Les associations de médicaments antirétroviraux permettent, entre autres résultats, une très efficace prévention de la transmission mère-­enfant (TME) du virus de l’immuno­déficience humaine (VIH). Cependant, il existe une population d’enfants et de jeunes adultes nés avec le virus, avant la généralisation de la prévention de la TME. Dans les pays riches, dont la France, on n’observe quasiment plus de cas de TME du VIH depuis de nombreuses années : les personnes nées avec le VIH sont donc soit déjà de jeunes adultes, soit des enfants nés dans des pays à faibles ressources, puisqu’à l’échelle de la planète les protocoles de prévention de la TME se sont mis en place progressivement et de manière hétérogène. En France, leur nombre n’est pas connu avec précision, il est probablement de l’ordre de 500 à 1 000.

En fait : de « vieux » patients

Les personnes nées avec le VIH constituent une population très particulière puisque la durée de leur infection est égale à leur âge : arrivés à l’âge adulte, leur parcours est aussi long que celui de quinquagénaires ou sexagénaires infectés pendant leur 2e ou 3e décennie. Une personne née il y a 30 ans avec le VIH aura ainsi pu vivre, malgré son jeune âge, toutes les étapes et péripéties de l’histoire de la prise en charge de l’infection : introduction tardive du traitement, prescription de mono- ou bithérapies d’inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse (INTI) génératrices de mutations de résistance, exposition aux antirétroviraux de première génération responsables de toxicité mitochondriale, d’altérations métaboliques et d’anomalies de la répartition des graisses… La superposition de ce parcours médical et du développement de l’individu génère quelques spécificités. Ainsi, une plus grande plasticité biologique de l’organisme peut avoir un effet pro­tecteur (par exemple, l’efficacité de la ­lymphopoïèse dans le thymus permet de maintenir un taux de lymphocytes T CD4 élevé malgré une réplication virale mal contrôlée) ; à l’inverse, les difficultés d’adhésion au suivi et d’observance du traitement, particulièrement à l’adolescence, majorent le risque de résistance virale et réduisent les options thérapeutiques. En filigrane, la problématique psychosociale de la transmission de l’infection et de son acceptation est ­toujours présente.1
Les jeunes adultes nés avec le VIH sont donc de « vieux patients », qui ont été exposés aux médicaments les plus anciens, dont les conséquences métaboliques et cardiovasculaires ont été très largement documentées chez les personnes infectées à l’âge adulte. De même, dans le cadre de la cohorte de l’Agence nationale de recherches sur le sida (ANRS) « COVERTE » (cohorte des jeunes adultes infectés par voie verticale), une étude a comparé les jeunes adultes de 18 à 30 ans « nés avec » à des personnes de même âge de la population générale, en termes de paramètres métaboliques.2 Les jeunes adultes porteurs du VIH des deux sexes (n = 268) avaient en moyenne un rapport tour de taille/tour de hanches, un rapport triglycérides/cholestérol HDL plus élevés et un taux de cholestérol HDL plus bas que les témoins (n = 245). Un syndrome métabolique était présent chez 13,2 % des jeunes hommes et 10,4 % des jeunes femmes vivant avec le VIH, contre respectivement 10,6 % et 1,7 % en population générale. Il est important de déterminer quelles pourront être les conséquences de ces anomalies en termes de risque cardiovasculaire ou de « vieillissement artériel » accéléré : afin de répondre à cette question, des analyses sont en cours dans cette cohorte.

La difficulté d’un traitement simple

Chez les jeunes gens nés avec le VIH, la qualité du contrôle immuno-virologique est fonction du profil de résistance du virus, lié à l’histoire thérapeutique et à­ ­l’observance qui, souvent, s’améliore beaucoup avec l’acquisition d’une certaine maturité. La possibilité d’accéder à des traitements simples, dans l’idéal en un seul comprimé, est alors une question très importante : c’est à l’évidence un point crucial liant l’acceptabilité du traitement, la qualité de vie et la vision de l’avenir (avec la perspective de prendre des médicaments encore pendant 40 à 50 ans !).
Un virus exposé dans les années 1990 à une monothérapie de zidovudine, puis à une bithérapie de zidovudine et de ­lamivudine, aura avec certitude sélectionné et archivé une mutation M184V de résistance à la lamivudine et à l’emtricitabine, et des mutations associées aux analogues de la thymidine (« TAM »), qui, si elles sont nombreuses, pourront générer une résistance complète à la classe des INTI. Se seront souvent ajoutées des mutations de résistance aux premiers inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse, connus pour leur faible barrière génétique à la résistance. Dans ces conditions, il sera bien difficile de trouver un traitement « tout en un » virologiquement pertinent et la seule option sera bien souvent l’association d’un inhibiteur de la protéase « boosté » par le ritonavir et d’un inhibiteur de l’intégrase, parfois sans autre choix qu’une administration biquotidienne, si ces deux classes sont déjà fragilisées par des mutations de résistance.
On peut ici regretter que les autorités françaises (commission de la Transparence) aient jusqu’à présent refusé le remboursement des combinaisons en un seul comprimé d’une anti-protéase (le darunavir) et de son booster (le cobicistat), qui offrirait pourtant à ces patients un réel allègement de leur fardeau thérapeutique quotidien.

