L’effet placebo stricto sensu correspond à une amélioration réellement « ressentie » par le patient du fait de la libération de diverses substances cérébrales (endorphines, dopamine) induite par l’attente optimiste d’une amélioration. Il est souvent confondu avec l’effet « retour à la moyenne » (amélioration spontanée après une poussée) mais aussi avec l’effet Hawthorne. Celui-ci correspond à la manière dont un patient « exprime » (cote) sa douleur, tant avant l’intervention du médecin (effet Hawthorne négatif, avec souvent majoration des symptômes « à 11 sur 10 »), qu’après celle-ci (en règle générale, effet Hawthorne positif, avec plutôt minoration des symptômes pour gratifier le prescripteur-évaluateur). La nuance est importante, car l’effet Hawthorne est souvent plus puissant et plus durable que l’effet placebo stricto sensu, et encore plus sensible à la suggestion, même si le terme d’effet placebo sera conservé dans la suite du texte pour amalgamer ces deux sources d’améliorations (ressenties et exprimées).
Le fort effet placebo des opiacés
Les arthroses sont les plus fréquentes des pathologies rhumatismales et les plus douloureuses en moyenne. Cela pourrait légitimer l’utilisation de tous les traitements disponibles pour soulager les patients, même quand leur efficacité repose surtout sur un fort effet placebo. Encore faut-il que ces procédés ne soient pas disproportionnellement onéreux, ou à l’origine d’effets indésirables graves. L’épidémie dramatique d’addictions et de décès liés aux opiacés (pain-killers qui deviennent parfois des patient-killers : plusieurs centaines de milliers de décès par overdose, soit plus que le nombre de soldats américains morts pendant toute la Seconde Guerre mondiale) paraît incontrôlable aux États-Unis et gagne peu à peu tous les pays, dont la France* (malgré les mises en garde). Pourtant, l’efficacité apparente des opiacés tiendrait essentiellement à leur fort effet placebo,1 car en evidence based medicine, ils ne sont en moyenne que peu ou pas supérieurs au paracétamol dans les douleurs de l’appareil locomoteur. Dans les méta-analyses des études en double insu, l’effet réel moyen du paracétamol (différence avec le placebo) y est en effet de 0,84/10 contre 1,06/10 pour les opiacés de classe II, et 1,2/10 pour les opiacés de classe III (soit un différentiel de seulement 0,36 sur 10 entre morphiniques et paracétamol).1 Autrement dit, contrairement à la croyance à une forte efficacité antalgique des morphiniques, entretenue par les services marketing et les classements des antalgiques en trois paliers de toxicité, les trois quarts des améliorations observées en « ouvert » sous opiacés (de l’ordre de 4 sur 10) sont dus au fort effet placebo transitoirement obtenu avec ces molécules, lesquelles ne sont que peu ou pas supérieures au paracétamol en double insu,2 et peuvent parfois finir au contraire par majorer les douleurs au lieu de les diminuer dans 5 à 25 % des cas, ce qui pousse à des escalades mortifères (hyperpathies induites par les opiacés).
D’autres méta-analyses ont montré que l’effet placebo lato sensu (v. encadré ) était particulièrement marqué dans l’arthrose (en moyenne 75 % de l’amélioration, et jusqu’à 100 % parfois), mais dépendait du site de l’arthrose (effet placebo plus marqué dans l’arthrose des doigts que dans la coxarthrose, peut-être du fait de la plus grande représentation corticale de la main). Par ailleurs, sa force varie selon le type de traitement proposé (et des préjugés des patients et médecins concernant son efficacité et ses effets indésirables). L’effet placebo dans l’arthrose est par exemple surtout marqué pour l’acupuncture et les injections d’acide hyaluronique, ces deux approches comportant l’usage d’aiguilles, tout en étant présumées sans risques par les patients.3 De nombreux traitements dits d’action lente de l’arthrose ont été déremboursés du fait d’un mode d’action très majoritairement voire exclusivement « placebo », mais au risque que des traitements bien plus toxiques et à peine plus efficaces soient surutilisés.
