément central de la prise en charge des personnes arthrosiques dans le cadre des soins cliniques courants, l’accent étant mis sur le dépistage et la prise en charge précoces. La mise en place de mesures de prévention primaire et secondaire à visée cardiovasculaire, comme notamment la pratique d’une activité physique régulière,17 pourrait permettre de diminuer la morbidité et la mortalité liées à l’arthrose.
Références
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2. GBD 2016 Disease and Injury Incidence and Prevalence Collaborators. Global, regional, and national incidence, prevalence, and years lived with disability for 328 diseases and injuries for 195 countries, 1990-2016: a systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2016. Lancet 2017;390:1211-59.
3. Hall AJ, Stubbs B, Mamas MA, Myint PK, Smith TO. Association between osteoarthritis and cardiovascular disease: Systematic review and meta-analysis. Eur J Prev Cardiol 2016;23:938-46.
4. Puenpatom RA, Victor TW. Increased prevalence of metabolic syndrome in individuals with osteoarthritis: an analysis of NHANES III data. Postgrad Med 2009;121:9-20.
5. Yoshimura N, Muraki S, Oka H, et al. Mutual associations among musculoskeletal diseases and metabolic syndrome components: A 3-year follow-up of the ROAD study. Mod Rheumatol 2015;25:438-48.
6. Veronese N, Cereda E, Maggi S, et al. Osteoarthritis and mortality: A prospective cohort study and systematic review with meta-analysis. Semin Arthritis Rheum 2016;46:160-7.
7. Courties A, Berenbaum F, Sellam J. Approche phénotypique de l’arthrose : le cas de l’arthrose associée au syndrome métabolique. Joint Bone Spine 2018 Dec 25. doi.org/10.1016/j.rhum.2018.11.003
8. Xing D, Xu Y, Liu Q, et al. Osteoarthritis and all-cause mortality in worldwide populations: grading the evidence from a meta-analysis. Sci Rep 2016;6:24393.
9. Mendy A, Park J, Vieira ER. Osteoarthritis and risk of mortality in the USA: a population-based cohort study. Int J Epidemiol 2018;47:1821-9.
10. Kluzek S, Sanchez-Santos MT, Leyland KM, et al. Painful knee but not hand osteoarthritis is an independent predictor of mortality over 23 years follow-up of a population-based cohort of middle-aged women. Ann Rheum Dis 2016;75:1749-56.
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12. Berstock JR, Beswick AD, Lenguerrand E, Whitehouse MR, Blom AW. Mortality after total hip replacement surgery: A systematic review. Bone Joint Res 2014;3:175-82.
13. Misra D, Lu N, Felson D, et al. Does knee replacement surgery for osteoarthritis improve survival? The jury is still out. Ann Rheum Dis 2016;76:140-6.
14. Jämsen E, Puolakka T, Eskelinen A, et al. Predictors of mortality following primary hip and knee replacement in the aged. A single-center analysis of 1,998 primary hip and knee replacements for primary osteoarthritis. Acta Orthop 2013;84:44-53.
15. Inacio MCS, Pratt NL, Roughead EE, Graves SE. Evaluation of three co-morbidity measures to predict mortality in patients undergoing total joint arthroplasty. Osteoarthritis Cartilage 2016;24:1718-26.
16. Bülow E, Rolfson O, Cnudde P, Rogmark C, Garellick G, Nemes S. Comorbidity does not predict long-term mortality after total hip arthroplasty. Acta Orthop 2017;88:472-7.
17. Rausch Osthoff AK, Niedermann K, Braun J, et al. 2018 EULAR recommendations for physical activity in people with inflammatory arthritis and osteoarthritis. Ann Rheum Dis 2018;77:1251-60.

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