Les enjeux de la prise en charge

Selon une analyse réalisée en 2013 au sein de la cohorte de l’ANRS « COVERTE »1, les jeunes patients nés avec le virus affichaient des taux de ­succès virologiques inférieurs à ceux des personnes infectées à l’âge adulte, à durée d’infection égale : 74,6 % contre 93,1 % pour une durée d’infection de moins de 13 ans, 60,2 % contre 95,8 % pour une infection de 13 à 17 ans, 70,5 % contre 87,5 % pour une infection de 18 ans ou plus. Les deux groupes ayant traversé les mêmes ­périodes de l’histoire de la thérapeutique du VIH, ces différences s’expliquent avant tout par les problèmes de galénique en pédiatrie, qui ont limité l’accès des enfants à certains ­médicaments, et par les difficultés d’adhésion et d’observance propres à certains âges de la vie, surtout, comme c’est très souvent le cas, si l’infection a toujours été asymptomatique.
Mais les aspects sociaux et comportementaux jouent ici à l’évidence un rôle majeur. En toile de fond, les circonstances de l’infection de la mère constituent un point nodal. Transfusion sanguine avant 1985, transmission par un conjoint hémophile, toxicomanie intraveineuse, transmission sexuelle dans un milieu défavorisé issu de la migration : ces situations déterminent autant de parcours de vie différents.
L’impact sur le parcours de vie peut ­encore être amplifié par le statut vital des parents, la présence ou non d’aidants proches, l’âge et les circonstances de l’information du jeune sur sa pathologie, un éventuel syndrome dépressif ou d’autres problèmes psychiatriques, l’accès à l’éducation, à une formation professionnelle, etc., tous facteurs pouvant concourir à atteindre, ou non, un équilibre satisfaisant entre la nécessaire prise en charge de l’infection et un développement personnel satisfaisant (tableau).

Entrée dans la vie adulte et sexualité : thématique très spécifique

L’annonce au partenaire, la protection des rapports sexuels, la prise de conscience du rôle clé du traitement dans la prévention de la transmission sont des points d’une extrême importance, auxquels il faut consacrer tout le temps nécessaire pendant les consultations (du médecin, du psychologue, de l’équipe d’éducation thérapeutique…). Les autoquestionnaires recueillis dans la cohorte COVERTE ont permis de constater que la gestion du risque était sous-optimale, en particulier pour les jeunes femmes.1 L’âge du premier rapport sexuel n’était pas différent de celui qui est observé dans la population générale, mais 52,7 % des jeunes femmes (contre 16 % des jeunes hommes) rapportaient un usage inconstant du préservatif au cours de l’année écoulée, d’autant plus fréquemment qu’elles n’avaient pas achevé leurs études secondaires… De plus, la charge virale n’avait pas ­d’influence sur ce comportement.
Cela souligne bien la nécessité d’une approche globale d’éducation à la santé, au-delà du seul objectif de la prise des antirétroviraux, incluant l’abord de la sexualité et, chez les jeunes femmes, un suivi gynécologique adapté. L’encadrement du passage de la pédiatrie à la médecine adulte doit faire l’objet d’une attention toute particulière pour ne pas manquer ces étapes importantes de la prise en charge médicale et du développement individuel des patients. 
Références
1. Dollfus C, Viard JP. L’adolescent, l’entrée dans la vie adulte. In: Infection de l’enfant par le VIH. Mt-pédiatrie 2016;19(1):77-84.
2. Arrive L, Viard JP, Salanave B, Dollfus C, Matheron S, Reliquet V, et al. Metabolic risk factors in young adults infected with HIV since childhood compared with the general population. PLoS ONE 2018;13(11): e0206745.

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