Alors que le placebo est a priori le traitement le plus doux qui soit, l’effet placebo lato sensu est, en revanche, un des sujets les plus conflictuels en médecine. Cela est d’autant plus le cas quand cet effet placebo assure aux thérapeutes ou industriels une part importante de leur chiffre d’affaires. L’obtention d’un fort effet placebo passe de fait par l’entretien, chez le patient et le prescripteur, d’une croyance à l’efficacité et l’innocuité du procédé, même et surtout quand l’effet est presque exclusivement placebo. Cela peut parfois placer les praticiens dans la situation d’aporie de soit se fier à leur honnêteté intellectuelle et aux données de l’evidence based medicine (au risque de frustrer des patients conditionnés à consommer un placebo), soit se comporter de manière grégaire et se laisser prendre en otage par la pression commerciale (malgré les sur-dépenses, voire les effets indésirables que peuvent induire certains placebos impurs ou traitements à fort effet placebo).
D’autres méta-analyses ont montré que l’effet placebo lato sensu (
Alors que le placebo est a priori le traitement le plus doux qui soit, l’effet placebo lato sensu est, en revanche, un des sujets les plus conflictuels en médecine. Cela est d’autant plus le cas quand cet effet placebo assure aux thérapeutes ou industriels une part importante de leur chiffre d’affaires. L’obtention d’un fort effet placebo passe de fait par l’entretien, chez le patient et le prescripteur, d’une croyance à l’efficacité et l’innocuité du procédé, même et surtout quand l’effet est presque exclusivement placebo. Cela peut parfois placer les praticiens dans la situation d’aporie de soit se fier à leur honnêteté intellectuelle et aux données de l’evidence based medicine (au risque de frustrer des patients conditionnés à consommer un placebo), soit se comporter de manière grégaire et se laisser prendre en otage par la pression commerciale (malgré les sur-dépenses, voire les effets indésirables que peuvent induire certains placebos impurs ou traitements à fort effet placebo).
TROP DE PRESCRIPTIONS
L’appellation française de médecin traitant a pu légitimer à sur-prescrire, y compris des placebos ou produits à très fort effet placebo (90 % des consultations en France se termi- nent par la rédaction d’une ordonnance). Cela a valu pour l’arthrose, où de nombreux placebos impurs ont été retirés du marché ou déremboursés durant les deux dernières décennies. Ces prescriptions de « quasi-placebo » pouvaient parfois être perçues par les patients et/ou prescripteurs comme une marque d’empathie, mais elles ont pu encourager des « stratégies de Knock » de la part des firmes** tout en différant l’adoption d’approches permettant un meilleur « coping »*** (en français « faire avec ») de la part du patient. Si l’effet placebo doit être utilisé au mieux dans l’intérêt des patients arthrosiques, la recherche de cet effet ne peut se concevoir à leurs dépens.
* Les dernières estimations sont de l’ordre de 1 ou 2 décès par jour en France par overdose de ces molécules. ** Suggestions aux patients qu’ils sont plus malades qu’ils ne le pensent, et ne se traitent pas assez.*** Acceptation du symptôme-handicap et des moyens de le surmonter, par des prises en charge rééducatives, ou d’autres aides (dont une canne !).
Encadre
Effet placebo : stricto ou lato sensu ?
L’effet placebo stricto sensu correspond à une amélioration réellement « ressentie » par le patient, et l’effet placebo lato sensu à la somme de celui-ci et des effets Hawthorne (modification dans l’« expression » de la douleur). Dans l’arthrose, l’effet placebo lato sensu (qui est plus fort pour les arthroses distales et varie selon les traitements) rend compte de 75 % des améliorations en moyenne.
Références
1. Reinecke H, Weber C, Lange K, Simon M, Stein C, Sorgatz H. Analgesic efficacy of opioids in chronic pain: recent meta-analyses. Br J Pharmacol 2015;172:324-33.
2. Chang AK, Bijur PE, Esses D, Barnaby DP, Baer J. Effect of a single dose of oral opioid and nonopioid analgesics on acute extremity pain in the emergency department: a randomized clinical trial. JAMA 2017;318:1661-7.
3. Zhang W, Robertson J, Jones AC, Dieppe PA, Doherty M. The placebo effect and its determinants in osteoarthritis: meta-analysis of randomised controlled trials. Ann Rheum Dis 2008;67:1716-23.
2. Chang AK, Bijur PE, Esses D, Barnaby DP, Baer J. Effect of a single dose of oral opioid and nonopioid analgesics on acute extremity pain in the emergency department: a randomized clinical trial. JAMA 2017;318:1661-7.
3. Zhang W, Robertson J, Jones AC, Dieppe PA, Doherty M. The placebo effect and its determinants in osteoarthritis: meta-analysis of randomised controlled trials. Ann Rheum Dis 2008;67:1716-23.